A propos du télégraphe Chappe de Montargis

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chappe_timbre.gif (7184 octets)Le Télégraphe Aérien de CHAPPE, dans notre univers abondamment médiatisé, apparaît de nos jours passablement lointain et bien dérisoire.
Inventé au début de la Révolution (1790), expérimenté en 1791, essayé et construit en 1793, mis en service pendant les jours les plus dramatiques de la Convention (1794), introduit dans notre région dans les derniers jours du Directoire, il fut pourtant le premier moyen de communication à longue distance qui permit à l'homme de s'affranchir des moyens hippomobiles.
Les échanges de messages ayant eu lieu le 12 Juillet 1793 [entre le parc de la propriété du Député Le Peletier de Saint-Fargeau à Belleville et le village de Saint Martin du Tertre, avec une station à Ecouen], à l'occasion d'essais officiels, devant les principaux membres de la Commission de l'Instruction Publique, composée de Conventionnels éminents, sont aujourd'hui élevés au rang d’événements d'importance internationale.
Considérés comme les premiers pas des télécommunications modernes, ils intéressent à ce titre plusieurs assemblées de spécialistes.
En Mars dernier [1991], à Brulon dans la Sarthe, pays d'origine des frères Chappe, ont eu lieu des cérémonies marquant le bicentenaire des premières expériences. Les essais officiels de 1793 seront dans quelques mois, commémorés par les plus hautes instances.
Les pâles lueurs que les feux de notre actualité si chargée ont accordé à ces cérémonies ont cependant tiré du passé ce système télégraphique oublié.

On se souvient alors, que la tradition orale [Ces informations, partiellement vraies, proviennent probablement d'une série de conférences, données à Montargis autour de 1890, par un orateur talentueux et très suivi. (voir : BibI. Mun. de Montargis, L 3791, p.38.)] assure qu'au début du siècle dernier, une station du Télégraphe CHAPPE aurait été hissée sur la Grande Tour de la Grande Salle du château de MONTARGIS, d'où elle correspondait avec les autres tours et clochers des environs.
La littérature locale est totalement absente dans ce domaine. Seuls, quelques fragments évoquent, hélas de façon partielle et approximative l'existence de ce poste.

Notre propos ne concerne que la station de MONTARGIS. Il se borne à indiquer comment ont été assemblés les éléments susceptibles de répondre à trois questions :
- où et quand cette station a été installée ?
- et quand cessa-t-elle de fonctionner ?

Les essais de Juillet 1793 furent suffisamment satisfaisants pour que CARNOT, responsable de la conduite et du soutien des opérations que la République menait dans les Flandres, obtienne de la commission Militaire, sur les fonds du Ministère la Guerre, les crédits nécessaires à la construction de la première ligne : PARIS - LILLE.
Chacun connaît les succès de la première dépêche informant, dans l'enthousiasme, la prise du Ouesnoy (30 Août 1794). On connaît moins les difficultés des premières constructions et encore moins les implantations exactes.
Il est, en effet, curieux de constater que la position des postes CHAPPE, qui, pour la plupart, ont fonctionné pendant soixante ans, de la Révolution au début du Second Empire (1856), parait, dans certains cas, moins bien connue que les sites préhistoriques.
A cent cinquante ans de distance, il est vrai, nous n'avons plus à avoir de complexes. Lorsque sous la Troisième République, vers 1890, trente ans après la fermeture des dernières lignes CHAPPE, quelqu'un s'avisa, au tout nouveau Ministère des Postes et Télégraphes, de consigner leurs traces sur une carte, il fallut, pour retrouver approximativement les positions des stations, procéder à une véritable enquête nationale. Elle dura plusieurs mois. A cause de cela, l'Atlas, dit "de KERMABON" [Il porte le nom du fonctionnaire qui l'a gravé : Edhémar Kermabon, Commis Principal du Ministère des Postes et Télégraphes], ne reflète, par département, que la situation des derniers temps du fonctionnement et omet quelques unes des menues modifications survenues auparavant.
Ainsi, MONTARGIS ne figure pas sur cet atlas.
Pourtant, la tradition orale n'invente rien, il y eut bien, ici, une station CHAPPE. Voyons les choses en détails.

Après les succès des premiers échanges avec Lille, une seconde ligne : PARIS - LANDAU, fut immédiatement entreprise. Mais , les embarras financiers du gouvernement entraînèrent des difficultés de fonctionnement sur le Nord et des retards dans la progression vers l'Est. Le Directoire décida même l'abandon des travaux (décret du 25 Août 1797). On était alors près de la fermeture totale du service.
Pourtant, après ces deux lignes, destinées surtout aux besoins militaires terrestres des armées du Nord et de l'Est, le Ministre de la Marine, à son tour, revendiqua et obtint sa ligne, la troisième, de Paris à Avranche, avec ramifications vers Brest et Cherbourg, pour desservir les ports et la zone de regroupement d'une armée dite "d'Angleterre" Cette ligne, communement appelée : PARIS - BREST, fut construite en sept mois, presque entièrement sur les crédits de la Marine [Une loi du 5 Janvier 1798 (16 Nivose An VI) prévoyait un emprunt de quatre-vingt millions pour la préparation d’une descente en Angleterre. (Hist. et Dict. de la Révol. Franç., Tulard, Fayard et Fiéro, Ed. R. Lafond, 1987, p.395).]
Le Congrès de Rastadt (1797/99) sauva la situation. Pour en suivre les péripéties, le Directoire débloqua les fonds nécessaires pour achever Paris - Strasbourg [A ce moment là, Landau n'était plus Française.]

Lorsqu'on survole l'histoire des lignes Chappe, on constate que chaque étape de leur développement, a toujours été la conséquence de tensions internationales. Destiné au seul trafic gouvernemental, d'un coût élevé, nettement plus rapide que les moyens hippomobiles, mais d'un rendement faible, seuls les impératifs du moment, dans l'espoir de peser, de Paris, sur les événements lointains, justifiaient l'extension du réseau.

Pour ne pas faire mentir cette constatation, les événements d'Italie et de Suisse de fin 1798, incitèrent le Directoire à décider la construction d'une nouvelle ligne, la quatrième : PARIS - LYON, par DIJON (décret du 22 Nivose An VII - 18/01/1799).
La station de Montargis devait être un maillon de cette ligne. Hélas, les archives montargoises ne recèlent que très peu d’éléments qui rappellent son existence.
Les plus anciens documents sur le sujet, conservés ici, dans la bibliothèque qui porte son nom, sont deux lettres de la correspondance du Commandant DURZY.
La première, du 17 Septembre 1798, lui est adressée. Le rédacteur, plutôt négatif, dit : " on ne parle pas d'établir un télégraphe ici " [voir Bul. Soc. Emul. N°54,(1981), p.19. lettre n°29.]
Par contre, dans le long post-scriptum d'une autre lettre, écrite de CAEN, datée du 18 Fructidor An VII, (4 Sept. i799), DURZY, alors qu'il était précisément attaché à l’Etat-major de l’armée d'Angleterre, citée ci-dessus, indique à son frère, resté à Montargis, dans le cas où celui-ci voudrait postuler un emploi, ce qu'on dit à propos d'un Télégraphe qui va, prochainement être placé au Château. Il lui explique la vie et les contraintes d'un "stationnaire". Ce texte illustre assez bien ce qu'était leur état. Il est entièrement reproduit :
- P.S. " On doit, dit-on, établir de Paris à Lion une ligne télégraphique qui passera probablement par Montargis. Les employés a ce télégraphe (il y en aura probablement un au château) ont 90£ à 100£ par mois. Ces places qui exigent une résidence continuelle le jour, sont d'ailleurs peu difficiles à remplir, puisqu'il ne s'agit que d'examiner avec une lunette le signal du télégraphe le plus voisin pour le répéter à celui qui suit. Je crois que tu pourrais bien en remplir les fonctions, si tu t’établissais à portée du télégraphe où tu serais employé. Je t'avertis que les places sont ennuyeuses et monotones, puisqu'il faut sans discontinuer avoir l’œil fixé sur deux lunettes braquées sur les deux télégraphes voisins. Si cette monotonie ne t'effraye pas, restera la difficulté de t'y transporter. Si tu la lèves, tu pourrais solliciter une de ces places, il y a à chaque poste 2 employés qui se partagent la journée. Si tu habitais Saint Malo et que cette place te convint. Je répondrai de ton affaire. Signe : D. " [Bibl. Mun. Montargis, Col. Durzy, Ms 243]

On pense que Claude CHAPPE lui-même, est venu dans le Gâtinais reconnaître les différents sites. Il a très rapidement donné le profil définitif du tracé de la ligne.
En reportant simplement la position des stations sur la carte, on peut s'imaginer qu'il a été fasciné par la direction du château de Montargis.
Sans approfondir la question, il semble que CHAPPE aurait pu faire plus court et franchir le Loing à la hauteur de Nemours, pour atteindre les hauts d'Auxerre, par la nervure comprise entre Yonne et Loing. De Paris, la direction Sud est constante. A la station de Puiselet, près de Nemours, il a choisi de continuer plein Sud, ce qui l'obligea, à Montargis, à virer brusquement vers l'Est, pour rejoindre Villers sur Tholon, par la vallée de l'Ouanne, Chateaurenard, Douchy et Chevillon [Station tardive qui n'existait pas aux débuts.]
On ne connaît pas la raison de ce détour. Sans doute, la nécessité de faire vite et la nature du relief commandaient
Une station fut donc placée à Montargis. Aucun cadastre ou plan connu, ne précise à quel emplacement exact.
Une chose est sûre. Contrairement à ce qui se répète traditionnellement, la Grande Tour du Château ne fut pas utilisée. D'ailleurs, lors de l'installation de la station elle contenait encore sa grande horloge [Le mécanisme de l'horloge ne fut retiré qu'en 1809.]. Le mécanisme de Chappe n’aurait pas pu fonctionner dans l'espace laissé libre. Que l'on y ait procédé à des essais ? C'est probable. Mais, soit que la tour paraissait déjà trop vétuste, ou soit, plus vraisemblablement, pour des motifs de visibilité, la station a été placée ailleurs. [Au milieu des toitures et des multiples tours de la Grande Salle, les mouvements des bras du mécanisme Chappe n’auraient pas été correctement visibles des deux correspondants : GIROLLES et CHATEAURENARD.]

Une tour a spécialement été construite sur la colline du château. Elle n'existe plus. Les traces de ses fondations ne sont pas visibles [probablement bouleversées lors de travaux, ou enfouies sous la salle de sports. Elles n'auraient pas dû passer inaperçues. On construisait "solide" à l'époque. Aux Liziards (Châteaurenard), les fondations de la tour avaient plus d'un mètre d'épaisseur.]
Selon toutes vraisemblances la tour se situait sur la lèvre sud du plateau, au sommet du chemin de la Collerette qui borde le cimetière, dans un triangle délimite par le château d'eau, l'angle de l’enceinte de l’école St Louis et le bâtiment d’habitation de la rue de la Collerette, approximativement à l'emplacement de la salle de boxe.

Les chantiers de construction atteignaient tout juste DIJON, lorsque survint le 18 Brumaire, (9 Nov. 1800). Le Consulat, ayant trouve des caisses vides et des finances exsangues, décréta le 20 Janvier 1801, l’arrêt des travaux. Le matériel déjà en place fut rassemblé et les constructions laissées a la garde des Maires.
MaIgré cette remise en question, dans les liasses de l’étude de Me TRELAT, notaire, à la date du 12 Germinal, An IX (2 Avril 1801), acte n°346, on trouve un "Bail a Loger", pour trois, six ou neuf ans, établi aux noms du citoyen Jean Charles GENNEQUIN, Directeur du " Thélégraphe " établi à Montargis et de Dame Adélade Félicité DELUIGNY, son épouse.
L'arrivée du télégraphe paraissait avoir fait sensation. Y travailler devait conférer une certaine considération. A cette date Gennequin n'avait plus d'emploi, a moins qu'il ait été chargé de la garde du matériel, ce que rien ne confirme. Directeur ?. Il ne devait point l’être, mais un peu de considération ne nuit pas. On le retrouvera, plus tard, lors de la mise en service de la ligne, simple employé, mais responsable de la station. Cependant, le loyer seul dépassait les possibilités d'un simple commis, mais Gennequin n'attendait peut-être pas son traitement pour vivre. En tous cas, il voyait large.
Pour un loyer de 450 francs annuels, payables en deux fois, il prenait logement dans le lieu appelé "le Gouvernement", (qui correspond à la partie le plus ancienne de ce qui subsiste du château, là où se trouve la tour de l’école St-Louis). Il avait jouissance de tout ce qui en faisait partie : immeubles, meubles, boiseries, placards, armoires et glaces qui viendraient à s'y trouver, jardins, cours qui en dépendent, le droit de passage, d'entrée et de sortie, de jour comme de nuit par les portes, donjons et issues qui communiquent à l'extérieur, à la communauté et aux puits. Son épouse et lui signent le bail, conjointement avec le notaire et un certain DECHAMBRE, fondé de pouvoir, habitant Lisledon, dûment mandaté par l'Amiral Louis René Maxime LEVASSOR (De) LA TOUCHE-TREVILLE, à l'époque, propriétaire du Château. La procuration que présente M. Dechambre est signée de l'Amiral, lui-même.

Il faudra attendre 1805, année fertile en événements, pour voir évoluer les choses.
Au printemps, la République Italienne à l'exemple de la République Française se transforme en Royaume d'Italie. La couronne est offerte à Napoléon. Le 4 Avril, le Pape PIE VII quitte Paris pour retourner dans ses Etats. Le 11 Avril, à St Petersbourg, la Russie et l'Angleterre signent les débuts d'une troisième coalition contre la France. A Milan, le 26 Mai, Napoléon ajoute la couronne italienne a son titre Impérial. Après la cérémonie, lors de l’inauguration des travaux du Corps Législatif Italien, il nomme son beau-fils, Eugène de Beauharnais, Vice-roi d’Italie. Le 4 Juin, le Sénat de Gènes demande la réunion de la République Ligurienne a la France
Alors qu'il était de passage à MANTOUE, Napoléon décida de réactiver la ligne de LYON et de la prolonger jusqu'à MILAN, par TURIN. Le décret fut signé, dans cette ville, le 30 Prairial, An XIII (19 Juin 1805).

Claude CHAPPE, l'inventeur, ne vit pas cette reprise. En proie à une dépression, due à la fois aux critiques de concurrents envieux et à la maladie (l’oreille taraudée par un cancer), il avait fini par se jeter, le 23 Janvier 1805, dans le puits de son atelier parisien.
Deux de ses frères le remplacèrent à la tête de I Administration télégraphique.
Dès le 14 Messidor (3 juillet), sous la signature de CHAPPE l’Aîné, ils se manifestèrent auprès du maire de MONTARGIS, par une lettre-circulaire pour l’informer du contenu du décret du 30 Prairial dernier, et pour lui demander dans quelle situation se trouve le télégraphe qui a été construit sur sa commune. [Ce qui semble exclure toute charge de gardiennage, du moins jusqu’à cette date, confiée au citoyen Gennequin.]
Le 26 Messidor, (15 Juillet), le Ministre de l'Intérieur, à son tour, par l'organe du sous-préfet, écrit au maire pour lui rappeler qu'un poste télégraphique a été construit sur sa commune, et que par sa correspondance du 10 Ventose An 9, il avait recommandé la plus grande surveillance et la conservation de la construction. Il réclame un procès-verbal des dégradations éventuelles.
Les travaux reprirent donc.
Au delà de LYON, la réalisation du passage des sommets alpins s’avéra très difficile. Les débuts de l'exploitation furent retardés de plusieurs mois.

Ce long délai d'attente permit de parfaire le recrutement et l’instruction des stationnaires.
Le 17 mars 1806, le Sieur Pierre BEAUJEAN, soldat invalide, stationnaire depuis plusieurs années déjà, est appelé au siège de l'Administration Telégraphique (Hôtel de Villeroy, 9 rue de l'Université à Paris), pour y instruire les futurs stationnaires de la ligne en construction. [Depuis 1794, les hommes valides, assez jeunes et sachant (autant que possible) lire et écrire, étaient tous mobilisés dans les armées de la République, puis de l'Empire. L'Administration CHAPPE fit constamment appel aux pensionnaires de l’Hôtel des Invalides de Paris et de ses annexes de Louvain et d'Avignon. On les choisissait encore suffisamment aptes a se déplacer et à effectuer, non seulement le maniement du mécanisme, mais aussi les réparations des avaries ordinaires de fonctionnement.]
Il s'acquitte fort bien de cette tâche et le 10 Juin 1806, il est sur sa demande, nommé à MONTARGIS. Son traitement sera de 40 sous par jour, pension militaire comprise. Il devra poursuivre la formation des nouveaux agents avec une machine de dimensions normales (celles de l’Hôtel de Villeroy sont de dimensions réduites et réparties dans le jardin). Un certain LEJEUNE, surnuméraire, lui est envoyé. Celui ci est averti qu'il ne percevra aucun salaire d'ici à ce que la ligne de MILAN soit mise en service.

Pendant cette période de semi-activité et d'instruction, un inspecteur, dont on n'a pas conservé le nom, eut suffisamment de loisirs pour confectionner un document heureusement conservé et actuellement détenu par le Musée Postal de Nantes. [Ce "dépliant" a appartenu au Comte Tardif de Petitville, époux de Marie-Jeanne Chappe, petite-fille d'Abraham Chappe, frère de l'inventeur, puis au Comte Le Tourneur d'Ison, autre descendant de la famille Chappe. Il a été recueilli par un collectionneur de Nantes, M. Eve, avant d’être remis au Musée Postal de Nantes.]
Cet objet, que l'on appelle le "Dépliant", car il se présente sous la forme d'une bande de papier, longue de plusieurs mètres, repliée en accordéon, contenue dans un portefeuille en cuir, contient un dessin naïf et une fiche explicative pour chacune des quarante premières stations de la ligne de LYON, existantes à l’époque, de Paris jusqu’aux confins de la Côte-d'Or et de la Saône et Loire.
Le dessin concernant MONTARGIS est reproduit en tête de cet article. Il permet de se faire une idée de l'apparence de la station. Il confirme, de plus, sa position. Il montre la colline du Château, vue du coté Nord. On remarque qu'elle était encore chauve de constructions. La grande salle donne l'orientation.
La fiche correspondante contient les particularités de la ville qui ont frappé le rédacteur. La "déviation" dont il est question est le principal motif qui a provoqué la disparition de la station de MONTARGIS, au profit du clocher d'AMILLY.
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En effet, (simple règle de perspective), le contour d'un objet éloigné est d'autant mieux observé qu'il est perpendiculaire a l'axe de vision. Le plan visible diminue lorsque on s'en écarte. Le grand bras du mécanisme, appelé "régulateur", et les deux autres, les "indicateurs", devaient, pour être vus équitablement, se mouvoir sur la bissectrice de l'angle formé par les axes de vision des deux correspondants lointains.
L’angle formé par le plan visible du mécanisme et la perpendiculaire de l'angle de vision était appelé par les techniciens Chappe la "dèviation".
Les spécialistes de l’Administration CHAPPE, après les tâtonnements des débuts et les enseignements des premières lignes, avaient fini par admettre que la déviation ne devait pas dépasser 20 degrés.
A Montargis, station construite en 1799, (période de tâtonnements), mais surtout a cause du coude du tracé de la ligne, cette déviation dépassait 28 degrés.
Pour l'affaiblir, il fallait accepter le transfert sur un autre point haut.
Le seul de la région, restant visible des deux correspondants amont et aval : GIROLLES et CHATEAURENARD, était le clocher d'AMILLY. La déviation y restait importante, mais elle tombait aux alentours de 18 degrés, un peu au dessous de la norme.

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A quelle date eut lieu ce changement ?
A MONTARGIS aucune archive connue ne permettait de le définir.
Une première estimation vint des archives municipales d’AMILLY.
Les registres successifs de délibérations ne consentent a mentionner la présence du Télégraphe sur le clocher d'Amilly, que vers 1836, a l'occasion d’un différent entre le curé, et les "Télégraphiés". [On désignait ainsi les employés au Télégraphe.] Le premier se plaignait de gouttières provoquées par la présence des seconds sur le clocher. Etant donné la faiblesse de ses ressources, le Conseil Municipal de l'époque était peu enclin a participer à une quelconque réparation du toit de l'église. Inquiet du soutien du plaignant par le Ministre des Cultes et de la présence fréquente de l'omnipotent inspecteur de l'Administration CHAPPE, mandataire, en quelque sorte, du Ministre de l’lntérieur, il délibérait pour arrêter sa conduite. Tout en étant devenu propriétaire de l'église en 1790, le Conseil semblait considérer que c'était là une affaire entre le Ministre des Cultes et l'Administration du Télégraphe.
Cette délibération est intéressante, car avant cette date, aucune inscription sur ces registres ne fait, même une simple allusion à la présence de la station Chappe sur le clocher d'Amilly.
Les registres d'état-civil, par contre, sont plus conciliants.
Ils nous indiquent que le 13 juin 1814, un certain Georges Mathias NITSCHELM, employé au "Thélégraphe" d'Amilly, né a Colmar, ancien militaire, épouse une fille du pays : Marie Anne Louise RIGLET. Les indispensables papiers venaient d'Alsace. Ils y avaient été légalisés au début d'Avril. La demande avait certainement été formulée quelques temps avant. Compte tenu des fréquentations, accordailles, fiançailles, on pouvait admettre que ce vétéran avait connu sa promise dans le village où il travaillait et que par conséquent le poste fonctionnait déjà sur le clocher d'Amilly, en 1813.
La fourchette dans laquelle on pouvait raisonnablement situer le déplacement du Télégraphe, tombait à environ 7 ans : 1807 – 1813. C’était un progrès, mais ce n’était pas satisfaisant. Le transfert avait certainement eu lieu avant.
Il fallut chercher ailleurs.
Les Archives Nationales conservent plusieurs cartons de papiers de l’Administration CHAPPE. Ils contiennent quelques éléments concernant Montargis et Amilly.
Notamment, extraite du "Correspondancier" : une lettre, datée du 22 Août 1806, écrite par Abraham CHAPPE, qui venait d'inspecter la ligne, nous apprend que BEAUJEAN ne sympathisait pas avec JENNEQUIN, son compagnon de travail. [Nous le retrouvons ici, orthographe : JENNEQUIN (Correspondancier), GENNEQUIN (acte notarié et signature)]. On lui proposa de choisir un autre poste. BEAUJEAN rentra aux Invalides. L'Administration prenait bien soin d'informer le Maréchal SERURIER [Gouverneur de l’Hôtel des Invalides], qu’elle "avait été totalement satisfaite de ses services."
Le 11 Octobre 1806, JENNEQUIN était officiellement chargé du poste de MONTARGIS.

Le correspondancier des frères CHAPPE nous révèle ensuite que :
- Le 4 Décembre 1806, le Sieur Barthélémy BIGOT, Lieutenant de la 5° Division était désigné pour se rendre à MONTARGIS. Le citoyen Jennequin n’est plus cité.
- Le 17 Mars 1807, M. OFFROY, inspecteur chargé de la 1° Division (de Paris à Montargis inclus) recevait la consigne, pour faire des contrôles de l’instruction des stationnaires, de faire copier les signaux à Villejuif et à Montargis.
- Le 1er Mai 1807, la communication était enfin établie de PARIS à LYON.
- Ce jour là, M. OFFROY, recevait l'ordre, comme tous les autres inspecteurs, d'effectuer des tournées d’observation, pour réprimer les abus qui se commettaient sur la ligne et de remédier aux obstacles qui pouvaient gêner la visibilité.
- Le 10 Septembre 1807, ce même inspecteur est avisé du remplacement du stationnaire de PUISELET (St.-Pierre-les-Nemours) qu'il vient de destituer, par le Sieur Mathieu NITSCHEM, (celui qui prendra femme à Amilly en 1814).
Apres cela, le correspondancier reste muet jusqu'au 8 Juin 1808, en ce qui concerne Montargis ou Amilly.
Ce jour là, l'Administration écrivait au Sieur CAILLET, stationnaire à AMILLY, pour lui signifier sa destitution. On lui reprochait sa lenteur au travail, ses absences et son attitude vis à vis de ses correspondants, qu’il "ménageait et en attendait autant d'eux". Le Sieur Barthélémy BIGOT, ancien stationnaire de MONTARGIS, qui était retourné aux Invalides à une date inconnue, allait les quitter à nouveau pour venir le remplacer à Amilly".

Le transfert, donc la cessation du fonctionnement de la station de MONTARGIS, se situe donc dans une fourchette de 13 mois, sérieusement plus étroite que précédemment : du 1er Mai 1807 au 8 Juin 1808.
Il sera peut-être possible de l'affiner encore.
Mais est-ce bien utile ? On arrive, en effet, à la conclusion que le transfert a vraisemblablement été décidé avant la mise en exploitation effective de la ligne jusqu'à LYON.
Il a probablement été envisagé, sinon décidé, lors de l'inspection d'Abraham CHAPPE, en 1806, et réalisé lors de la mission de l'inspecteur OFFROY, concernant la visibilité, au Printemps 1807 (voir plus haut).
Lors de la création de l'atlas de KERMABON, la station de MONTARGIS n'était plus qu'un lointain souvenir. S’il ne lui accorde pas la moindre mention, par contre, une gravure, datant des années 1820, représentant le Château de Montargis avant la démolition de la Grande Salle, semble faire apparaître la tour du Télégraphe, se présentant déjà sous forme de ruine.

Au mois d’Août 1807, la liaison avec TURIN fut enfin établie.
Mais, en Avril 1808, la partie de la ligne, au delà de LYON, fut mise provisoirement en sommeil. Elle ne reprit son activité qu'un an plus tard, lors de la totale mise en service jusqu’à MILAN.
En 1810, la ligne parvint à VENISE, avec prolongement sur MANTOUE. Depuis la décision que Napoléon avait prise dans cette ville, il s'était écoulé 5 ans.
En 1814, quelques stations subirent quelques dégâts et furent occupées par les troupes étrangères.
Apres le congrès de Vienne, le télégraphe cessa de fonctionner au delà de LYON.
Avec la Restauration la ligne fut remise en service jusqu'à LYON . Elle fut, en 1821, prolongée vers le sud : MARSEILLE et TOULON.
Elle fonctionna jusqu'à ce que le système Chappe fut détrôné par son concurrent électrique
Un décret de cessation d'activité fut pris par le Ministre de l'Intérieur, le 13 janvier 1852. Le matériel fut rassemblé dans des magasins et les bâtiments vendus aux enchères ou restitués à leur propriétaire.
La première ligne de Télegraphe électrique arriva à Montargis en juillet l860 (voir BSEM, 1981, n°53, p.44).
Dans les mêmes temps, le clocher d'Amilly était remis en état et recevait une cloche neuve.
Le ligne de LYON était déjà entrée dans le sommeil de l'oubli.

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