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Le septième numéro du bulletin de la
Société d'Emulation de Montargis

Texte intégral

 

 1856


BULLETINS DE LA SOCIÉTÉ D'ÉMULATION DE L'ARRONDISSEMENT DE MONTARGIS.

N° VII.

POÉSIES PAR A. LEVAIN.

La Société d'émulation de l'arrondissement de Montargis aurait cru manquer aux obligations que son titre lui impose, si elle n'avait pas fait appel à ceux de nos concitoyens qui s'occupent de litté­rature avec quelque succès.
M. A. Levain dont les lecteurs du Journal
l'INDICATEUR ont pu apprécier plus d'une fois déjà, les gracieuses productions, a répondu à cet appel; et nous sommes heureux de pouvoir annon­cer qu'indépendamment de ce bulletin entièrement consacré à reproduire quelques-unes des poésies de notre compatriote, les suivants en contiendront fréquemment quelques autres, le plus souvent inédites.

Le Glaneur.
. . . . .
Ego apis Matinoe More modoque
Grata carpentis thyms, per laborem Plurimum, circà nemus avidique Tiburis ripas, operosa parvus Carmina fingo.
HORACE, liv. IV, ode 1er.
Quand l'été dans les champs mùrit les épis d'or, 
Les moissonneurs, jaloux de cueillir leur trésor,
Aiguisent leurs larges faucilles,
Et les petits enfants, de bluets couronnés, 
Mêlent leurs cris naïfs et leurs pas étonnés 
Aux choeurs bruyants des jeunes filles!
Puis, par un beau soleil, on voit parmi les blés,
Comme un essaim gourmand sur les fleurs de nos prés,
 S'éparpiller la foule avide;
Et de ce grand travail où l'on court en chantant, 
Chacun, le soir venu, s'en retourne content :
Pas une main ne reste vide!
C'est le maître d'abord, qui suit d'un oeil heureux 
Les chars pesants traînés par ses boeufs vigoureux
Vers ses granges qui seront pleines;
Le maître, qui, plongeant son oeil dans 'avenir,
Compte déjà combien l'autre été peut jaunir 
De gerbes dans ces mêmes plaines.
Ensuite, humble et courbé sous un faix que sa main
Brin par brin ramassa sur les bords du chemin,
Dans les sillons, parmi les herbes,
Se traîne le glaneur, qui chante sa chanson :
- Les grains font les épis, les épis font les gerbes, 
Et les gerbes font la moisson.
Enfin quand l'homme, roi de ces riches royaumes, 
S'éloigne insoucieux, ne laissant que des chaumes,
Qu'il foule aux pieds avec mépris,
Parasite oublié, dans les restes du maître,
Même après le glaneur, l'oiseau sait reconnaître 
Un grain de blé pour ses petits.
Ainsi ton pur soleil, ô sainte poésie,
Dans les champs de l'esprit fait descendre la vie
Et germer l'immortalité.
Mais comme en nos guérets, quand juillet les couronne, 
Tous n'ont pas même part à ta fécondité
Et l'un glane où l'autre moissonne.
A d'autres plus heureux, aux maîtres renommés, 
Les trésors que ta main pour la gloire a semés,
A d'autres les moissons superbes;
Moi, je suis le glaneur qui chante sa chanson :
Les grains font les épis, les épis font les gerbes, 
Et les gerbes font la moisson.

A la Fantaisie.
Loin de l'antique Olympe, où coule l'ambroisie,
Parmi tes chastes sœurs, Muse, je t'ai choisie;
Et ton indépendance et ta simplicité
M'ont entraîné
vers toi, bien mieux que ta beauté.
Les siècles ont passé mais ne t'ont pas vieillie,
Enfant aux gais propos qu'on nomme Fantaisie.
Sans diadême d'or, tes longs cheveux bouclés
Livrent aux jeux des vents leurs anneaux déroulés,
Ou flottent mollement sur tes blanches épaules, 
Comme les longs rameaux qui pleurent sur les saules. 
Des fleurs, rien que des fleurs parent ton front serein; 
Le peplum aux plis lourds n'écrase pas ton sein;
Tu marches librement; le cothurne tragique
N'entrave pas ton pied, pur comme un marbre antique,
Et dans Tibur Horace écoutant ta chanson
De Musa pedestris t'a donné le doux nom.
Ta voix sonore, écho de toute poésie, 
Comme un luth suspendu que la brise amollie 
Effleure en s'envolant d'un souffle harmonieux, 
S'éveille en tous les temps et
vibre en tous les lieux; 
Tantôt molle et plaintive ou folâtre et légère, 
Railleuse sans aigreur, hautaine sans colère, 
Modulant tous les tons du plus grave au plus doux 
Sans t'asservir à l'un, tu t'assouplis à tous.
Dans l'Orient, berceau des fables merveilleuses,
Tu t'éveillas un jour, fée aux lèvres rieuses;
Et ce peuple rêveur écouta transporté
Tes songes plus charmants que la réalité.
La Grèce au ciel si pur, la Grèce créatrice, 
Accueillit sans effort ton vagabond caprice
Qui de Dieux imprévus peupla son Panthéon.
Tu chantais dans Athène avec Anacréon,
Et, le front ceint de fleurs, partageant son délire,
Tu buvais dans sa coupe et dormais sur sa lyre.
Rome aussi te connut; du vieillard de Théos,
Les chants du doux Catulle ont été les échos.
La vieille Gaule enfin, toujours hospitalière,
T'ouvrit un jour ses bras et tu lui dis : ma mère !
Tu grandis dans son sein et la postérité
A reconnu l'enfant qu'elle avait adopté.
Et depuis, répandant ta puissance féconde,
Comme un arbre, au printemps, quand la sève l'inonde,
Tu fis éclore au feu de tes embrassements
Un peuple tout entier de poètes charmants.
De l'inspiration, ô fille bien-aimée!
Que de fois j'ai frémi sous ta lèvre enflammée
Qui changeait mes soupirs en des concerts joyeux!
Que de pleurs ton sourire a séché dans mes yeux!
O blanche Muse! Enfant insoucieuse et folle,
Semant à tous les vents ta chanson qui s’envole,
Je t'aime! J'aime en toi ta chaste nudité,
Ton âme qui tressaille au cri de liberté,
Ton sourire, et tes pleurs plus doux que ton sourire,
Et tes hymnes d'amour et jusqu'à ton délire!
Viens donc! et nous irons, entrelaçant nos mains,
Par les âpres sentiers, par les rudes chemins,
Chercher de frais accords sous les forêts ombreuses,
Et secouant, le soir nos sandales poudreuses,
Quêter à quelque toit par le chaume abrité,
Le vin du bon accueil et l'hospitalité.
Prends tes doux chalumeaux, viens, fille au chant rustique, 
Egayer les échos du foyer domestique.
Ainsi l'humble grillon, sylphe de l'âtre noir,
Mêle au bruit des fuseaux, quand la brise du soir
En légers tourbillons emporte la feuillée,
Son chant inoffensif, charme de la veillée;
Et l'essaim babillard des enfants enchantés, 
Imite, en se jouant, ses accents répétés.
Eh bien ! si devant nous les portes restent closes, 
Sous les verts orangers et sous les lauriers roses
Que la Grèce prodigue à ses vallons fleuris,
Nous irons reposer nos pieds endoloris.
Je cueillerai pour toi le miel de ses abeilles;
Ses poètes divins nous diront leurs merveilles
Et leurs chants inspirés sauront tarir nos pleurs.
Car ta main est puissante à charmer nos douleurs
Et dans les jours mauvais, ô sainte poésie,
Tu consoles de tout et même de la vie!

III.
Mignonne.
BALLADE
A mon ami J. Fouché.
Maître Jans excitait l'envie
De tous les bourgeois du canton ;
Car il possédait une amie
Sans prix à ses yeux, disait-on.
C'était une chienne griffonne,
A l'oeil de flamme, au blanc collier.
- Elle était belle, la Mignonne,
La Mignonne du tonnelier.
Fallait la voir bondir, joyeuse
Avec l'enfant de la maison
Qui mêlait sa tête soyeuse
Aux poils de la blanche toison.
Par ses vifs ébats la bouffonne
Faisait l'amour de l'atelier
- Elle était belle, la Mignonne,
La Mignonne du tonnelier.
Un jour, un duc de haut parage
Des attraits de Mignonne épris,
Voulut avoir à son passage,
Ce bijou, quel qu'en fût le prix.
Maître Jans cerclait une tonne
A la porte de son cellier.
- Elle était belle, la Mignonne,
La Mignonne du tonnelier.
Donc, en la voyant si jolie,
Le duc de Jans devint jaloux,
Et lui dit, l'oeil brillant d'envie
- « Pour cette chienne au poil si doux,
    Manant, veux-tu que je te donne
    Des ducats plein ton tablier?
- Elle était belle la Mignonne,
La Mignonne du tonnelier.
-. « Maître, dit Jans, vous voulez rire ?
- » Veux-tu de plus
ce collier d'or?
- » Vendre Mignonne! oh! non, messire !
» Un ami vaut mieux qu'un trésor !
» Vous m'offririez votre couronne,
» Je dirais : non ! beau chevalier ! »
 - Elle était belle, la Mignonne,
La Mignonne du tonnelier.
» Non, beau duc, je garde ma chienne;
» Mon enfant pleurerait ce soir;
» Elle est son amie et la mienne,
» Et nous aimons tous à la voir.
» Et puis, messire, elle est si bonne
» Que nous ne pourrions l'oublier. »
 
- Elle était belle, la Mignonne,
La Mignonne du tonnelier.
Or un soir, l'enfant, vers la brune,
Dans le fleuve se laissa choir
Pour un blanc rayon de la lune
Qu'en se penchant il voulut voir.
Sur la vague qui tourbillonne,
La chienne aperçut un soulier...
- Elle était belle, la Mignonne,
La Mignonne du tonnelier.
Trois fois on vit au sein de
l'onde
Où Mignonne s'élance en vain,
Surnager une tête blonde,
Trois fois disparaître soudain.
Puis on ne revit plus personne,
Ni la chienne, ni l'écolier!...
- Elle était morte, la Mignonne,
La Mignonne du tonnelier.

A. LEVAIN.


Montargis. - Imprimerie de Chretien.


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