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Le onzième numéro du bulletin de la
Société d'Emulation de Montargis

Texte intégral

 

 1857


BULLETINS DE LA SOCIÉTÉ D'ÉMULATION DE L'ARRONDISSEMENT DE MONTARGIS.

N° XI.

NOTICE HISTORIQUE sur la Vie et les Ouvrages du Docteur GASTELLIER, ANCIEN MAIRE DE MONTARGIS, Par le Dr Ballot, maire de la même ville.

Réné-Georges Gastellier naquit à Ferrières près Montargis, le 1er octobre 1741. Pour qui a connu son esprit vif, hardi, plein d'ardeur et de pénétration, il serait difficile de supposer que son enfance ne se soit pas fait remarquer par une

de ces intelligences précoces pour lesquelles le travail est sans fatigue et l'étude sans aridité : il paraît pourtant, d'après la tradition laissée par ses contemporains, que, loin d'avoir été brillantes, ses premières années furent assez peu encourageantes, pour que les moines de la célèbre abbaye de Ferrières dans laquelle il commença et compléta presque entièrement son éducation littéraire, crûssent devoir presser, à plusieurs reprises, sa famille de lui faire abandonner l'étude du latin. Mais le jeune Gastellier dont l'amour propre se révoltait à la pensée de voir se fermer devant lui toute carrière indépendante et libérale, et qui d'ailleurs avait, sans doute, le sentiment instinctif de sa valeur réelle, triompha par son opiniâtre persévérance des difficultés qui naissaient pour lui du développement tardif de ses facultés intellectuelles, et devint bientôt l'un des plus distingués d'entre ses condisciples.

Exemple à ajouter à tant d'autres, pour prouver combien il importe de ne pas désespérer de l'enfance chez laquelle le succès ne répond pas d'abord au zèle et à la volonté de bien faire.

Né d'un père qui pratiquait, dans sa ville natale, les fonctions alors bien modestes de chirurgien, il fut, en quelque sorte, dès ses plus tendres années, initié aux premières notions de l'art de guérir; et cette éducation de famille, si puissante sur les organisations fortement trempées, décida sans doute sa vocation pour une profession qu'il devait exercer plus tard avec tant de distinction.

Après avoir quitté l'abbaye de Ferrières et partagé quelque temps les travaux de son père, il vit enfin arriver le moment si désiré où il pourrait satisfaire sa soif de savoir. Envoyé à Paris par sa famille, à l'âge de vingt ans, il suivit pendant deux années un cours de philosophie au collège de Laon; façonnant ainsi, son esprit par les luttes de l'école à celles scientifiques, qui furent l'une de ses occupations les plus chères et les plus longtemps continuées. Il avait vingtdeux ans, lorsqu'il prit ses inscriptions aux écoles de la Faculté de Paris et qu'il commença sous les Louis, les Morand et les Sabatier, des études sérieuses qui lui valurent, à vingt-quatre ans, le titre de maître ès-arts, et, à vingt-cinq, celui de maître en chirurgie pour la ville et la généralité de Montargis.

Cette position qui pouvait être regardée comme une honorable récompense de travaux consciencieux et le but atteint d'une louable ambition, fut, pour le jeune praticien, le commencement d'une lutte bien pénible, qui dura plusieurs années et dans laquelle il eut à déployer toutes les ressources de son esprit et de sa persévérance.

En voyant, de nos jours, la chirurgie placée dans l'opinion publique au même rang que la médecine, si ce n'est même à un rang plus élevé, on aurait peine à croire la distance qui séparait encore, vers le milieu du dix-huitième siècle, le médecin du chirurgien dans l'ordre social. Cette distance qui, grâces à l'institution du Collège et de l'Académie de chirurgie d'où sortirent tant d'hommes illustres, tendait à s'effacer à Paris au temps où se passaient les faits dont nous nous occupons, existait encore en province dans toute sa stupide autocratie.

Aussi M. Gastellier, en arrivant à Montargis, se vit-il dans la cruelle alternative ou de courber humblement la tête sous la suprématie d'hommes que leur titre et leur position acquise plaçaient hiérarchiquement au-dessus de lui, ou de tenter contre eux une lutte bien inégale en apparence.

Ce fut pourtant à ce dernier parti qu'il eut le courage de s'arrêter; et comprenant que ce qui lui importait d'abord était de faire cesser l'inégalité du titre, il se rendit à Reims en 1770 ; et là, mettant à profit la facilité devenue proverbiale des Facultés de cette ville, il se fit recevoir en quelques mois docteur en médecine, en même temps que licencié en droit.

Ce fut avec ce double titre qu'il revint à Montargis pour y reprendre l'exercice de la médecine et qu'en même temps il fut admis dans l'ordre des avocats de cette ville, le 15 mai de la même année.

A partir de ce moment sa position fut assurée renommé de toute part par sa pratique heureuse et brillante, par les charmes de son esprit et la facilité de son élocution, non moins que par son infatigable activité, il devint en peu de temps le médecin de tout ce que la ville et les environs comptaient de plus honorable et de mieux posé; et ce ne fut plus qu'avec l'arme souvent bien acérée du ridicule, que ses anciens antagonistes cherchèrent à combattre ses succès (1).

Vers le même temps, c'est-à-dire en 1772, et malgré les soins d'une clientèle de plus en plus nombreuse, il commença une série de publications dont nous donnerons plus loin la liste et qui font de lui, peut-être, le médecin de province qui ait le plus écrit à son époque.

La première de ces publications fut une traduction en français des principes de médecine de François Home, écrits en latin, et de l'ouvrage du même auteur, intitulé : « Expériences et observations de médecine » et publié en anglais. Puis vint, une année plus tard, un ouvrage bien autrement important et qui fut le fondement de la réputation de son auteur, comme écrivain et comme praticien. Cet ouvrage qui parut sous le titre « Avis à mes concitoyens ou Essai sur la fièvre miliaire » a, pour les habitants de Montargis, un intérêt tout particulier ; et s'il est vrai qu'il a beaucoup vieilli au point de vue des théories médicales, il ne l'est pas moins qu'il est resté pour nous, Montargois, plein de curieux souvenirs et de renseignements précieux.

J'extrairai du chapitre 111, intitulé : « Des causes de la fièvre miliaire, » pour les transcrire ici, quelques fragments qui , en nous faisant connaître quelle était autre fois la situation de Montargis, nous mettront à même d'apprécier combien, malgré ses imperfections encore persistantes, notre ville a gagné depuis l'époque à laquelle écrivait notre savant compatriote.

« Montargis, dit M. Gastellier dans la description qu'il donne de cette ville, est situé dans un marais, entre deux collines, au confluent de deux rivières, le Loing et le Puiseaux. Ses murs sont baignés par les eaux du canal de Loing, qui coulent dans ses fossés : le Puiseaux, enflé de plusieurs petits ruisseaux et surtout d'une petite rivière appelée le Vernisson, vient aussi se réunir au Loing, avant que celui-ci tombe dans le canal à l'entrée de la ville, du côté du midi, pour se diviser ensuite l'un et l'autre en plusieurs branches qui coupent la ville en différents quartiers, lesquels se communiquent par plusieurs ponts dont six principaux : de sorte qu'on peut regarder Montargis comme une île véritable.

» Cette ville, quoique peu considérable, est fort peuplée; elle contient environ sept à huit mille habitants. Elle est en général très mal bâtie : la plupart de ses maisons sont sur pilotis, petites, fort entassées, sans cour pour la majeure partie et presque toutes privées de jardin; de sorte qu'elles sont on ne peut plus mal aérées aussi, tous les appartements, surtout par bas, sont-ils d'une humidité à pourrir les meubles, humidité qui est d'autant plus grande que les rues sont, en général, étroites et mal pavées.

» Le peu de cours qu'il y a parmi le petit peuple, sont des cloaques où trois et même quatre ménages vont déposer leurs ordures, lesquelles forment des monceaux qui infectent la ville dans les chaleurs de l'été. Chez les bourgeois elles composent un petit espace qui contient à la fois le puits, le puits perdu et les lieux d'aisance.

»  Je crois en avoir assez dit pour démontrer de la manière la plus évidente que Montargis est bâti dans un fonds; qu'il est marécageux; environné d'une montagne, d'un château, d'une forêt et de grands arbres (2), qu'il est sujet aux inondations, rempli et environné d'eaux stagnantes et croupissantes; que le soleil n'y peut agir avec assez de force pour élever les vapeurs à la hauteur convenable; que les différents vents n'ayant pas un abord facile, l'air n'y circule pas d'une manière assez libre pour balayer tous les miasmes putrides qui sont le résultat des immondices accumulées; et que les brouillards y sont si fréquents qu'au moins la moitié de l'année ils viennent infecter l'intérieur des maisons; d'où il est naturel de conclure que cette ville est insalubre.

» L'eau est également mauvaise et malsaine. J'ai observé deux espèces de mauvaises eaux; l'une crue et pesante sur l'estomac, ne dissout pas le savon et ne cuit pas les légumes; elle est le produit de la filtration à travers les terres des eaux du canal et des différents ruisseaux qui traversent la ville; l'autre est une eau corrompue et infectée par toutes les transsudations qui se font tant des puits perdus et fosses d'aisances de la même maison que de celles des maisons voisines. On pourrait ajouter une troisième espèce de mauvaise eau, celle qui réunit les vices des deux autres ; et je suis persuadé que c'est la plus commune. D'après cela on ne doit pas être étonné que les habitants de cette ville aient si rarement de belles dents; que les femmes ne jouissent pas d'une carnation animée, mais qu'elles aient en général une figure pâle et défaite. L'affection scorbutique, les vapeurs, les rhumatismes y sont communs; et je crois pouvoir dire, sans rien avancer de trop, que presque tous les habitants, sans distinction d'âge, de sexe, d'état ni de tempérament, sont entachés d'un vice scorbutique plus ou moins grand. Aussi faut-il qu'un médecin qui pratique ici, ait égard à cette discrasie des humeurs dans le traitement d'une maladie quelconque, soit aiguë, soit chronique, parce que je suis persuadé que l'affection scorbutique y joue un rôle plus ou moins considérable et qui peut contre-indiquer certains remèdes.

Passons à quelque chose de plus particulier; la nuit du 26 au 27 novembre 1770, il est arrivé ici une inondation des plus désastreuses : de mémoire d'homme, Montargis n'en avait vu une semblable. L'eau s'est élevée, dans certains quartiers, jusqu'à une hauteur de dix ou douze pieds; et je me rappelle que nous autres médecins, nous faisions nos visites dans la ville partie à cheval et partie en bateau. Il y eut plusieurs maisons et plusieurs ponts renversés. Cette inondation a refroidi l'atmosphère, l'a surchargée de vapeurs humides, a laissé longtemps les traces de l'humidité la plus froide dans les appartements et même dans les rues. Elle a jeté tous les esprits dans la consternation et dans le découragement qui a été suivi d'une foule de maladies de toutes espèces, mais surtout de la fièvre miliaire. Ajoutez à ces causes la cherté des grains et l'extrême misère des habitants qui sont, en général et en tout temps, très pauvres. J'en ai vu obligés de se nourrir d'un mauvais pain noir, mal cuit, mal fermenté, dans la composition du quel entraient le blé noir, l'orge, l'avoine, même les balles et les légumes gâtés. J'ai vu d'autres malheureux réduits à un état de misère tel, qu'ils ramassaient dans les immondices des rues de quoi prolonger leur existence infortunée.

» Ce tableau de la misère humaine est d'autant plus attendrissant, que les couleurs sombres dont il est nuancé sont vraies; et qui peut mieux s'en apercevoir que le médecin ami de l'humanité !  

» C'est dans ce que je viens d'exposer que je trouve une cause commune et constante dont l'effet est de donner naissance dans tous les temps à la fièvre miliaire et qui, en prenant plus d'intensité, la fait régner épidémiquement. »

Je ne sais si le vif intérêt que m'ont inspiré les fragments que je viens de transcrire, sera partagé; mais j'avoue qu'en comparant le Montargis de 1770 à celui de 1855, je n'ai pu retenir un élan de reconnaissance envers la Providence qui, en éclairant l'humanité sur ses intérêts matériels, lui a permis de sortir enfin, grâces aux progrès de la science, de l'état de misère et d'abjection dans lequel elle s'est trouvée si longtemps retenue.

Nous ne pourrions non plus, sans manquer à la justice et à la reconnaissance, ne pas faire remarquer combien l'ouvrage de notre savant compatriote à dû répandre de lumière sur les causes de l'antique insalubrité de notre ville; et la lecture des pages précédentes, non moins que celle du chapitre consacré à l'exposé de la prophylaxie de la miliaire, démontrent de la manière la plus évidente que M. Gastellier avait eu le mérite de reconnaître et de prescrire tout ce qu'il fallait pour changer les fâcheuses dispositions de notre ville, et la débarrasser ainsi d'un fléau qui, en effet, ne s'est plus reproduit, depuis qu'une application mieux entendue de l'hygiène publique a fait élargir et désobstruer les rues, curer et encaisser les cours d'eau ; a contraint les particuliers à assainir leurs maisons et à y établir de faciles ventilations; enfin a modifié d'une manière si remarquable l'aspect de Montargis, que ce dernier semble maintenant n'avoir rien de commun avec le Montargis décrit par M. Gastellier.         

Cet exemple précieux des bienfaits de l'hygiène n'est il pas de nature à nous encourager dans la stricte observation des préceptes de cette science; et pourrions-nous, sans manquer à nos devoirs, retarder plus longtemps les nombreuses améliorations dont notre ville est encore susceptible?

L'important ouvrage dont nous venons de donner quelques extraits, ne tarda pas à appeler les honneurs sur la personne de son auteur. Devenu médecin consultant du duc d'Orléans et conseiller du Roi, M. Gastellier fut chargé en 1776, par le ministre Turgot, de travailler à la statistique du Gâtinais, et lui présenta un rapport sur l'Agriculture, le Commerce et les moyens qu'on pourrait employer pour assainir cette province; rapport que nous avons vainement essayé de nous procurer et qui eut, dit-on, un grand succès, auprès des économistes de l'époque.

Nommé maire de Montargis, en 1780, il en exerça les fonctions jusqu'en 1791, et, malgré les soins d'une clientèle absorbante, malgré les nombreux ouvrages et notamment les mémoires qu'il publia et dont presque tous furent couronnés par la Société royale de médecine, on le vit constamment s'occuper des intérêts de ses concitoyens, avec autant de zèle que de discernement (3).

Appelé en 1787, à l'Assemblée provinciale de l'Orléanais, il s'y distingua par l'étendue de ses connaissances et le don si précieux de présenter les faits d'une manière saisissante. Aussi le vit-on faire partie d'un grand nombre de bureaux, notamment de ceux du bien public et de l'agriculture. Enfin lors des premières élections municipales, qui eurent lieu en 1791, d'après les formes populaires de la nouvelle constitution, il fut réélu maire de Montargis à la presque unanimité (4).

Nommé cette même, année député du Loiret, à l'assemblée législative, et, comprenant trop bien ses devoirs pour consentir à cumuler deux fonctions matériellement incompatibles, il donna sa démission de maire. On nous saura gré de reproduire ici les termes dans lesquels cette démission fut donnée : nous les transcrivons tels qu'ils sont consignés sur le registre des délibérations du conseil municipal de l'époque.

« Ce jourd'hui 27 septembre 1791, je déclare qu'ayant été nommé le 4 du courant, premier député du Loiret, pour la prochaine législature, qui doit avoir lieu très incessamment, et qu'étant obligé de partir cette semaine pour Paris, à l'effet d'y vaquer à mes fonctions de représentant de la nation, je ne puis plus remplir celle de maire que j'occupe ici depuis près de onze ans consécutifs. En conséquence je prie mes confrères, messieurs les officiers municipaux et les membres du conseil général de la commune, de vouloir bien recevoir ma démission et pourvoir à la vacance de ma place, que ces circonstances impérieuses me forcent de quitter sans retard. Je prie aussi mes chers confrères de recevoir tous mes regrets et mes remerciements très humbles, de tous les témoignages  d'estime, d'amitié et de confiance, qu'ils ont bien voulu m'accorder dans toutes les circonstances de mon exercice; ma reconnaissance égale l'attachement le plus sincère que je leur ai voué pour la vie. "

Signé au registre, Gastellier, ancien maire. Durant ses nouvelles fonctions, M. Gastellier ne montra pas moins de capacité, de zèle et de désintéressement, qu'il ne l'avait fait pendant les onze années de sa magistrature municipale. Dans la séance du 21 avril, il fit hommage à l'assemblée, de cinq médailles d'or, qu'il avait obtenues en prix et de quatre-vingts jetons d'argent. Le 11 juillet, il s'éleva contre les pétitions dont l'assemblée était assaillie par. les habitants de Paris, et recueillit d'unanimes applaudissements, lorsque avec cette verve incisive qui le caractérisait, il représenta que quatre-vingt-deux départements n'avaient probablement pas envoyé des députés, pour écouter sans cesse les exigences du quatre-vingt-troisième.

Ses nombreux succès, la faveur populaire dont il avait joui longtemps, l'estime et la considération que ses talents lui avaient acquises auprès des savants et des hommes d'État, non moins que la fermeté et l'indépendance de son caractère, lui avaient attiré un grand nombre d'ennemis et d'envieux : aussi à l'époque de la terreur fut-il déclaré traître à la patrie et emprisonné comme tel à Montargis. L'extrait suivant du registre d'écrou de la prison de cette ville, ne permet pas de révoquer en doute, ce fait dont ne parlent pas ses biographes. « 26 frimaire an II, M. Gastellier, maire et le procureur de la commune de Douchy, de l'ordre du comité révolutionnaire. »

Mais il parait que cette première incarcération ne fut que de courte durée, et que M. Gastellier put se retirer à Sens, où il trouva d'abord dans les autorités locales, une protection contre le sort qui menaçait les constituants : toutefois arrêté bientôt comme suspect, il subit une détention de près d'une année et ne dut sa liberté qu'à la mort de Robespierre.

Ce fut pendant le cours de cette seconde détention, qu'il composa sa dissertation sur le supplice de la guillotine; dissertation dans laquelle il soutient contre l'opinion de Soemmering et de Sue, qu'après la décapitation et dans le moment même de l'exécution, le patient ne doit éprouver aucune douleur. Voulait-il ainsi raffermir son âme contre l'horreur d'un supplice, dont la menace planait nuit et jour sur sa tête et sur celles de ses compagnons d'infortune; ou ne faisait-il que céder au besoin toujours si pressant chez lui, de fournir un aliment à son intelligence? toujours est-il qu'il lui fallait une énergie peu commune, pour s'occuper en de pareils moments d'une théorie dont il pouvait à toute heure être appelé à expérimenter l'exactitude sur lui-même.

Mais en ouvrant les portes de sa prison, le 9 thermidor ne lui permit pas de reprendre le cours de ses travaux : il dut se tenir caché pendant plusieurs années, et, ce qui lui fut surtout pénible, laisser passer sans y répondre, les odieuses calomnies auxquelles il fut alors en but et qu'il combattit plus tard, par un mémoire justificatif adressé à ses concitoyens.

 Il put enfin revenir à Montargis et y retrouva l'estime et la confiance qu'il n'avait pas cessé un seul instant de mériter : puis après quelques années passées dans les fatigues de sa profession, sentant le besoin d'une vie moins active, il céda la place à son gendre, M. C. de Breuze, lui-même médecin des plus distingués, et vint se fixer à Paris où, après avoir passé les dernières années de sa vie entre les soins d'une clientèle choisie, les travaux du cabinet et les luttes académiques, il mourut à quatre-vingts ans, dans toute la plénitude de son intelligence, le 20 novembre 1821.

M. Gastellier était de petite taille; sa physionomie vive et intelligente, se faisait surtout remarquer par le développement du front, qui, mis à nu par les progrès de l'âge, lui donnait dans sa vieillesse, quelque ressemblance avec la tête si belle et si noble d'Hyppocrate (5).

Deux fois martyr de son zèle pour l'humanité et pour la science, il eut vers l'âge de quarante ans, une jambe brisée par suite d'une chute de cheval sur la glace pendant l'un des rudes hivers de la fin du dix-huitième siècle; et son impatience naturelle ne lui ayant pas permis d'attendre le temps nécessaire à la consolidation pour se débarrasser de l'appareil à fracture, il en résulta chez lui une claudication prononcée qui lui rendit pour toujours la marche très pénible.

Enfin quelques années avant sa mort, et à la suite d'un travail excessif de cabinet et de veilles prolongées, il fut atteint d'une ophtalmie très grave qui après avoir longtemps compromis les deux yeux, lui en fit perdre un sans retour. Pendant cette douloureuse maladie il reçut sous la direction du célèbre Dubois, les soins zélés et intelligents d'un jeune étudiant, qui devait plus tard occuper dignement la place qu'après M. Gastellier, son gendre M. de Breuze, avait laissé vacante à Montargis, et devint l'un des praticiens de notre ville qui eut l'honneur d'allier aux exigences d'une clientèle nombreuse et étendue, le plus grand nombre de fonctions importantes et de titres honorifiques : je veux parler du docteur Garnier, qui a laissé ici de si nombreux amis et de si honorables souvenirs.

Oncle par sa femme de notre célèbre auteur dramatique Picard, M. Gastellier n'eut que deux filles, toutes deux mariées à des médecins distingués. Au moment de la naissance de la plus jeune, il venait d'être couronné pour la cinquième fois, par l'académie de médecine de Paris : cette coïncidence lui suggéra l'heureuse idée d'appeler sa fille Saint-Prix; nom gracieux qui rappelle à tous ceux qui ont connu ma dame de Breuze, une des plus charmantes femmes qu'ait vu naître notre ville.

Du reste, plus avide de succès littéraires et académiques que d'argent, M. Gastellier exerça avec trop de désintéressement, un art généralement peu lucratif en province, pour s'être assuré une honorable aisance dans sa vieillesse ; et sa position fût peut-être devenue difficile, si peu de temps après son arrivée à Paris, il n'eût reçu avec le cordon de l'Ordre de Saint-Michel, une pension sur la cassette du roi Louis XVIII, homme de trop de mérite lui-même, pour ne pas être un juste appréciateur du mérite chez les autres.

En effet, M. Gastellier ne fut pas seulement un praticien distingué : la profondeur et la variété de ses connaissances l'ont placé dans un rang plus élevé. Son style auquel on peut reprocher un peu de diffusion, est souvent plein de force et de couleur, et peint généralement avec une grande exactitude son âme naturellement mobile, mais où dominent les sentiments les plus nobles et les plus généreux.

A ceux qui frappés de la forme quelquefois acerbe de ses critiques, seraient tentés de lui croire le coeur sec; je conseillerai la lecture de la lettre placée en .tête de son ouvrage sur la miliaire, et qui a pour moi tant de charmes, que je ne puis résister au désir  de la reproduire ici : il me semble qu'on y respire comme un parfum de l'amitié de Montaigne pour la Boëtie.

» A mon ami, M. Lemoine, docteur régent de la faculté de médecine, en l'université de Paris.

» C'est vous, très cher ami, qui m'avez déterminé par les motifs les plus généreux à rendre publiques ces observations sur une fièvre cruelle qui exerce ses ravages parmi mes concitoyens. Permettez qu'elles paraissent aujourd'hui sous vos auspices, et que je suive les mouvements d'un cœur qui vous est absolument dévoué, en vous offrant ce faible témoignage de ma tendre amitié.

» Quoique jeunes encore, il y a déjà longtemps que ce sentiment s'est emparé de nos âmes : je confesse avec un plaisir indicible qu'il communique à la mienne la volupté la plus pure; et jusqu'à présent vous m'avez toujours donné lieu de croire que la vôtre la partage puisse-t-elle être inaltérable et faire à jamais notre félicité commune!

» Mais pourquoi former des voeux que prévient l'heureuse certitude où je suis de posséder un ami vertueux et fidèle, auquel je puis dire avec sincérité : cher ami, les liens qui nous unissent font le charme de ma vie, je suis sûr qu'ils sont indissolubles; j'en ai pour garants les excellentes qualités de votre coeur et les preuves multipliées que vous m'avez données jusqu'à ce jour de l'attachement le plus sincère.

» En rendant hommage à l'ami véritable, je pourrais encore louer le médecin éclairé, vraiment instruit des devoirs de la profession la plus noble, et appliqué à les remplir dans toute leur étendue : la vérité présiderait sans doute à ces éloges, mais j'aime mieux les épargner à celui, qui, en les méritant, sait y attacher beaucoup moins de prix, qu'aux assurances d'une amitié égale à la sienne et que rien ne pourra jamais affaiblir. »

C'était surtout dans l'intimité que se déployaient les grâces et l'aimable malice dé l'esprit de M. Gastellier. Quoique bien jeune alors, l'auteur de cette notice, se rappelle avec un charme véritable l'époque où admis de la manière la plus bienveillante dans la modeste demeure qu'occupait notre savant compatriote, rue du Four-Saint-Germain, il y rencontrait l'élite des sommités médicales de l'époque; les Hallé, les Dubois, les Alibert ; M. Guersant, neveu de M. Gastellier et qui préludait dès lors à la belle position qu'il a occupée depuis dans le monde médical; des littérateurs et des artistes à la tête desquels se trouvait le spirituel auteur de la petite ville, des deux Philibert et de tant d'autres charmantes productions dramatiques. Tous honoraient en M. Gastellier le patriarche de la science, dont les années semblaient avoir respecté la belle intelligence. En effet, loin de se survivre à lui-même comme la plupart des hommes de son âge, il conserva jusqu'au dernier moment toute la force et toute la plénitude de ses facultés intellectuelles; et la maladie à laquelle il succomba, il l'avait contractée en revenant d'assister à une séance de l'Académie de médecine, dont il était l'un des membres les plus assidus.

Avant de donner ici la nomenclature des nombreux ouvrages de M. le docteur Gastellier, je suis heureux de, pouvoir appuyer l'opinion que j'ai émise sur sa valeur scientifique, du jugement porté sur lui par un homme qu'on ne soupçonnera pas d'une bienveillance partiale à son égard, M. Fournier Pesçay, l'un des critiques de l'époque avec lequel M. Gastellier eut le plus de lances à rompre et qu'il ne combattit pas toujours à armes courtoises , il faut bien l'avouer.

En rendant compte dans le journal universel des sciences médicales de l'ouvrage de M. Gastellier intitulé : Controverse médicale sur les métastases laiteuses et sur la péritonite, et en dirigeant contre lui la critique la plus vive, M. Fournier termine en ces termes

« Telle est l'histoire de M. Gastellier qui combat la péritonite avec la même ardeur dont Guy-Patin était animé contre l'émétique.

» Le médecin du siècle présent se sert des mêmes armes qu'employait celui du dix-septième siècle; cette analogie n'est pas la seule que je remarque entre ces deux hommes distingués; M. Gastellier a tout le savoir, tout l'esprit, toute la moquerie de l'ennemi de l'antimoine et des apothicaires; et si notre vénérable doyen fût né sous Henri IV, s'il eût vécu sous Louis XIII et sous Louis-le-Grand, il eût été tout ce que fut Guy-Patin. »

Enfin, je terminerai ce travail par l'appréciation d'un juge plus moderne, mais non moins compétent, du savant Dezeimeris qui finit ainsi la courte notice que, dans son dictionnaire historique de médecine, il consacre à notre compatriote :

« Quoique entachés de vieilles théories, les ouvrages de M. Gastellier sont d'un habile praticien qui a beaucoup vu et mérite d'être consulté .

LISTE DES OUVRAGES DE M. GASTELLIER
 
D'APRÈS LEUR ORDRE CHRONOLOGIQUE.

 1° Traduction des Principes de Médecine de Home, Montargis, 1772, in 8.

2° Avis à mes concitoyens, ou essai sur la fièvre miliaire essentielle , avec quelques observations; Paris, 1773, in-12.

3° Histoire d'un enfant monstrueux en tous genres, par laquelle il est physiquement démontré que l'enfant peut se nourrir et croître dans le sein de sa mère, sans le secours du cordon ombilical; Journal de médecine, 1773, tome 39.

4° Observations sur la végétation d'une espèce de corne de bélier qui avait pris naissance à la partie inférieure du temporal gauche d'une femme octogénaire; Histoire de la Société royale de médecine, pour l'année 1776.

5° Mémoire, sur la topographie médicale et sur l'histoire naturelle du Gâtinais, couronné par la Société royale de médecine et inséré dans les mémoires de cette société pour l'année 1779.

6° Traité de la fièvre miliaire chez les femmes en couches, ouvrage couronné par la Faculté de Médecine de Paris; Montargis, 1779, in-8.

7° Mémoire sur les maladies auxquelles sont sujets les bestiaux dans le Gâtinais, couronné par la Société royale de médecine et inséré parmi ceux de cette société, pour l'année 1780.

8° Mémoire contenant une série d'observations météorologiques, nosologiques, etc., ainsi qu'un précis historique des épidémies qui ont régné pendant douze ans dans le Gâtinais, couronné par la Société royale de médecine et inséré parmi ceux de cette société pour 1783.

9° Annus physicus, annus medicus, mémoire couronné par la Société royale de médecine et inséré parmi ceux de cette société pour 1783.   

10° Traité sur les spécifiques en médecine; Paris, 1783, in-8.

11° Traité de la fièvre miliaire épidémique; Paris, 1784.

12° Histoire d'une épidémie du genre des. catarrheuses putrides, des plus, graves, et des plus contagieuses; mémoire couronné par la Société royale de médecine; Orléans, 1787, in-8; et dans l’histoire de la Société royale de médecine pour 1785.

13° Note des ouvrages sur le magnétisme animal qui se trouvent chez lui.

14° Histoire de l'épidémie de Ceriziers, Theil et Vaumart.; Sens, 1795, in-8.

15° Dissertation sur le supplice de la guillotine ; Sens, an IV (1796) , in-8.

16° Observations et réflexions relatives à l'organisation actuelle de la médecine; Paris, 1806, in-4.

17° Des maladies aiguës des femmes en couches; Paris, 1812, in-8.

18° Notice chronologique de mes ouvrages, depuis 1771 jusqu’à ce jour; Paris, 1816.

19° A mes concitoyens ; Paris, 1816, in-8.

20° Controverse médicale sur les métastases laiteuses et sur la péritonite; Paris, 1817, in-8.

21° Suite des controverses médicales; Paris, 1818, in-8.

22° Exposé fidèle des petites véroles survenues après la vaccination, suivi d'observations sur la petite vérole naturelle, sur la petite vérole artificielle et sur la vaccine; Paris, 1819, in-8.


Notes :

(1) On voyait encore dans ces derniers temps, au chàteau des Bourgoins, qui fut l'habitation du docteur Trioson, ancien collègue de M. Gastelier, une assez pauvre caricature, due pourtant au crayon de Girodet, qui, sans doute sous l'inspiration de son père adoptif, avait essayé contre M. Gastellier, cette verve satirique, dont précédemment il avait fait preuve avec plus de bonheur, à l'égard d'une actrice célèbre de l'époque.

(2) Les ormes magnifiques qui garnissaient alors le Pâtis, et que, dans un but d'hygiène et d’intérêt pour les finances de la ville, M. Gastellier, devenu maire, fit abattre plus tard.

(3) Le recueil des délibérations municipales de l'époque constate les nombreux travaux de M. Gastellier comme maire, travaux, dent une partie spécialement remarquable, a été reproduite dans l'un des précédents bulletins, par notre si regrettable président M. de Girardot.

(4) A l'occasion de cette nomination populaire, le fougueux Manuel, notre trop célèbre compatriote, avait ajouté à une lettre écrite par lui, à la Société des Amis de la Constitution de Montargis, le post-scriptum suivant : • J'aurai bonne idée d'une ville qui a choisi M. Gastellier pour maire, s'il lui rend l'Honneur qu'elle lui fait; mais je dois, puisque je l'estime, le prévenir que c'est être aristocrate, que de censurer et d'approuver des affiches ; n est-ce pas à moi à répondre de mes pensées et à l'imprimeur à répondre de moi? »
M. Gastellier répliqua par une lettre pleine de finesse et de convenance et qu'on me saura gré de transcrire ici tout entière « Je suivrai avec plaisir, monsieur, le conseil que vous me donnez de ne plus signer à l'avenir, les affiches de Montargis, quoique bien j'en aie le droit ; je suivrai ce conseil avec: d'autant plus de plaisir, que vous me le présentez avec une honnêteté infinie et que vous l'appuyez de bonnes raisons. Si j'ai continué un usage qui m'a été transmis par mes prédécesseurs, c'est que j'avais pour moi ce qu'ils n'avaient pas pour eux, votre exemple. J'ai dans ma bibliothèque une brochure censurée, approuvée et signée Manuel, administrateur de la police. Quoique cet opuscule ait paru précisément à l'époque de la conquête de la liberté et dans le fort de la liberté de la presse, je n'en ai pas tiré les mêmes conséquences que vous; vos principes m'étaient connus comme vous connaissez les miens; mais ce que vous ne connaissez pas, c'est l'étendue des sentiments d'estime avec lesquels je suis, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur. . "
C'était un rude coup porté avec autant d'adresse que de tact. Manuel essaya vainement d'y répondre : sa lettre dans laquelle perce un embarras mal dissimulé, n'est remarquable que par ces dernières lignes, qui peignent admirablement l'homme et l'époque :

"J'ai l'honneur d'être, monsieur, non pas votre très-humble serviteur, je ne le suis de personne; mais un de ceux qui vous estiment et qui vous aiment."

(5) Le Musée de Montargis possède de M. Gastellier, un bon portrait et un autographe assez curieux. Le premier est un don de la famille de notre savant compatriote; le second, trouvé dans les archives de la Mairie, est ainsi conçu :
 
Je soussigné, Réné-Georges Gastellier, né a Ferrières, en octobre 1744, déclare que j'ai fait mon cours de philosophie a Paris, au collège de Laon, pendant les années 1761 et 1762; que j'ai pris mes inscriptions aux écoles dé la Faculté de Médecine de Paris en 1763, 1764 et 1765 ; qu'en 1765 j'ai été reçu maître ès-art, et, en 1766, maître en chirurgie pour la ville de Montargis; qu'en janvier, février, mars et avril 1770, j'ai pris mes grades de bachelier, licencié et docteur en médecine à la faculté de Reims, qu'a ce titre, j'ai été présenté et installé comme faisant corps avec l'ordre des avocats le 15 mai 1670, et prêté serment au bailliage et présidial de Montargis, département du Loiret.
  
» A Montargis, le 13 fructidor an IX.
. GASTELLIER,
« Membre de plusieurs sociétés savantes. » 
Au-dessous est écrit

» Vu et vérifié par nous, Maire de la ville de Montargis, le 21 fructidor an IX de la République française.

»  HUETTE. »


L'AUTOMNE

A M. le baron de GIRARDOT, ancien sous-préfet de Montargis, secrétaire général de préfecture à Nantes.

 

M. le baron de Girardot, sous-préfet de Montargis, est nommé secrétaire général de préfecture à Nantes.
           
Moniteur.- Octobre 1854.

Je vis avec l'espoir d'aller voir cet automne notre cher Montargis. 
Lettre de M. de Girardot à M. le Maire de Montargis. - Mars 1855.

 Automne, mère vermeille,
Toi, dont la verte corbeille
Nous verse un si doux trésor;
Toi, qui suspends à la treille
Des grappes de pourpre et d'or!
Naguère nous t'avons vue
Passer comme une inconnue
Aux portes de nos cités,
Et t'envoler triste et nue
De nos coteaux dévastés.
Le fléau dont l'aile sombre
Jeta sur des fronts sans nombre
Le voile d'un deuil fatal,
Effraya-t-il de son ombre
Ton cortège triomphal ?
Ou bien, folle vagabonde,
Peut-être à travers
le monde
Tu courais, en souriant,
Rafraîchir ta tête blonde
Aux brises de l'orient.
En fuyant, ton souffle aride
A laissé le cellier vide
Et le vigneron en pleurs :
Tes fruits ont trahi, perfide,
Les promesses de tes fleurs !
Ce méfait qui nous irrite
Nous l'eûssions pardonné vite;
Mais, pour comble à nos douleurs, 
Pourquoi ravir, à ta suite,
L'homme cher à tous nos coeurs.
Le bras qui fut notre égide,
L'esprit, qui fut notre guide
Et le coeur qui nous aimait,
Dis-nous, ô déesse avide,
Déesse, qu'en as-tu fait?
Les petits enfants demandent
Où sont les mains qui répandent
Plus doucement le bienfait
Que les mamelles ne tendent
Leurs blanches sources de lait.
Où sont les anges fidèles
Qui
les couvraient de leurs ailes
Comme l'oiseau ses petits? 
Las! avec les hirondelles   
Les bons anges sont partis!
Reviens, ô mère vermeille,              
Remplis pour nous ta corbeille         
Des doux fruits de ton trésor,           
Toi qui suspends à la treille              
Des grappes de pourpre et d'or !
Reprends, ô féconde automne,
Les festons de ta couronne,
Tes festons de pampres verts;
Ton sourire qui rayonne
Au seuil glacé des hivers.
Le pâtre qui dans la plaine
Puise à la source malsaine;
Le pauvre par les chemins,
Qui boit l'eau de la fontaine
Dans le creux de ses deux mains;

Dans le palais, sous la tente, 
Une place à ses festins.
De l'abondance promise, 
De l'abondance reprise, 
Rends-nous l'éclat effacé; 
Que l'avenir cicatrise
Les blessures du passé.
Pour qu'au foyer domestique
Résonne en chœur l'hymne antique
Et l'Evohé ! triomphal,
Remplis la cruche rustique 
Et l'amphore de cristal.
Mais si tu veux, blonde automne,
Que notre coeur te pardonne
Tes injurieux mépris,
Qu'une de tes mains nous donne
Ce que l'autre nous a pris.
Le vigneron que l'aurore
Sur les coteaux qu'elle dore
Voit se courber plein d'ardeur,
Et que le soir trouve encore
infatigable au labeur;
Au milieu de nous ramène
Des bords où, comme une reine,
La Loire aux flots argentés
Roule superbe et sereine,
Nos hôtes tant regrettés!
Tous, hélas! sont dans l'attente!
Chacun, déesse inconstante,
T'offre, selon ses destins,
Fais sur le char des vendanges
Tout résonnant de louanges
Et de pampres agités,
Une place à nos bons anges,
Une place à tes côtés.
Rends-les nous, mère vermeille,
Toi qui suspends à la treille
Des grappes de pourpre et d'or; 
Pour nous ta verte corbeille
N'a pas de plus doux trésor !

Montargis. - Avril 1855.
A. LEVAIN.


Montargis.- Imprimerie de Chretien.



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