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Les camps d'internement dans le Loiret durant la Seconde Guerre Mondiale

par Jacques Billard
(pour contacter l'auteur, cliquez ici)
Cet article est extrait du Bulletin des Amis du Vieux Montargis

le camp de Pithiviers en 1940 (Photo Studio Valéry)


Une des premières constantes lors des périodes troublées de notre histoire, c’est celle qui consiste à voir en tout étranger à la nation, à la région ou même au pays, un ennemi possible dont il est important et nécessaire de se protéger en le mettant dans une situation qui lui interdise toute action contraire à l’intérêt national. La peur, l’angoisse et la crainte devant l’avenir conduisent les hommes à avoir un comportement collectif particulier à ces situations.

La première de ces réactions est de se séparer d’une partie de la population dont on n’est pas certain de son patriotisme. C’est ainsi que nous voyons apparaître des camps dit de rassemblement ou de concentration, dans lesquels les autorités regroupent de nombreuses personnes dont on a peur et qui se voient ainsi privées de liberté.

Les Centres de Rassemblement d’Etrangers

Dès le début de la guerre, le gouvernement décida, le 5 septembre 1939, d’interner tous les ressortissants de l’Empire allemand et de leurs alliés, ainsi qu’un certain nombre de citoyens français dont le comportement politique pouvait être contraire aux intérêts nationaux. (Notamment les communistes, les anarchistes et les pacifistes)

Trois centres de " rassemblement pour étrangers " furent ouverts dans notre département, un situé au Aydes, à Orléans, le second dans les locaux d’une institution de sourds-muets à Saint-Jean-de-la-Ruelle, enfin le troisième sur le territoire de la commune de Cepoy à la verrerie de Montenon. Les bâtiments de cette ancienne usine, vides depuis quelques années avaient été utilisés en 1937 pour y recevoir de réfugiés espagnols qui fuyaient les combats de leur pays.

Une grande partie des étrangers ainsi regroupés étaient des juifs et des communistes allemands ou autrichiens, fuyant le régime nazi, réfugiés en France et qui selon les principes de la loi républicaine avaient bénéficié du droit d’asile. Le gouvernement leur proposa de s’engager dans les troupes de la Légion Etrangère en Afrique, d’émigrer outre-Atlantique, pour ceux qui avaient un visa en règle et la possibilité de payer le voyage, ou enfin, de s’intégrer dans les groupes de travailleurs étrangers employés à des travaux d’intérêt collectifs. Un pourcentage relativement important put alors quitter ces tristes camps.

La garde du camp de Cepoy avait été confié au 51ème territorial dont un bataillon était basé à Montargis. Dans la première semaine du mois de juin 1940, devant l’arrivée imminente des Allemands, il fut décidé d’évacuer tous les prisonniers vers le sud de la France, le 10 juin, les camps avaient été vidés de leurs occupants.

Un second contingent de prisonniers arriva dans le Loiret le 10 juin 1940. Ils furent répartis dans les camps d’Orléans et de Cepoy. Il s’agissait des prisonniers de droit commun, dont certains condamnés à mort, et de détenus politiques (encore une fois, anarchistes, pacifistes et germanophiles). Le groupe arrivé à Cepoy se composait de 1000 détenus et de 300 gardiens (gardiens de prisons, gardes mobiles et militaires). Leur évacuation vers le sud aura lieu le matin du 15 juin 1940. Ils partirent à pied, en suivant les rives du canal de Briare. Les ordres reçus par les gardiens étaient très précis : ne laisser aucun traînard. Ces consignes strictes furent appliquées, ceux qui ne pouvaient plus avancer à cause de la fatigue due à l’âge, a des infirmités ou l’épuisement furent abattus et leurs corps abandonnés. Huit corps seront retrouvés après le passage de ce triste convoi. Les Allemands précéderont de peu l’arrivée des rescapés à Bonny-sur-Loire, et tous, gardiens et détenus s’égayeront dans la nature.

Les Frontstalags

Dès les premiers jours de la guerre, le ministère Daladier fit édifier en France un grand nombre de camps destinés soit à recevoir tous les prisonniers allemands que l’armée française devait faire, soit à loger les réfugiés évacués des régions où se dérouleraient les combats. Trois camps furent ainsi créés dans le département du Loiret : Pithiviers et Beaune-la-Rolande pour les prisonniers, Jargeau pour les réfugiés. Comme nous le verrons, ils connurent une toute autre affectation.

L’avance rapide de l’ennemi à partir du 10 mai 1940 provoqua un effondrement de nos lignes de défense et nos troupes, démoralisées, se rendirent aux mains des Allemands. Pour les héberger en attendant leur transfert en Allemagne ou dans d’autres pays occupés, ils créèrent pour la circonstance des Frontstalags dans le Loiret. Ils furent au nombre de trois et à chacun fut attribué un secteur postal : 151 pour Montargis, 152 pour Pithiviers et 153 pour Orléans. Chacun de ces Frontstalags était composé de plusieurs camps, comme nous pouvons le constater au vu des numéros figurant sur les cachets de censure.

Le camp de Jargeau

Le camp de Jargeau a accueilli des réfugiés au printemps 1940, lors de l’exode, puis un peu plus tard, à partir du 5 mars 1941, en application des mesures gouvernementales relatives aux populations de nomades, des familles tziganes. Dans les jours qui suivirent les premières obligations à résidence, plusieurs évasions eurent lieu. Le camp fut alors ceint d’une clôture faite de barbelés. Quelques mois plus tard, il devint un camp fourre-tout. Il reçut ainsi, en plus des tziganes, les réfractaires au S. T. O., des prostituées qui furent isolées dans un enclos à l’intérieur de ce camp sans possibilité de contact avec les autres internés et des condamnés pour des infractions diverses provenant de la prison d’Orléans qui avait atteint sa capacité d’accueil maximum.

Contrairement aux déportations qui eurent lieu dans les autres nations européennes, les tziganes de Jargeau ne furent pas envoyés en Allemagne. L’administration tenta de les sédentariser en créant une école primaire, en autorisant la création d’une chapelle et en favorisant l’installation d’un atelier destiné à fournir du travail. Les conditions sanitaires du début étaient épouvantables. Sur 44 naissances enregistrées la première année, seuls huit enfants atteignirent l’âge de deux ans.

La libération de la région intervint au mois d’août 1944, mais les portes ne s’ouvrirent pas pour autant devant les tziganes. Les autorités ne voulaient pas de nomades sur les routes dans un pays toujours en guerre et connaissant une stabilité gouvernementale encore fragile. En 1945, on autorisa enfin la libération des familles qui pouvaient fournir un certificat de résidence signé par un maire qui les acceptait sur sa commune. Comme nous pouvons le penser, ils furent très rares à accepter de signer un tel document, et les sorties du camp furent particulièrement lentes et laborieuses. Le 31 décembre 1945, il fut définitivement fermé, les derniers pensionnaires, envoyés à l’hôpital d’Orléans. Il s’agissait principalement de personnes âgées.

L’Affaire du Billet Vert

Le 13 mai 1941, 5100 juifs parisiens reçurent dans la soirée, la visite d’un policier qui leur remit une convocation les invitant à se présenter le lendemain matin, 14 mai, pour " examen de votre situation ". La majorité des personnes convoquées était constituée par des réfugiés des pays d’Europe Centrale qui avaient fuit les pogroms et qui étaient installés en France depuis quinze ou vingt ans. Seulement 3800 répondirent à la convocation. Après confiscation de leurs papiers d’identité, ils furent immédiatement arrêtés, convoyés à Pithiviers et à Beaune-la-Rolande pour y être interné (environ 1900 dans chacun de ces deux camps).

Après treize mois d’un séjour particulièrement pénible, ils souffrirent beaucoup de la faim, du froid et des brimades des gardiens, ils furent déportés, entre le 1er et le 15 juin 1942, à Drancy, puis à Auschwitz. A la libération des camps en 1945, on comptait moins d’une centaine de survivants.

La Rafle du Vel’d’hiv’

La rafle dite du Vel’d’hiv’, prévue initialement le 14 juillet 1942, (à Montargis des arrestations de juifs eurent lieu le 14 juillet) a été reportée les 16 et 17 juillet suivant, ceci afin de ne pas choquer la conscience des Français. Les nazis avaient exigé que les autorités françaises leur livrent un important contingent de juifs adultes et adolescents de plus de 14 ans, ils ne voulaient pas d’enfants. Les responsables politiques français décidèrent d’arrêter également les enfants et de les livrer aux allemands qui ne les demandaient pas.

Les célibataires et les couples sans enfants furent immédiatement envoyés à Drancy, pour y attendre un départ vers Auschwitz. Toutes les autres victimes de la rafle, soit environ 8200 personnes, furent parquées dans l’enceinte du vélodrome d’hiver en attendant la décision des autorités nazies concernant les enfants. Après quelques jours d’attente dans des conditions épouvantables, ils furent transférés dans les camps de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande entre les 18 et 22 juillet. Chacun des deux camps, conçu pour héberger un maximum de 1500 à 1800 prisonniers hommes, reçu ainsi plus de 4000 personnes de tous âges. Environ une semaine plus tard, les hommes furent transférés à Drancy, puis entre le 1er et le 15 août, ce fut le tour des femmes contre lesquelles les gardiens employèrent la force et la brutalité pour les séparer de leurs enfants. Les enfants de moins de quatre ans furent laissés avec leurs mères. Les Allemands ayant donné leur accord le 13 août 1942, il fut possible de déporter les enfants, ce qui fut fait dans les deux semaines suivantes. (le plus jeune, seul, séparé de ses parents quelques semaines auparavant, était âgé de quinze mois, plusieurs avaient moins de quatre ans) Certains transports se firent en compagnie d’adultes provenant de Drancy afin que d’éventuels témoins pensent qu’il s’agissait de familles qui voyageaient ensemble. Entre 50 et 60% des adultes et la totalité des enfants ont été gazé le jour de leur arrivée à Auschwitz. A la libération de camps en 1945, moins d’une centaine d’adultes étaient encore en vie.

Beaune-la-Rolande

panneau indicateur entre la gare et le camp de Beaune
(musée de la Résistance et de la Déportation, Lorris)

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Le camp de Beaune-la-Rolande servit ensuite d’annexe de Drancy et recevra les juifs arrêtés dans la zone sud, ainsi que de nombreuses personnes qui avaient, soit un ascendant juif depuis au moins trois générations, soit les conjoints de mariages mixtes entre chrétiens et juifs. Tous connurent la déportation. Le camp sera ensuite fermé au début de l’été 1943.

Il sera de nouveau utilisé au cours de l’hiver 1944-1945 pour y loger les réfugiés hollandais qui attendaient la fin des combats dans leur pays pour retrouver ce qui restait de leurs foyers.

Pithiviers

A partir du mois de septembre 1942, le camp de Pithiviers recevra ceux que l’on soupçonnait d’être des sympathisants de communistes ou de résistants. Au cours des 22 mois qui suivirent, il y aura environ de 5 à 10% d’évasions, 5 à 10% de départs en Allemagne dans les camps d’extermination, les 80% restants assisteront à l’arrivée des troupes alliées au mois d’août 1944.

Quelques semaines plus tard, le camp de Pithiviers fonctionnera de nouveau. Il recevra un certain nombre de détenus arrêtés dans la région en l’attente de leur jugement, principalement des collaborateurs, des hauts fonctionnaires de Vichy ainsi que des civils allemands qui au moment de la déroute de la Wehrmacht étaient restés cachés dans les villages voisins en attendant des jours meilleurs.

Les derniers internés quittèrent le camp un peu avant le jour de Pâques 1946. Les constructions des trois camps seront rapidement détruites. Des agriculteurs achetèrent les baraques pour servir de bâtiment agricole ou pour y élever des poulets. Aujourd’hui quelques unes de ces baraques existent encore.

Les trois camps de Jargeau, Pithiviers et Beaune-la-Rolande étaient des camps construits sur ordre des dirigeants de notre pays et ils furent, durant toute la durée de ces événements, placés sous l’autorité du Préfet du département qui était chargé de veiller à l’application des lois promulguées par les responsables du gouvernement de Pierre Laval. Les gardiens étaient exclusivement des gendarmes, (à Beaune-la-Rolande, une compagnie de 22 gendarmes provenait de Montargis) et des douaniers originaires de la région de Biarritz ou des côtes de l’Atlantique. Ils furent renforcés par des retraités de la gendarmerie et des douanes rappelés pour la circonstance, ainsi que par du personnel à la recherche d’un travail, embauché par voie d’affiches. Vers la mi-juillet 1944, les gardiens français craignant sans doute des représailles abandonnèrent leurs postes, ils furent immédiatement remplacés par une compagnie de gendarmes allemands cantonnée dans la ville. Eux-mêmes abandonnèrent Pithiviers quelques jours avant l’arrivée des troupes alliées. Ce fut la seule période de la vie des camps où des allemands en assurèrent la garde.

Les troupes d’occupation ne s’immiscèrent que très rarement dans le fonctionnement quotidien de ces centres de détention, les français s’acquittant fort bien de cette tâche. Les soldats allemands intervinrent une fois à l’occasion d’un mouvement de révolte durant lequel les internés essayèrent de franchir le portail d’entrée. Pour le reste, ils furent très discrets et leurs interventions très rares.

Il est difficile de juger la conduite des gardiens, sauf en ce qui concerne les vols et les brutalités envers les femmes et les petits enfants, car il ne faut pas oublier que le devoir du militaire est avant tout d’obéir et d’exécuter les ordres reçus. Il convient peut-être de se demander quel comportement nous aurions eu dans de telles circonstances.


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