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Le quatrième numéro du bulletin de la
Société d'Emulation de Montargis

Texte intégral

 

 1854


BULLETINS DE  LA SOCIÉTÉ d’EMULATION DE L'ARRONDISSEMENT DE MONTARGIS.

N°IV

BELLES ACTIONS RÉCOMPENSÉES PENDANT L'ANNÉE 1853.

RAPPORT DU BARON DE GIRARDOT, SOUS-PREFET.

Le règlement de la société d'émulation de Montargis lui impose le devoir de conserver et d'honorer le souvenir des hommes utiles de l'arrondissement. Elle a cru que cette obligation bien comprise exigeait la mise en lumière des belles actions qui ont mérité à leurs auteurs des récompenses de l'Empereur ou du Préfet. Elle a donc décidé, dans sa séance du mois de novembre 1853, que chaque année, au mois de décembre, elle publierait les rapports constatant des actions de ce genre.

Dans le courant de l'année 1853, six médailles d'honneur ont été accordées par l'Empereur à des habitants de l'arrondissement de Montargis.

Le 12 juin 1851, dix heures du matin, les nommés Guyon et Gaby, ouvriers maçons demeurant à Saint-Germain-sur-Ouanne, descendaient dans un puits situé à Vaux, commune de Gy-les-Nonains, dans une propriété appartenant à M. Lambert de Chamerolles, ce puits était dégradé à une profondeur de plus de 20 mètres.

Le travail était à peine commencé lorsqu'un éboulement considérable se manifesta : les deux ouvriers se trouvèrent exactement engloutis.

M. le Maire de Gy accourut, il fut suivi de la population entière; la gendarmerie de Châteaurenard, qu'un hasard providentiel avait amené sur les lieux, établit et maintint l'ordre le plus parfait; dans le plus bref délai furent organisés les moyens de sauvetage; la plus grande intelligence avait présidé à tout.

Il serait impossible de dépeindre le zèle et le dévouement qui furent déployés dans cette circonstance surtout lorsque, après plusieurs heures de travail, on entendit les voix des malheureux; chacun fut électrisé et redoubla d'efforts dans l'espoir d'arriver à leur délivrance; les fouilles furent donc continuées sans interruption pendant le jour et la nuit du 12, le jour et la nuit du 13 et ce fut seulement le 14, vers six heures du matin, que le nommé Gaby fut retiré meurtri mais vivant; il reçut immédiatement les soins d'un médecin appelé à cette fin depuis vingt-quatre heures.

Les travaux continuèrent et vers midi on retira des décombres le corps de l'infortuné Guyon, il n'était plus qu'un cadavre : une veuve et six enfants en bas âge se trouvaient ainsi livrés à la misère la plus affreuse.          

Trois maîtres ouvriers sans autre pouvoir que leur dévouement, leur intelligence et leur courage avaient organisé le travail, embrigadé tous les travailleurs, et donné à l'opération une impulsion aussi prudente que prompte. On a vu de ces braves gens travailler sans outils et avec un tel acharnement qu'ils arrachaient les pierres avec leurs mains ensanglantées et dont les ongles s'étaient usés.

Philippe Chevalier est mort avant d'avoir pu recevoir la récompense de sa belle conduite.

M. le Préfet, en présence de toutes les autorités et des quatre compagnies de pompiers du canton a remis des médailles d'honneur à Foubert Ulysse, maître maçon; Ronsin Louis, charpentier mécanicien; Bernaudin Paul, maçon.

Le même jour, la même récompense a été accordée au brigadier de gendarmerie Cotta, de Châteaurenard, qui avait sauvé, au péril de sa vie, un gendarme qui se noyait.

Le 7 avril, les fermiers des Girards, commune de Feins, canton de Briare, se rendaient à Montargis par Nogent, dans une carriole dont la chambrière, que le cahot avait fait décrocher, battait les jambes d'un jeune cheval vigoureux. Le cheval prit le mors aux dents en descendant la montagne et arriva avec rapidité sur la place de Nogent au milieu de la foule. Le brigadier de gendarmerie Guenault, entendant les cris de détresse des époux Vincent et n'écoutant que son courage ordinaire, sortit, se lança à la bride du cheval et put s'en rendre maître après avoir été entraîné pendant plus d'une quinzaine de mètres; sans cet acte de dévouement il serait infailliblement arrivé un accident, soit aux époux Vincent déjà renversés dans leur voiture non fermée, soit aux enfants circulant dans les rues. En accomplissant cette belle action, M. Guenault fut frappé violemment dans le côté gauche par le timon de la voiture.

Le brigadier Guenault a obtenu une médaille d'honneur pour cet acte de courage, il en porte déjà une gagnée en 1847, en sauvant une femme et un enfant qui se noyaient dans le canal à la Ferté.

Puisque la société a été amenée à rappeler des faits accomplis en 1852, elle mentionnera les actes de dévouement du sieur Quatresous, ancien soldat de l’armée d'Afrique, de la commune de Nargis, qui, le 12 juillet 1852, s'est précipité dans le canal pour en retirer un homme qui était sans connaissance au fond de l'eau.

 Le 15 et le 20 du même mois, le sieur Barrault Eugène, maréchal demeurant à Fontenay, ne prenant conseil que de son bon coeur et de son courage â été résolument, bien qu'il ne sût pas nager, au secours de deux ouvriers qui se noyaient.

Le 9 avril 1853, une vache furieuse parcourait les environs de Lorris, elle avait déjà renversé plusieurs personnes quand le sieur Theurin (Germain), cantonnier, père de cinq enfants, voulût l'arrêter et reçut un coup de corne qui lui a crevé un œil.

Au mois de juin, un chien enragé se précipitait  sur une jeune fille; le sieur Clain, garde particulier du domaine de Praslain, sans perdre son sang-froid, abat d'un coup de fusil l'animal furieux au moment où il allait faire une victime.

Dans la journée du 8 octobre, un accident qui a coûté la vie au nommé Thibault, célibataire, âgé de 26 ans, domicilié aux Chevreaux, a eu lieu sur la commune d'Ervauville.

Dans un champ appartenant au sieur Milet. (Claude) ; quatre ouvriers, les sieurs Thévenon fils, Perrot (Alexandre) et Machet (Louis) fils, conjointement avec la victime, travaillaient à creuser un trou d'extraction de marne ; tout-à-coup ces gens se sentirent menacés d'asphixie, ils crurent y remédier en jetant du feu au fond du trou après en être sortis, ils redescendirent ensuite tous quatre l'un après l'autre puis ils remontèrent.

Thibault se hasarda de nouveau sans prendre de précautions; il s'empara de ses outils qu'il tenait à la main au moment où ses camarades le remontèrent, mais parvenu à un mètre environ de l'orifice du trou il se sentit défaillir, ses outils lui échappèrent de la main, puis il s'affaissa en lâchant la corde du tour et fut précipité au fond du trou qui a seize mètres de profondeur.

Aucun de ses camarades n'eut le courage de se faire descendre pour secourir le malheureux Thibault; ils appelèrent et un nommé Germain Bajou, âgé de 28 ans, cultivateur aux Valettes, accourut et se fit descendre, mais à peine arrivé près de Thibault, les forces lui manquent, il faut le remonter.

M. le Curé et M. le Maire de la commune arrivèrent en ce moment sur les lieux, ils encouragèrent les personnes présentes à se faire descendre en prenant de sages précautions, ils promirent en vain une récompense pécuniaire.

Un nommé François Cabaret, âgé de 30 ans, conducteur de travaux sur le chemin numéro 19, de Charny à Egreville par Ervauville, en surveillance à 300 mètres de la marnière, arrive alors et bien renseigné sur la situation des choses, il se fait résolument attacher et descendre, cinq minutes après, lui et Thibault étaient hors du trou.

Thibault donna encore des signes de vie, M. le Curé lui prodigua ses soins, mais en vain, un quart d'heure après il expirait.

Thibault avait été et était encore le soutien d'une mère restée veuve il y a 12 ans avec cinq enfants en bas âge.

Au mois de juin 1853, deux jeunes filles furent assaillies dans la forêt de Montargis par un misérable qui en saisit une, commit sur elle un odieux attentat et la frappa à coups redoublés d'un poignard dont il était porteur. L'autre enfant s'était enfuie vers la route d'Orléans à Nancy en criant au secours; un jeune faucheur fut sourd à ses prières : elle arriva enfin auprès du cantonnier Bouchet. Ce brave homme n'avait sous sa main que sa raclette; il s'élance néanmoins dans la forêt, appelle en vain à l'aide le lâche armé d'une faux qui avait déjà refusé son assistance, il arrive enfin auprès du criminel acharné après sa victime, le frappe, engage avec lui une lutte corps à corps et ne le laisse échapper que lorsque deux blessures reçues à la tête, l'ont aveuglé par la perte de son sang.

L'assassin, arrêté le lendemain, est mort en prison. Le faucheur a été puni de sa lâcheté par une condamnation du tribunal correctionnel. L'Empereur a accordé à Bouchet une médaille d'honneur; ce brave homme a reçu immédiatement de l'avancement. Sa médaille lui a été remise le jour de la fête de l'Empereur, par le Sous-Préfet, sur la promenade de Montargis, en présence de toutes les autorités de la ville, de la compagnie des pompiers et de tous ses camarades convoqués exprès pour cette cérémonie. Parmi eux on remarquait un vieillard courbé par l'âge et le travail, c'était le père de Bouchet.


Montargis. - Imprimerie de Chretien.


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