Le douzième numéro
du bulletin de la Texte intégral
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1860 |
BULLETINS
DE LA SOCIÉTÉ D'ÉMULATION DE
L'ARRONDISSEMENT DE MONTARGIS.
N°
XII.
NOTICE
SUR
L'ORGANISATION
MUNICIPALE DE
LA VILLE DE MONTARGIS EN 1552
par
le baron DE GIRARDOT
secrétaire général de la préfecture de la Loire-Inférieure ancien sous-préfet
de Montargis
La
ville de Montargis conserve dans ses archives un document précieux pour son
histoire municipale : c'est l'acte par lequel elle modifia, en 1552, de son
plein pouvoir, sans autorisation royale, sans aucun contrôle, le mode de son
administration.
Jusqu'alors,
les affaires de la ville étaient réglées par des assemblées générales des
habitants convoqués à son de trompe, auxquelles assistaient les quatre échevins-gouverneurs,
le bailli, l'avocat du roi au bailliage, le prévôt, le maître des eaux et forêts,
le grainetier à sel , le concierge de l'hôtel de ville et le contrôleur. Les
dernières délibérations de ces assemblées générales qui nous soient
parvenues sont relatives au droit d'usage dans la forêt, aux fortifications, à
la prétention de la ville d'Orléans de faire supprimer le bailliage de
Montargis, à une imposition extraordinaire dont le payement était exigé par
le roi et refusé par les habitants qui avaient vu mettre leurs échevins en
prison, jusqu'à ce qu'ils en eussent payé d'avance les deux premiers termes;
enfin, au refus de contribuer avec Orléans, aux frais de la levée de 50,000
hommes, ordonnée par le roi en 1552.
Malgré
l'importance de ces affaires, l'indifférence publique laissait les assemblées
désertes, ce qui détermina les habitants à changer, de leur propre autorité,
l'ancien état de choses, par une délibération qui existe encore sous la forme
d'un procès-verbal dressé par le garde du scel et prévôté de Montargis, en
présence de deux notaires royaux.
Devant
les notaires comparaissent les gouverneurs et échevins de la ville, le
lieutenant-général au bailliage; l'avocat du roi, un membre de l'élection
(tribunal auquel ressortissaient les matières d'impôt) l'avocat et le
procureur de la ville, et trente-et-un manants
et habitants représentant la plus grande et saine partye des dits habitants. Ces
notables étaient convoqués à son de
trompe et cri public, par
le trompette de la ville, et par un sergent royal dont l'exploit était inséré
textuellement au procès-verbal.
C'était
l'ancienne assemblée générale, la même qu'il s'agissait de supprimer; rien
n'indique quelles conditions il fallait remplir pour être membre de ces assemblées.
Les
gouverneurs et échevins exposèrent qu'il était nécessaire d'élire vingt
notables personnages, quatre pour chacun des cinq quartiers de la ville, pour «
avec eulx , traicter et délibérer des affaires et négoces qui surviendront
à la dicte ville; » et leurs décisions obliger tous les habitants,
comme si elles avaient été prises en assemblée générale, et cela pour éviter
ces assemblées dont la convocation était fréquemment nécessaire, et
auxquelles les gouverneurs et échevins assistaient seuls, malgré toutes les
instances qu'ils pouvaient faire auprès des habitants, ce qui mettait les intérêts
de la ville en souffrance.
Cette
nécessité fut reconnue; il fut décidé qu'il serait élu vingt notables pour
traiter et délibérer des affaires de la ville, avec les quatre gouverneurs-échevins.
L'élection
devait se faire en assemblée générale, tous les deux ans, en même temps que
celle des gouverneurs-échevins. La convocation se faisait sur l'ordre des échevins,
aux époques déterminées par eux, par la voie du clerc de la ville, la veille
du jour indiqué. La présence de treize membres était nécessaire pour la
validité des délibérations.
Voici
le procès-verbal de cette assemblée :
« A
tous ceulx qui ces présentes lettres verront, Joseph Dumez , licencié en loix
, advocat au bailliage de Montargis et garde du scel et prévosté de Montargis,
salut : sçavoir faisons que ce jourdhuy datte de ces présentes en l'assemblee
faicte en l'hostel de la ville de Montargis pour les affaires urgentes d'icelle,
en la présence de Anthoine Dagan et Jehan Paliceau, notaires royaulx audict
Montargis, sont comparuz honnorables hommes Guillaume Maltyn, François
Guillemyn et Guillaume Locseau, gouverneurs et eschevins de la ville
de
Montargis, honnorable homme et saige maistre Pierre Marchant, licencié en loix,
lieutenant général au bailliage dudict lieu ; honnorables hommes et saiges
maistres Denis Dumez, advocat pour le roi, nostre sire, audict Montargis;
Nicolle Le Pyat, esleu pour ledict seigneur audict lieu; Pierre Bardin , advocat
audict lieu; Jehan Paillet, procureur; Charles Volturier, procureur des manants
et habitants dudict Montargis, Loup Thuilleau, Jehan Ramyer, Estienne Carre,
Pascal Baudoyn , Martin Chambon, Estienne Basset, Nycolas Bourdin, Nycolas
Berger, Pierre Poictevin le jeune, Marc Duboys, Jehan. Brugnet, dict Grougnon,
Jehan Bourdin, Clement Chaudère, Guillaume Girault, Robert Cousin, Jehan
Millacyer, Jehan Giblet le jeune, Jehau Giblet l'aisnel, Pierre Tartarin le
jeune, Jehan Caillat, Pierre Regnard, Jehan Pigaillot, Jehan Robert, Pierre
Ducharme, David Ballant, Marin Pillonneau, Jullian Bicot, Pierre Belveche,
Pierre Roddet , khan Dupuys et Estienne Changy, boucher, tous manans et habitans
dudict Montargis, faisans et représentans la plus grande et sayne partie
desdicts habitans, tous convocquez et appelez à son de trompe et cry public par
Jehan Barroys, sergent royal audict Montargis, ainsi qu'il est apparu par son
exploict en datte du jour d'hyer, septiesme de ce présent moys; duquel exploict
la teneur en suit ;
"
On fait assavoir que tous les manans et habitans de la ville de Montargis
ayent à comparoir et eulx assemblés demain , en la maison de ladicte ville,
yssue de prime, pour délibérer des affaires d'icelle, aussi pour nommer et
eslire vingt ou trente
personnes, si mestier est, et se trouve utille, des capables et ydoynes, pour
estre désormais le conseil de ladicte ville, avec lesquels ou la plus
grande partie d'iceulx , les gouverneurs et eschevins de ladicte ville pourront
conclure des affaires d'icelle, sans ce que il soit nécessaire faire autres ou
plus grandes assemblées , déclarant que sur ce qui en dépend sera proceddé
en l'absence d'iceulx qui ne se trouveront comme s'ils y étaient présens. Je
soubssigné certiffye avoir cryé et publié par les carrefours de ceste ville
de Montargis , lieulx accoustumez à faire criz, et moy Estienne Lebrun ,
trompette de ladicte ville , le sarnedy septiesme jour de janvyer, mil cinq cent
Cinquante et deux. Ainsi signé J. Barroys. »
"
Auxquels habitans , par l'organe desdicts gouverneurs a esté
dict et remonstré qu'il estoit besoing et nécessaire eslire vingt notables
personnages pour les cinq quartiers de ladicte ville, à chascun quartier quatre
, pour avec eulx , traicter et délibérer des affaires et négoces qui
surviendront à la dicte ville, et selon ce que par eulx sera conclud et délibéré,
le suivre et accomplir par lesdicts habitans, tout ainsi que si par tous
lesdicts habitants avaient esté conclud et délibéré en assemblée générale,
et ce pour éviter aux assemblées qu'il convient faire de jour en jour,
esquelles ne se trouvent que les gouverneurs, et ne tiennent lesdicts habitans
compte eulx y trouver, quelques instructions qu'on leur sache faire ; tellement
que les affaires de ladicte ville ne peuvent estre traictées ne exécutées,
tous lesquels cy dessus nommés et autres qui sont survenus en ladicte assemblée,
ont esté d'advis, conclud et délibéré qu'il sera dict et veullent désormais
estre esleuz vingt notables personnages, asscavoir de chascun quartier quatre,
pour avec lesdicts quatre gouverneurs de ladicte ville, traicter, délibérer et
conclure des affaires et négoces d'icelle, toutes fois et quantes qu'il en
adviendra, et qu'ils seront assemblez pour ce faire. De tout ce qui sera par
eulx faict, dict, conclud, délibéré et advisé, sera faict, conclud, arresté,
entretenu et exécuté.; pourveu toutefois qu'ils soient desdicts vingt jusques
au nombre de treize, avec lesdicts gouverneurs. Lesquels vingt personnages
seront convocquez et appellez par le clerc de ladicte ville, le jour précédent
que se fera l'assemblée; auquel clerc lui sera enjoint ce faire par lesdicts
gouverneurs; lequel clerc rapportera fidellement ladicte convocation qu'il en
aura faicte et aux personnages qu'il aura parlé. Et lesquels vingt personnages
esleuz demeuront audict conseil dujourdhuy jusques au dernier dimanche du moys
d'avril prochain, et dudict jour en deux ans, et de la s'éliront de deux ans en
deux ans avec l'élection desdicts gouverneurs, et sans
ce que par cy après, il soit requis faire aultre convocation desdits habitans
pour quelque affaire que ce soit, sinon pour eslire les dicts gouverneurs, ou
que par les dessusdicts esleus et gouverneurs, feust advisé estre expédient de
ce faire. Et tout ce qui par eulx aura esté faict, comme dict est, lesdicts
habitans le tiennent pour bien et deument faict, promettant ne aller ou venir au
contraire en aulcune manière, et l'avoir pour bien agréable, comme si par eulx
avoict esté faict. De faict, et en exécutans ladicte ordonnance , lesdicts
habitans se sont assemblez, chascun en son quartier, en la manière accoustumée,
lesquels ont respectivement esleu assavoir
Pour
le quartier de la Porte aux Moynes , noble
homme et saige maistre Jehan Gaillard , conseiller du roy, nostre sire, bailly
de Montargis , ledict maistre Denys Dumez , advocat pour le roy, nostre sire, au
dict lieu; Nicolas Carpet et Jehan Gaiget, marchans.
Pour
le quartier de la Porte de Loing , ledict
maistre Nicolle le Pyet, esleu ; maistre Pierre Chappeau, procureur; Estienne
Carré et Augustyn Lecoincte, marchans.
Pour
le quartier de la Porte du Pestilz, ledict
maistre Pierre Marchant , lieutenant-général; noble homme et saige maistre
Jehan Genffroneau , prévost dudict Montargis ; honorables hommes maistres Simon
Levesque, procureur du roy, et Guillaulme Herbereau, procureur
controlleur du magasin et grenier à sel establi audict lieu.
Pour
le quartier de la Porte de la Sezanne, honorables
hommes Jehan Duchesne, Jehan Lescullyer, Jehan Bourdin et Robert Cosin, marchans.
Pour le quartier de la Porte du Chasteau, lesdicts maistre Pierre Bardin, advocat ; Jehan Paillet, procureur; Pierre
Portevyn l'aisnel et Guillaulme Garrault , marchans ; tous demenrans audict
Montargis. Tous lesquels esleuz seront adjournez à mardy prochain, à la
requeste du procureur des habitans dudict Montargis, pour prester et faire le
serment, en tel cas requiers et accoustumé, de bien fidellement et diligemment
consulter et délibérer des affaires et négoces de la dicte ville, de laquelle
ordonnance conclusion et délibération lesdicts Maltin, Guillemyn et Loiseau.
gouverneurs dessus dicts présens, ont requis lecture qui leur a esté octroiée
par ces présentes, pour leur servir et valloir en temps et lieu, ce que de
raison, le huistiesme jour de janvier, l'an 1552.
« Signé : PALICEAU,
DAGAN. »
On
voit que les cinq quartiers de la ville prenaient les noms de la Porte aux
Moines, de la Porte du Loing, de la Porte du Pâtis, de la Porte de la Sezanne,
de la Porte du Château. Ces noms empruntés à ses fortifications convenaient
bien à une ville qui avait si bien su les défendre contre l'ennemi.
Le
premier acte du nouveau conseil qui nous soit resté a pour but de régler
l'emploi du produit d'un don du roi, qui, le 3 mars 1552, avait accordé à la
ville vingt deniers tournois, à prendre sur chaque minot de sel vendu au.
magasin du grenier à sel de cette ville, et ce, pendant quatre ans, à la
charge de les employer à la réparation des murailles , fortifications et
tours, dégradées par un violent incendie , et notamment la porte du Loing qui
tombait en ruines. C'était un acte de justice de conserver ces murs, encore
debout aujourd'hui, qui, à leur jour avaient été un moment le rempart de la
nationalité française.
Le
29 septembre 1553, les eslus furent convoqués par les gouverneurs « pour éviter
à l'éminent péril du danger de peste, qui est déjà en plusieurs lieulx de la
ville, mesmes en la rue de la Cour Jehan
Dupont. » Ils demandèrent, et ce fut décidé " qu'on fit eslire ung
homme d'église, ung barbier, deux pourteurs et une femme pour pancer et médicamenter
les mallades de ladicte malladye de peste, confesser et ensepvellir et enterrer
iceulx malades quand besoin sera, auxquels seront baillé gages, des deniers de
ladicte ville. » L'assemblée décida que commandement serait fait par les
notaires aux vicaires de l'église de la Madeleine, aux barbiers et aux
chirurgiens, de s'assembler pour élire chacun un des leurs. Un manoeuvre,
Christophe Gayet , demeurant au faubourg du Martroy, consentit, moyennant douze
livres par mois pour lui et son aide, à porter et enterrer les morts au cimetière.
On lui donna en outre pour sa vie durant, l'usage de la maison et des jardins
destinés aux pestiférés, et le privilége de
l'office de fosseyeur , exclusivement à tout autre. Il devait être payé 2
sols parisis par fosse, et 12 deniers pour celles des enfants. Une femme se
chargea de panser les malades moyennant 100 sols par mois.
Les
gouverneurs et les deux notaires de la ville allèrent convoquer à domicile les
barbiers, et leur notifier la résolution du conseil; il leur fut répondu qu'un
arrêt avait établi qu'en pareil cas, il n'en serait décidé que par le sort..
L'absence d'un des chapelains ne permit pas à cette communauté de répondre à
la notification.
En
finissant cette citation, on est heureux de faire remarquer que dans de
douloureuses et récentes circonstances, qui rappellent les malheurs de 1553,
l'autorité n'eût pas à recourir à ces tristes expédients pour assurer aux
mourants et aux morts, les soins du corps et de l'âme, et les derniers
honneurs.
GIRODET
CONSIDÉRÉ
COMME ECRIVAIN
Tous
les arts sont frères et se donnent la main, et jamais peut-être, cette
confraternité ne s'est montrée plus intime qu'entre la peinture et la poésie
Plusieurs peintres illustres, en effet, ont été en même temps des poètes
remarquables. Ainsi, Léonard de Vinci, heureux dans tous les arts, à la fois
peintre et poète, architecte et musicien; ainsi Michel-Ange, ce rude génie,
ciselait des sonnets de cette même main qui pétrissait dans le marbre tant
d'immortelles statues. Ainsi , Salvator, le Guelfe proscrit, aiguisait des
satires brûlantes, plus acérées que son poignard; ainsi tant d'autres.
A
leur exemple, Girodet doué de cette activité dévorante qui se refuse à
l'inaction se créait, dans un art ami du sien, de studieux loisirs, et se
reposait du travail au sein du travail même : la plume le délassait du
pinceau.
Le
génie a droit de cité dans tout l'univers, a dit quelqu'un ; mais Girodet
n'est pas seulement un peintre illustre, c'est un compatriote et tout ce qui
nous vient de lui, éclairé de ce double reflet de gloire et de confraternité,
doit nous être doublement recommandable et doublement précieux.
De
toutes les oeuvres littéraires que nous a léguées Girodet, la plus importante
est, sans contredit, son poème Du Peintre. C'est celle, en effet, qui lui
appartient le plus entièrement par
le
fond. Destinée et presque livrée à la publicité, c'est celle qui lui a coûté
le plus de recherches, le plus de travail ; c'est celle sur laquelle il a fait
reposer toutes ses complaisances; c'est celle enfin qui par la nature même de
son sujet semblait le mieux se prêter à ses inspirations.
Voici
une rapide esquisse de ce poème.
L'auteur
l'a divisé en six chants.
Au
début , le poète célèbre l'origine de la peinture, et nous montre l'Amour,
créant par la main de la jeune Dibutade, cet art depuis si fécond en
merveilles. Il nous fait voir ensuite le peintre, entraîné dès son enfance par
l'irrésistible vocation, surmontant tous les
obstacles, et conquérant enfin la couronne de tous ses efforts, la réalisation
de tous ses rêves, le grand prix de Rome! Ici commence un pèlerinage
artistique qui n'occupe pas moins des quatre premiers chants. Les Alpes d'abord
et leurs magiques paysages; l'Italie, et dans l'Italie, Milan, Florence, Rome,
Rome surtout avec ses monuments impérissables de l'art antique et de l'art
moderne; l'Italie avec sa pléïade de noms immortels : Léonard de Vinci ,
Titien , Le Corrége , L'Albane, Dominiquin, les Carrache, Ghiberti, Michel-Ange
; la jeune Rome peuplée des monuments de Rome ancienne : le Capitole et le
Colysée, le Temple de Mars et les tombeaux des Césars, Saint-Pierre de Rome et
Michel-Ange, le Vatican et Raphaël ! Puis tous les trésors de la sculpture :
le Jupiter olympien, la Vénus de Médicis, l'Hercule Farnèse, Mercure,
Bacchus, Diane, Laocoon, l'Apollon du Belvédère; toutes les divines créations
de l'art plastique! Quelle mine féconde! quelles sources vives pour l'étude et
l'inspiration!
Mais
elles ne sont pas les
seules: l'amitié, la solitude, l'observation des passions, des habitudes,
des ridicules, des physionomies, la science de l'homme et des moeurs; la nature,
la grande nature aux beautés éternelles; le ciel et ses nuages; la mer et ses
tempêtes ; l'agriculture et ses travaux et ses fêtes ; la guerre et ses champs
de bataille ; la paix et ses arts; l'industrie et ses merveilles; la science et
ses découvertes ; le beau, et le vrai qui n'est que la splendeur du beau. Voilà
les sources où le génie du jeune artiste, doit puiser sans cesse, et sans
cesse s'abreuver.
Après
cette halte poétique, il reprend son essor à travers l'Italie : il s'arrête
devant les Apennins, aux rudes mais magnifiques aspects: le voilà à Venise, au
pied du Vésuve, en Sicile, au sommet de l'Etna ; il parcourt la Grèce aux
souvenirs homériques ; l'Égypte des Pharaons avec ses obélisques mystérieux
, et ses pyramides vieilles de quatre mille ans ; la Jérusalem chrétienne;
l'Irlande, la verte Erin drapée dans ses lambeaux et couronnée de verts
feuillages ; l'Écosse où dorment sur les pitons nuageux des montagnes, au fond
de leurs palais de glace et de frimats, les vieux héros et les vieux bardes
ossianiques ; puis enfin, il revoit la France, il la revoit riche de tous ces
souvenirs, de toutes ces études, de toutes ces méditations.
Le
voilà de retour: il prend sa place dans la vie et dans la société. Quelle
boussole le dirigera sur cette mer plus semée d'écueils que celles qu'il
vient
de parcourir. Le poète lui donne des conseils étayés sur des exemples. S'il
recherche la célébrité,
De
tous les faux bonheurs, le plus cher acheté
(une
pensée vraie dans un beau vers), qu'il ne l'achète du moins que par des moyens
dignes d'un artiste et dignes d'un homme. Qu'il soit modeste, sans abjurer la
noble fierté de l'artiste, et sans redouter l'envie. S'il s'appelle Lesueur ou
Le Puget, il ne trouvera pas toujours devant lui des Lebrun ou des Girardon.
Qu'il soit désintéressé ; la gloire vaut bien la fortune, et à défaut de la
gloire, l'amour qui aime le génie, l'amour le consolera de ses déceptions, et
le payera de ses labeurs : ici venait se placer naturellement l'épisode de
Campaspe et d'Apelle, et l'ingénieuse allégorie de Pygmalion.
Enfin,
dans le sixième chant, le poète jette un coup d'œil sur l'histoire de l'art
et de ses monuments. Il dit la Grèce antique et sa théogonie; Rome payenne, héritière
des dieux de la Grèce; Rome chrétienne et les nouveaux horizons qu'elle ouvre
au génie du peintre; puis, le sommeil de l'art ; les persécutions et les
ruines; les barbares et les iconoclastes, plus barbares encore ! Mais au
milieu de toutes ces scènes désolantes brillent quelques beaux traits , se dévoilent
quelques beaux caractères : Protogènes qui sauve Rhodes. Callot qui refuse
noblement de consacrer la honte de sa patrie. - Enfin, il chante la vieillesse
glorieuse du peintre, entouré de ses élèves comme d'une couronne de rejetons
qui perpétueront sa gloire et ses leçons, et termine par l'éloge dit divin
Raphaël, mort si jeune, et déjà si riche d'immortalité.
Tel
est le fond de ce poème, descriptif plutôt que didactique, où les détails
multipliés nuisent à l'ensemble et le dissimulent , où les arbres, selon
l'expression pittoresque d'un poète allemand, empêchent de voir la forêt. Au
lieu d'une de ces grandes pages dont l'œil saisit d'un regard les lignes sévères
et harmonieuses, on ne trouve qu'une série de tableaux de genre, dont la
multiplicité et l'uniformité distraient et fatiguent l'attention. Dans cet
essai d'un autre art, Girodet n'a pas assez oublié le sien , et il a pris trop
au pied de la lettre ce mot d'Horace : la poésie est une peinture, ut pictura
poesis.
Et
d'ailleurs que de lacunes! du dessin, du coloris, de la composition, de la
partie théorique de l'art, pas un mot ; pas un vers sur l'influence morale et
profondément civilisatrice des arts en général, et de la peinture en
particulier. Il y avait là cependant, ce nous semble, une question large et féconde
en poétiques développements.
Ce
poème, comme Girodet nous l'apprend lui-même, avait d'abord été conçu sous
une autre forme, et divisé, sous le titre modeste de Veillées,
en
six parties,
dont les principaux passages ont été refondus ou enchâssés dans le poème Du
Peintre. Il est à regretter qu'il n'ait pas fait de plus larges emprunts à ce
premier jet, qui au milieu d'incorrections et de défaillances nombreuses, offre
cependant des traits heureux et des passages pleins d'une verve qui ne se
retrouve pas toujours dans l'œuvre principale. La première et la dernière Veillée
surtout, renferment une série de
jugements sur les principaux peintres de toutes les écoles et de toutes
les époques, et des préceptes qui rappellent quelquefois dans la tournure du
vers, la manière de Boileau dans ses Épîtres et dans son Art poétique. Ainsi
se trouverait comblée une des lacunes regrettables que nous signalions dans le
poème Du Peintre.
Si
du fond, nous passons à la forme, Girodet n'eût-il pas témoigné en cent
endroits de l'admiration enthousiaste qu'il éprouvait pour Delille, qu'il
suffirait de lire une seule page de ses écrits, pour se convaincre qu'il
appartient à cette école dont Delille était sinon le chef, certainement l'un
des plus habiles et des plus célèbres représentants; de cette école
maladroitement timide et froidement descriptive, qui jurait encore par Jupiter
et tous les dieux de l'Olympe, quand Châteaubriand venait de jeter au monde
littéraire comme un FIAT Lux rénovateur,
son Génie du Christianisme, et Bernardin de Saint-Pierre ses Etudes de la
Nature; quand Lamartine était à la veille de publier ses Méditations, et que
Victor Hugo méditait déjà ses Odes et ses Orientales; de cette école, qui
eut le malheur de perdre à peu d'années de distance, l'un par la faim ,
l'autre par l'échafaud, les deux hommes qui, seuls peut-être, eussent pu la
rajeunir et la faire revivre sous une nouvelle forme : Mal-filâtre et André Chénier
; de cette école enfin tuée par l'excès même de ce qui avait fait sa force
et sa vie, et morte, entre deux périphrases, de pléthore mythologique.
On
a dit trop souvent que la poésie est la langue des dieux, et que le poète est
un prophète : Vates! mais cette langue divine, c'est un homme qui la parle, et
dans sa parole, il faut que je sente vibrer quelque chose d'humain. Il faut que
je l'entende s'écrier quelquefois: Homo sum ! je suis homme, et l'humanité ne
m'est pas étrangère. J'ai souffert moi-même, et je sais tendre une main amie
à toutes les douleurs. Il faut qu'il se souvienne du mot d'Horace : Pleure
toi-même , ô poète! si tu veux m'arracher des larmes ! S'il me parle de foi
et d'espérance, je veux qu'il me nomme le Ciel et le Dieu de nos pères, et non
je ne sais quel Olympe peuplé de déités risibles ou méprisables, dont
l'univers ne connaît plus la trace depuis deux mille ans; je veux qu'il me
fasse rêver ou réfléchir; autrement, il peut surprendre mon imagination, mais
non exalter mon âme; il me distrait, il ne m'émeut pas; il parle à ma raison,
non à mon cœur; et c'est l'enthousiasme, c'est l'âme, c'est le cœur qui font
les poètes : Pectus est quod facit disertos.
Tels
sont les reproches les plus graves adressés au chef de l'école raisonnable, à
Boileau et au plus grand nombre de ses élèves. Comme les Titans, qu'on nous
pardonne cette image mytholique puisée d'ailleurs dans le sein du sujet, ils
ont voulu escalader l'Olympe, et comme les Titans, ils sont retombés écrasés
sous les montagnes qu'ils avaient eux-mêmes amoncelées.
A
part ce travers qui était du siècle plus que de l'homme, la nature du poème
et le sujet lui-même exposaient l'auteur à tous ces écueils. Il était
impossible, en effet , de décrire les chefs-d'œuvre de la peinture et de la
sculpture , soit antique, soit moderne, sans s'inspirer des théogonies fabuleuses, et sans
parler leur langage symbolique : ces considérations posées, Girodet, il faut
le dire à sa louange, a souvent vaincu ces difficultés aussi heureusement que
l'eût pu faire Delille, son maître et son ami. Il a une foule de vers
magistralement frappés, des pages où respire la verve et l'inspiration. Les
descriptions qui abondent dans son poème sont pour la plupart
poétiques et colorées ; il n'abuse pas trop de la métaphore et de la périphrase
; mais son style, généralement travaillé, trop peut-être, manque de
souplesse et de grâce; sa couleur est brillante, mais uniforme : il a surchargé
sa palette, et négligé de varier la gamme de ses teintes; ses ailes ne le
soutiennent pas toujours à la hauteur des horizons poétiques, et la rime,
cette servante, trop souvent maîtresse, refuse quelquefois d'obéir à son
appel, ou ne se présente qu'en négligé. Malgré ces défauts, le poème Du
Peintre offre une lecture attrayante ,
pour les artistes surtout , et les notes qui l'accompagnent et dont la plupart
sont dues à M. Coupin, l'ami de Girodet et l'éditeur patient et zélé de ses
oeuvres, sont pleines de faits intéressants et d'observations instructives et
curieuses.
Voici
du reste, un fragment qui pourra donner une idée de sa manière. Ce n'est pas,
il s'en faut, une de ses meilleures pages, mais nous l'avons choisie, parce
qu'elle offre un intérêt tout local, parce qu'elle exprime des regrets que
nous partageons nous-mêmes, et qu'elle répond aux reproches d'indifférence
dont on a chargé Girodet à l'égard de la ville qui fut son berceau.
Au
commencement du deuxième chant, Girodet dit que le peintre doit déplorer la
destruction des monuments , et donne à cette occasion, un souvenir au vieux château
de Montargis.
Montargis,
vieux berceau des nobles fils de France,
Vieux tombeau de l'Anglais qui sentit ta vaillance,
Toi, dont le dévoûment, source des grands exploits,
T'avaient rendu l'amour et l'appui de tes rois;
Toi, qui des lys courbés soutins la tige altière;
Doux pays où mou mil s'ouvrit à la lumière,
Je n'ai donc pu ravir aux serres des vautours,
Ton château romantique et ses guerrières tours!
De la fille d'un roi, père de la patrie,
Noble castel, au temps de la chevalerie,
Qui vis ce chien fameux, vengeur de Mont-Didier,
Terrasser en champ-clos son lâche meurtrier;
où nos rois chevelus, simples sous la
couronne,
Remplissant saintement les saints devoirs du trône,
Comme Vincenne a vu le plus grand des Louis,
Partageaient leurs longs jours entre Mars et Thémis ;
Lorsqu'enfant j'admirais dans ma joie idolâtre,
'l'es noirs crénaux tranchants sur l'horizon bleuâtre
ue j'entendais l'écho de tes arceaux déserts,
Des cors de la forêt répéter les concerts,
Qu'assis sur ton rocher, je promenais ma vue ,
Dans les riants lointains d'une immense étendue ;
Que de là, j'abaissais mon regard recueilli,
Sur des ormes plantés par la main de Sully;
Ah ! qui m'eût dit qu'un jour, au pied de ta colline,
je peindrais tes vieux murs et tes tours en ruine
Girodet
a donné encore une traduction facile et élégante d'un. poème de
Musée : Hero
et Léandre. Mais pur
rendre la grâce et la
fraîcheur
de ce petit chef-d'œuvre de la fable antique, il aurait fallu, à défaut de la
prose, naïve sans art, d'Amyot, ou savamment naïve de Paul Courier, la muse
grecque d'André Chénier.
Des
Odes d'Anacréon dont quelques-unes exhalent comme un parfum affaibli, l'aimable
simplicité et la grâce attique du modèle; des fragments d'Acée, d'Alphée ,
d'Archiloque, de Sapho, de Simonide et de Stésichore, pour les poètes grecs;
pour les poètes latins, une épître de Catulle à Lydie; le Vieillard de Vérone,
de Claudien; un assez grand nombre des épigrammes de Martial, assez
heureusement traduites, mais dont le sel est aujourd'hui sans force et sans
saveur pour nous; et nous avons tout le bagage poétique de Girodet.
Notons
pour mémoire quelques discours académiques sur le génie particulier à la
peinture et à la poésie; sur la grâce considérée comme attribut de la beauté
; sur l'originalité dans les arts du dessin, et sur d'autres sujets analogues,
où l'on trouve, à côté des défauts que nous avons signalés, des pages
brillantes et des jugements encore aujourd'hui pleins de justesse et de vérité.
Enfin
sa correspondance, complément de ses œuvres, contient des détails
biographiques intéressants et des témoignages touchants de tendresse et de dévouement
pour son tuteur et son père adoptif M. Trioson. On y retrouve aussi les réponses
à quelques lettres de Bernardin de Saint-Pierre, publiées dans le huitième
bulletin de la Société, par les soins de monsieur le baron de Girardot.
En
terminant, faisons remarquer, pour atténuer la sévérité de nos critiques,
que ces pages, dont nous avons essayé de donner une impartiale appréciation,
ne sont pas les oeuvres d'un homme de lettres , mais les feuillets arrachés à
l'album d'un artiste; qu'elles ont été écrites, comme le dit un poète
italien , peintre lui-même, plus pour fuir l'oisiveté que pour chercher la
gloire
Per
fuggir l' ozio e non per cercar gloria;
et
qu'enfin n'eussent-elles pas d'autre valeur, elles seraient encore respectables,
comme tout ce qui tient au culte du beau et du vrai, et à la glorification de
la pensée.
Comme
on le voit, les écrits de Girodet, sans manquer de mérite, ne suffiraient pas
à transmettre sa mémoire à la postérité. Mais on peut ne pas s'appeler
Boileau, ni même Delille, quand on s'appelle Girodet; on peut se consoler de
n'avoir pas mis l'exegi monumentum du poète au bas de quelques pages littéraires,
quand on en a signé tant d'autres, poésies à jamais immortelles, celles-là,
et dont quelques-unes se nomment le Sommeil
d'Endymion, une Scène du déluge et Atala au
tombeau.
A.
LEVAIN.
Nous
donnons avec le n° XII de notre Bulletin,
quatre
planches représentant un curieux petit monument du XIIIè
siècle. C'est un reliquaire ou étui de reliquaire en cuir estampé,
d'une excellente conservation. Cet objet a été trouvé dans un petit réduit ,
dans le choeur de l'église de Triguerres (canton de Châteaurenard), et donné
par la fabrique au musée de Montargis, sur la proposition de M. le curé et de
M. Petit, conseiller général.
Le
reliquaire a la forme d'un petit édifice sur une base et surmonté d'un fronton
triangulaire aigu. Le devant s'ouvre en entier comme une porte à deux battants
, au moyen de charnières et de pantures en cuivre, et se ferme avec trois
crochets. Il a un peu moins de m 0, 22 de hauteur, un peu moins de m 0, 07 de
largeur, et m 0, 05 d'épaisseur; à la base, ces deux dernières dimensions
sont augmentées de m 0, 015.
Les
quatre faces de ce petit monument sont décorées de sujets et d'ornement en
relief.
La
face et le côté opposé sont divisés en quatre compartiments, un pour la
base, deux pour le corps du petit édifice, un triangulaire pour le fronton. -
Dans ce dernier, sur la façade, sont des anges ailés, descendant des nues,
portant des croix et des encensoirs, au-dessus de la salutation angélique ; la
vierge à droite, debout, couverte d'un voile; le nimbe de l'ange est rayonnant.
- Au-dessous, saint François d'Assises prêchant les oiseaux. Sur la base se
voit sainte Marguerite triomphant du monstre, la croix en mains.
Sur
le côté opposé, deux oiseaux occupent les compartiments supérieurs ;
au-dessous est un sphinx ; sur la base, un éléphant porteur d'une tour.
Sur
le côté droit de riches enroulements qui rappellent les ornements romans,
entourent cinq animaux naturels et fantastiques. Un semis de fleurs de lis dans
des losanges couvre entièrement le côté gauche.
Nous donnons ces planches avec confiance, parce qu'elles ont été dessinées avec un vrai talent et une scrupuleuse exactitude, par notre confrère M. Alexandre Dumeis, et reproduites très habilement par M. Guerry, lithographe.
Montargis.- Imprimerie de Chretien.
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