Les clochers du Gâtinais et le télégraphe Chappe :
le poste de Girolles

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Le clocher est au centre du bourg. Il surmonte une adorable église du XIIe s., dotée d’un porche orné d’un tympan remarquable et pourvue à l’intérieur, de très belles colonnettes à chapiteaux, mais hélas, absolument méconnue.
Claude CHAPPE n’est pas venu à Girolles par curiosité. Il était le maître de l’administration qui s’était créée autour de son invention, un peu à l'image dune "ferme" de l’ ancien régime, d’ailleurs tous les membres la famille Chappe qui lui étaient associés, tout en dépendant des subsides du gouvernement, considéraient le télégraphe comme leur chose. En chef soucieux du succès de son entreprise, il s’était donné tâche de reconnaître lui-même, les lieux de ses nouvelles implantations.
Plutôt que de traverser le Loing en direction d'Auxerre, à Saint-Pierre-les-Nemours (Puiselet), il préféra continuer vers le sud. Aprés avoir exploré le plateau entre Essonne et Loing, après BOUGLIGNY et CHATEAU-LANDON, où il plaça des stations, il continua encore dans cette direction. En parcourant le Gâtinais entre Fusain et Loing, il ne fut pas sans remarquer, que le clocher de Girolles était visible de tous les points de l’horizon.
Muni de tous pouvoirs de réquisition, il recruta la rare main-d’œuvre locale que les conscriptions successives avaient négligée. Il lui fit démolir la flèche qui recouvrait la cloche et construire à la place une cabane en bois destinée à abriter les employés chargés d’actionner le mécanisme qui permettait de manœuvrer les grands bras sémaphoriques, base de son système.
La cabane, assez rudimentaire, ne s’harmonisait certainement pas avec le style roman de l’église qu’elle surmontait. L'époque n’était pas vraiment aux considérations esthétiques. Toute grossière et disparate qu’elle fut, elle s’y maintint pendant quatre-vingt ans. Un dessin, miraculeusement retrouvé cet été, permet de juger de son apparence.
On y accédait par une échelle dressée vers une porte extérieure placée sur le coté Est du clocher à la hauteur de la toiture. Il fallait, comme encore aujourd'hui, marcher sur la voûte pour accéder à l’étage des cloches et se hisser, probablement à l'aide d'une autre échelle jusqu'à la plate-forme où elle se trouvait. D'autres échelles permettaient d'atteindre les bras extérieurs.
Après le 18 Brumaire An VIII (= 9 Novembre 1800), le Consulat fort gêné financièrement, ordonna d’arrêter les travaux. La cabane du clocher fut vidée du mécanisme et des longues-vues qui l'équipaient et fut confiée à la garde de la municipalité.
En 1805 seulement, Napoléon, devant la montée des agitations européennes et la menace d’une "troisième coalition", s’avisa qu'une ligne télégraphique pouvait lui être très utile pour surveiller la couronne italienne qu'il venait d'ajouter à son titre impérial. Il décida de réactiver la ligne de LYON et de la prolonger jusqu'à MILAN. Le décret fut pris à Mantoue le 30 Prairial An XII, (19 Juin 1905), alors qu'il était de passage dans cette ville.
On remît alors en état la cabane du clocher et un nouveau mécanisme y retrouva place. Ce dispositif n'était pas tout à fait le même que précédemment. En effet, l'administration CHAPPE prenait de l'expérience. A l'usage des autres lignes, son matériel s'améliorait. Pour différencier les modèles, les spécialistes les nommeront du nom de la ligne qu'ils équipèrent, par exemple : mécanisme "BREST", mécanisme "MILAN".
On rechercha de nouveaux hommes pour assurer l'exploitation. Comme en 1799, on les trouva parmi les réformés militaires, pensionnaires de l’Hôtel des Invalides de Paris et de ses annexes. Pour les instruire, on fit sortir des stations en service des agents chevronnés. Cet enseignement fut d'abord dispensé à l’hôtel de Villeroy, 9 Rue de l’Université, devenu le siège de l'Administration Télégraphique, au moyen d'appareils en miniature disséminés dans les jardins. L’entraînement se poursuivit ensuite, en vraie grandeur, sous la surveillance des inspecteurs, sur les stations en état de fonctionner entre PARIS et MONTARGIS. Ainsi, dès que les premières stations furent en état, le clocher de Girolles vit passer quelques apprentis.
L'établissement de la liaison sur le parcours de LYON à TURIN tardait. Les travaux du franchissement des Alpes, plus difficultueux que prévus, prenaient les allures d'un véritable exploit.
Pendant cette période d'attente, un inspecteur, dont on ignore le nom, eut les loisirs de réaliser une série de fiches et de dessins que l'on a appelé : le "dépliant", car elles sont assemblées en une seule bande de papier, très longue, repliée en accordéon et contenue dans une sorte de portefeuille en cuir. Ce document est actuellement exposé au musée postal de Nantes.
Les deux volets concernant la station de GIROLLES. sont reproduits ici. Le dessin, un peu naïf, montre assez bien l'aspect qu'avait le village en 1806/07. Il n'a pas énormément changé. La fiche, par contre, n'est pas très loquace.
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On profita également de l'attente des premières dépêches, pour rectifier les mises en place trop hâtives. La station de Montargis aventureusement placée sur la colline du château fut supprimée et abandonnée. Le transfert au profit du clocher d'AMILLY se fit entre le 10 Mai 1807 et le 8 Juin 1808.
Pour continuer à "cadrer" leur correspondant, les opérateurs de Girolles ne déplacèrent la longue vue braquée vers le sud que de quelques degrés.
Avant la Restauration, peu d'éléments nous renseignent sur l’identité de ces opérateurs. Le nom de l'un d'entre eux est parvenu jusqu'à nous mais ce fut à l'occasion de sa destitution : le 11 octobre 1806, un certain LEJEUNE reçoit l’avis qu'il ne doit pas compter sur la place de stationnaire de Girolles, son exactitude laissant à désirer. Le Sieur Jean-Nicolas THIERRY, lieutenant, sort de l’hôtel des Invalides pour aller le remplacer.
Aucun document précis n'indique si les troupes étrangères qui, en 1814, franchirent le Loing à Souppes, s’intéressèrent à la station de Girolles.
A partir de 1816, l'habitacle du télégraphe, fut occupé par différents agents dont plusieurs sont des enfants du pays. L'un d'eux jouera même un rôle dans la vie publique locale :

- Jean-Louis PLARD ,"laboureur", 26 ans, originaire de GIROLLES, épouse Catherine PERON, également de Girolles, le 10 Mars 1813. Plusieurs enfants naîtront. Il devint agent du télégraphe du bourg vers 1816/18. Propriétaire de terres sur la commune, électeur et éligible, il fit partie du Conseil Municipal. En qualité d'adjoint, il remplaça une première fois le maire : Jacques Etienne LEBERT, décédé le 9 Avril 1826. Le maire suivant : Jacques COUTE, décéda à son tour, le 12 Novembre 1828. J.L. PLARD, le remplaça encore. Ces deux essais l'imposèrent sans doute, il devint maire à son tour, en Mars 1829.
La charge d'édile était-elle incompatible avec le télégraphe ? A partir de ce moment, il ne parait plus s'occuper que de ses terres et des affaires communales. Il conserva l'écharpe, sans interruption jusqu'aux alentours du 20 Mai 1848. Péripétie locale ou ressac des événements du 24 Janvier, qui conduisirent Louis-Philippe à l'abdication ? : en attendant la désignation d'un autre maire, il fut remplacé par Chaumeron, son adjoint. Peu après, le vent des événements lui redonna son siège de premier Girollois. Il le conserva jusqu'à sa mort, survenue le 16 Juillet 1854.

- Germain PERON  : Né vers 1802, probablement à Girolles, parent de J.L. Plard (beau-frère ou cousin), il épousa Catherine Gagnon, vers 1824. Il eut d'elle plusieurs enfants. Il apparaît comme agent du télégraphe vers 1822/23. Il conservera son poste très longtemps, au moins jusqu'en 1848. Ce qui lui donne le record de présence au télégraphe de Girolles.
Très lié avec J.L. Plard, quoique beaucoup plus jeune que lui, à 46 ans, le 24 Juillet 1854, il poussera la sympathie jusqu’à le suivre de quelques jours dans la tombe. Les actes de décès des deux beaux-frères et amis se suivent immédiatement dans le registre des sépultures.

- Jean François André BEAUDOUIN (ou BAUDOUIN) : est né le 29/11/1807 à CELY, Canton de Melun. Il apparaît comme agent télégraphiste à GIROLLES, vers 1830/31. Il épouse le 22/05/1832, une fille du pays : Marie FAFA, 23 ans, née à Mignières, mais domiciliée à Girolles, dont il aura plusieurs enfants.
Vers 1840, plus de télégraphe, il devint marchand épicier, au bourg même. Habitant à proximité de la maison commune, témoin facile à quérir, il figurera complaisamment, sur de nombreux actes d'état-civil.

- Jean PERON : Probablement parent de Germain Peron et de J.L. Plard. (son ascendance n'a pas été recherchée). Semble avoir remplacé J.F.A. BAUDOUIN vers 1840. En mai 1848, il n’apparaît plus qu'en qualité de vigneron.

Au delà de 1848, les registres d'Etat-civil ne livrent plus aucun nom d'agent du télégraphe.

La ligne cessa officiellement de fonctionner en 1862 (décret du Ministre de l'Intérieur du 13 Janvier). Le matériel tut récupéré et la cabane du clocher livrée au bon vouloir de la municipalité.
Dix ans après, la cabane était toujours là.
Sans doute habitué à sa présence, personne n'était pressé de la voir disparaître, d'autant que cela signifiait, pour le conseil communal, une décision difficile à prendre. La remise en état du clocher l'obligeait à engager des dépenses que son microscopique budget n'était pas en état de supporter.
A la séance du 6 Novembre 1864, l'adjoint expose enfin l'affaire au conseil. Il a fait dresser un plan par M. Legrand, architecte de l'Arrondissement. Le devis s'élève a 8.000 F. Mais, pour des raisons d'économie, dans le cas ou le Préfet serait d'accord, il a fait établir un autre projet par un homme d'expérience habitant le village, M. Pierre Berthelot, "maître masson". Le devis est nettement moins élevé. Le conseil adopte le projet Berthelot.
Pour dessiner le plan indispensable au cheminement du dossier, M. Berthelot s'est adressé à M. BEAUDENON, Instituteur à Girolles. Celui ci l'a signé le 10 Décembre 1864. Quoique visé par le vicaire Général de l’évêché le 4 Janvier 1865 et approuvé par le maire le 14 Juillet 1865, il n'a pas été réalisé, pas plus que celui de M. Legrand. Finances insuffisantes !? désaccord du Préfet ?

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En 1864, GIROLLES n'avait guère plus de 600 habitants. Les archives locales révèlent que tous les chefs de famille n'étaient pas nantis de revenus suffisants pour cotiser aux finances communales. Les plus fortement imposés se comptaient sur une très courte liste, la même d'ailleurs que celle des habitants qui ont payé les "rançons" et les taxes réclamées par I' occupant en 1870. Ce sont ces derniers qui approuveront (dans certaines limites), les dépenses envisagées pour la remise en état de la flèche du clocher, et en quelque sorte s'engageront à la réaliser, (Séance du 7 Mai 1865).
Par lettre du 3 Octobre 1865, le sous-préfet demande au conseil d’examiner le plan présenté par M. Colin, architecte à Montargis. Le conseil l'accepte a condition que le plan de M. Legrand, l'architecte remercié, soit payé avant que M. Colin ne travaille au devis, lequel ne doit pas dépasser 6.000 F, sans les échafaudages.
La séance du mois de Février 1866 nous apprend que le projet de M. Colin n'a pas, lui non plus, été retenu. Il réclame cent francs pour la confection de son plan inutile. Le conseil paye.
La reconstruction de la flèche du clocher occupe une place non négligeable dans les discussions à toutes les séances mensuelles. En Novembre 1866, le conseil lassé, décide d’en ajourner I 'étude jusqu'à la conclusion de l'agrandissement de I' école a laquelle il donne priorité.
Le temps et le conflit de 1870 passent sur le projet.
A la séance du 14 Novembre 1875, le Maire propose au conseil que les sommes provenant des bons de liquidation des frais occasionnés par la guerre soient destinées à la restauration du clocher. Le conseil adopte.
Puis, le registre des délibérations devient muet sur le sujet. La séance du 31 Mai 1885, consacrée au budget et à la régularisation des dettes consécutives aux travaux de réfection du clocher, décèle que ceux-ci sont achevés depuis quelques années déjà. Par elle, nous apprenons qu'un second projet conçu par M. Legrand a enfin été adopté en 1876, par toutes les parties prenantes.
Le financement des devis initiaux, soit 9.000 F., avait été prévu, avant travaux, de la manière suivante :
- Secours de l’Etat : 2.000 F.
- Emprunt autorisé par le Préfet : 6.500F.
- Apport immédiat de la commune : 500.F.
L’attente et les atermoiements ne semblent pas avoir été salutaires aux finances locales. Les dépassements ne sont pas négligeables. Le Maire, cette année là, dut demander au préfet les arrangements d'un budget additionnel.
De tous ces projets, les archives municipales conservent divers devis dépourvus de plans. Un seul dessin a été, par bonheur, retrouvé cet été : celui de 1864, celui qui est de la main de M. BEAUDENON, l'instituteur du village. Il est en mauvais état, certes, mais le Maire l'a fait reproduire, encadrer et placer dans la salle commune de la Mairie. Chacun peut ainsi l'examiner et découvrir l'apparence que pouvait avoir la cabane du télégraphe.
On ne connaît pas l'aspect de l'ancienne flèche.
Pourtant, dans son ouvrage édité en 1879, M. Edmond MICHEL [E. Michel, Monuments religieux, civils et militaires du Gâtinais, Lyon 1879, copie partielle à la Bibliothèque Municipale Durzy a Montargis  : Ms L1161-29.] avance, sans certitude, qu'antérieurement au télégraphe, la flèche pouvait avoir été construite entièrement en pierre. Il précise que la visite de l'église qu'il décrit manifestement faite vers 1877/78, a eu lieu juste après la démolition de la cabane du télégraphe. Il ne parle pas de l'aspect actuel du clocher, ce fut donc avant la reconstruction.
Conformément au projet de M. Legrand, le beffroi à base carrée a été exhaussé de 5,20m. Il est surmonté d'une flèche (charpente en bois et ardoises) de 15 m. de haut, ce qui lui donne certainement une allure plus élancée que celle qu'il pouvait avoir précédemment.
On peut constater sur place la différence d'appareil entre ses deux premiers niveaux (existants) et le troisième (modification), séparés d'ailleurs par une corniche marquée par la présence de modulons
La différence de style saute également aux yeux. Chaque face de la surélévation est surmontée d'un gable pointu sans ornement, (?) simplement ajouré d'une lucarne aveugle ronde et de deux hautes fenêtres à arcades géminées séparées par une colonnette. Ces fenêtres livrent passage aux abats-son installés à la hauteur des cloches, lesquelles ont ainsi été élevées d'un étage. [Certains voient dans leur présence, ainsi que dans celle des gargouilles et des pyramides placées au dessus des contreforts d'angles, artifices qui n’existaient certainement pas précédemment, la "patte" de Viollet-Le-Duc. Il se serait intéressé au projet lors de son passage à Montargis à l'occasion de la réparation de l'église de la Madeleine. Cela donne au clocher un style roman très XIXe s.]
Les colonnettes des fenêtres sont actuellement très endommagées. L'oxydation des tringles de fer qui les renforcent, complétée par le travail du gel, leur sera rapidement très préjudiciable, si aucun remède n'y est appliqué à court terme.

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