Les clochers du Gâtinais et le télégraphe Chappe :
le poste d'Amilly

Malgré l'extension urbaine galopante de ces dernières décades, le clocher d'AMILLY continue de marquer le centre historique de la commune.
Au début du siècle dernier, il ne dépassait que de très peu le toit de l'ancienne chapelle des Sœurs Dominicaines, devenue en 1790, église communale.
Cependant, le bâtiment dominait la marécageuse et quelquefois brumeuse vallée où convergent vers le Loing doublé de son canal, ses multiples affluents locaux. Sur environ deux kilomètres, dans la cuvette qui est devenue l'agglomération de Montargis, l'Ouanne, le Vernisson, le Puiseaux, le Solin et le Huilard le rejoignent.
Vers 1807, (entre le 10 Mai 1807 et le 8 Juin 1808) lorsque la position de Montargis s’avéra incommode, l'administration CHAPPE lorgna vers lui pour y transférer la station. Nous avons vu qu'une trop grande déviation handicapait le poste de Montargis. Toujours dans le domaine de la visibilité, une raison supplémentaire du transfert, non formulée, pouvait être également de fuir les brumes de fonds de vallées que le nouveau tracé esquivait en partie.
L'exploitation de la ligne venait juste de commencer. L'inspecteur qui rédigea le "dépliant" n'avait sans doute plus de loisirs pour "rattraper" la modification. Aucun dessin de cette époque, représentant la station d'Amilly n'est connu. Par contre, en service jusqu'à la fin, elle figure sur la planche du Loiret de l'Atlas de Kermabon.
Les personnalités locales ne semblent pas avoir manifesté la moindre opposition à l'arrivée du télégraphe sur le clocher.
Pourtant, le plus concerné, le curé Jérôme LEDOYEN, n’était pas loin de considérer l'appareil que l'on avait placé sur le toit de son église comme une machine infernale.
Depuis les débuts de la tourmente Révolutionnaire, la paroisse d'Amilly, n'avait eu que des desservants épisodiques. Normand du diocèse de SEEZ, personnage haut en couleur, verve et attitude vigoureuse, il obtint un permis de port d'arme le 3 Février 1808, pour chasser, bien sûr, (il fut un grand chasseur), mais aussi pour en imposer et éviter les mauvaises rencontres. Installé le 11 Novembre 1804, il n'avait pas encore complètement conquis toutes ses ouailles [M. BERNIER  : Les curés d'Amilly, Ms L 4259 Bibl. Mun. Durzy, Montargis.- La délibération d'Amilly (An IX - 1837), place cette arrivée le 25 Pluviose, An II = 14 Février 1803). Elle porte sur son logement. Le presbytère ayant été vendu comme bien national, la commune qui lui devait le gîte, fut contrainte de lui allouer provisoirement une indemnité, jusqu'à l'aménagement d'un nouveau presbytère.] Son audience n'avait pas encore le poids quelle aura sous la Restauration. Si sa détermination légendaire le fit s'opposer aux représentants de l'administration télégraphique, qui, à ce moment là, devaient être indirectement ceux du très puissant ministre de la Police (ministre de tutelle du moment), rien aux archives d'Amilly ne le laisse supposer.
Il passa toute sa vie à l'ombre de la cabane du télégraphe. Sa mort, en effet, survint en 1850. La ligne de Lyon était aussi sur sa fin. Le trafic cessa officiellement, en 1852, mais elle était déjà en sursit, sinon moribonde, plusieurs mois avant. Le télégraphe et le curé Ledoyen, parfaitement contemporains, sont donc les deux curiosités de l'église d'Amilly, au cours de la première moitié du siècle dernier.
On ne sait pas Si le curé s’accommoda jamais de la présence des parasites de son clocher, mais on constate que leur cohabitation ne fut pas sans conflit feutré et sinueux. Le soutien quelquefois ambigu que sa hiérarchie trouvait auprès du Ministre des Cultes effrayait un peu la Municipalité. Elle évitait, d'autre part, de mentionner la présence du télégraphe sur le clocher, peut-être par souci de neutralité. Le curé s'il rappelait souvent l'humidité que le mur du cimetière apportait à son église, n'incriminait jamais la présence du télégraphe.
Lorsque les réclamations du curé ou du marguillier agissant au nom du Conseil de Fabrique, concernant les travaux d'entretien ou de réparation de l'église parvenaient aux délibérations municipales, cela arriva plusieurs fois, le conseil éludait poliment la dépense, alléguant le manque de ressources. Le 20 Août 1837, le conseil prend, avec ébahissement, connaissance par le canal du Sous-Préfet d'une lettre du Ministre de la Justice et des Cultes. Le Ministre éludait également la demande de secours réitérée de M. le Curé, parlait de moises détériorées, alors qu'il s'agissait du bas du mur du clocher et impute les dégâts uniquement à l'ébranlement dû à la présence du télégraphe. En conclusion, il laisse les frais à la charge de la commune, à charge pour elle de traiter avec l'administration télégraphique. Le Préfet intervint, cela dura presque une année. Les moises étaient en bon état, l'inspecteur de la première division prit néanmoins en charge quelques travaux. Le Ministre de la Justice et des Cultes accepta de financer sur plusieurs années, les autres réfections. Les deniers locaux étaient saufs (inhabituelle et longue délibération du 8 Avril 1838).
A la fin de l'Empire, en 1814 et 1815, les troupes étrangères qui stationnèrent dans la région, semblent avoir négligé le village au profit des environs du carrefour des Dominicaines qui dépendaient alors de la commune, séjour qu'elles devaient trouver beaucoup plus stratégique que le bourg. Aucune trace de destruction du télégraphe d'Amilly ne subsiste dans les archives municipales de l'époque. Par contre les dépenses de table que MM. les officiers Bavarois n'hésitaient pas à faire dans les auberges du faubourg de la Chaussée, soldées en 1816, bousculèrent quelque peu les minces finances locales.
La petite chronique de la station est surtout alimentée par la succession des stationnaires.
Nous avons vu que les actes concernant les premiers d'entre eux permirent de cerner la date du transfert du télégraphe à Amilly.
L'un d'eux, le Sieur CAILLET, fut destitué le 10 Septembre 1807. Le Sieur BIGOT le remplaça.
Georges Mathias NITSCHELM, militaire réformé et ancien stationnaire de Puiselet, âgé de 40 ans, épousa en 1815, Marie Anne Louise Riglet, originaire d'Amilly. Il apparaît comme témoin dans plusieurs actes d'état-civil, en qualité de "Télégraphié". Le 22/07/1826, à cinquante ans, lors de naissance de Jean Louis son second fils, il se dit "boucher au bourg". En 1842, sa fille meurt à son domicile, à la Mère-Dieu. Il décède à 73 ans, le 18 Mars 1849, veuf, sans voir la fin de la ligne de Lyon. Ses deux fils, ne manquèrent jamais une occasion de signaler la qualité d'ancien "agent télégraphique" de leur père.
Il fut sans doute remplacé par Pierre COCHEREAU, originaire de CHAMPCUEIL, une commune de Seine et Marne dotée également d'une station Chappe. (restes encore visibles entre les villages de Beauvais et de Loutteville). A son mariage le 12 Février 1831, son collègue et ami, le stationnaire Louis FLOCHOT lui sert de témoin.
Un autre FLOCHOT, Aimé, oncle du précèdent, de trois ans son aîné, a sans doute remplacé Pierre COCHEREAU que l'on ne voit plus figurer, depuis 1832, dans les actes de la commune.
En 1858, après la fin de l'exploitation du télégraphe, devant le peu d'empressement du conseil de consacrer la moindre partie des finances communales à la restauration de l'église, le nouveau curé poursuivait les réparations à ses propres frais. Le secours qu'il réclamait lui fut refusé : ... "tout en admirant le zèle de M. le Curé et le sacrifice qu'il veut bien s'imposer."
La réfection du clocher, pendant ce temps, suivait son chemin auprès d'autres instances.
Le 11 Décembre 1859, le maire "posa sur la table du conseil" les plans dressés par M. PICARD, architecte à Orléans, intéressant non seulement le clocher, mais aussi une grande partie de l'église. La décision d'ouverture des travaux n'est pas rapportée, mais le visiteur peut actuellement lire sur une plaque, apposée sur le mur Nord de la première travée, du coté de l'ancien cimetière, une inscription : "1860". Cette date commémore, sans doute, l’agrandissement de l'église, mais certainement pas la fin des travaux. La réparation du mur du cimetière, cauchemar du curé Ledoyen, et la réfection du clocher se poursuivaient.
Le Préfet était-il intervenu ? Les édiles étaient-ils plus favorables ? On constate un assouplissement dans leur attitude. Le 3 Mars 1861, le conseil décide d'utiliser les fonds provenant de la vente des ormes du cimetière, pour contribuer au financement. Cela ne suffit pas car, le 21 Avril 1861, il ajoute aussi les fonds provenant de la vente de terrains destinés au passage du chemin de fer d'Orléans à Châlons.
La cloche de la chapelle des Dominicaines, fondue au début de la Révolution, avait probablement fini sa carrière dans le corps d'un canon. En 1862, lorsque le clocher fut terminé, il fallut lui en trouver une. La nouvelle cloche fut coulée à Amilly même, par M. Bollée, artisan fondeur de cloches, venu spécialement pour ce travail. Elle fut hissée aussitôt.
Le 19 Juillet 1863, les autorités procédaient à la réception des travaux.
Le nouveau clocher fut, parait-il, un peu différent du précèdent, difficile de dire exactement en quoi. Plus tard son aspect changea encore un peu ; les cartes postales du début de notre siècle le montrent sans le revêtement d'ardoises actuel.

Le télégraphe électrique ne fut pas long a se substituer à son ancêtre optique. La première ligne fut construite entre Paris et Rouen en 1846. Mais il faudra attendre l'avènement de Louis-Napoléon Bonaparte, qui comprit rapidement tout ce qu'un gouvernement autoritaire pouvait tirer de la nouvelle invention, pour voir l'extension du réseau.
Il n'était plus réservé aux seules dépêches gouvernementales
Une loi datant du 29 Novembre 1850 avait autorisé la correspondance privée. Tous les citoyens y avaient accès.
Un accord fut passé avec M. l'inspecteur des lignes télégraphiques au cours de l'été 1868. Le conseil engage la commune à payer une contribution aux travaux d'établissement de la ligne et a prendre à sa charge les frais d'installation du local.
Le devis d'aménagement était loin des fastes actuels. Il s'élevait à deux cent vingt francs, soit :
Menuiserie, serrurerie, etc. : 100. F.
Construction d'un guichet : 50.F.
Achat d'un poêle : 30.F.
- d'une pendule : 30.F.
- de deux chaises 10.F.

Le trafic semblait s'écouler en deux vacations d'une heure chacune, une le matin et une le soir. Le préposé, (ou son remplaçant), devait être présent tous les jours. Une interruption ne vint qu'en 1874. Le 3 Janvier 1874, l'Administration des Télégraphes dispensa l’employé d'ouvrir à l'avenir, pour la "séance" du soir.
Ce modeste local, ancêtre du bureau de Poste actuel, reliait pour la première fois Amilly au reste du territoire, autrement que par la Poste aux chevaux.

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