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LE CHIEN DE MONTARGIS
de la légende au faux littéraire

par Gaston Leloup

Cet article est extrait du Bulletin de la S.E.M. N°44, décembre 1978


La parution récente d'un ouvrage consacré au Chien de Montargis conduit à revoir les sources de la question et à en tirer des conclusions pour le moins inattendues.

 - 1. Etat de la question à la fin du XIXe siècle

Trois grands spécialistes de l'histoire littéraire du Moyen Age : Léon Gauthier (les Epopées françaises, 1878), Paulin Paris (Histoire de la littérature française, 1873) et surtout F. Guessard (Les anciens Poètes de France, t. IX, Préface du "Macaire") ont étudié à fond la genèse et l'évolution de la légende du chien combattant en duel l'assassin de son maître. Tous furent d'accord pour constater que dès le XIIe siècle l'histoire était bien connue avec comme personnages Aubry de Montdidier et Macaire, comme lieu de l'assassinat la forêt de Bondy, et celui du combat Paris, en l'île Notre Dame.

Les thèses de ces auteurs et en particulier celle de Guessard remarquablement documentée, ont été résumées dans l'ouvrage de J. Viscardi : le Chien de Montargis (Etude de Folklore juridique, 1932).

À la fin du XIVe siècle, la légende est si populaire que Gace de la Buigne, chapelain de Charles V, et Gaston Phœbus (décédé en 1391) déclarent "qu'en France elle est peinte en moult lieux".

C'est au XVIe siècle que l'on a témoignage de la représentation de la scène du combat sur le manteau d'une cheminée de la grande salle du château de Montargis.

Ce duel est visible sur la gravure d'Androuet du Cerceau, représentant cette grande salle. Une autre gravure du même auteur portant son monogramme et qui n'a pas été incluse dans "Les plus excellents bastiments de France" (1576) est consacrée au combat du Chien.

Belleforest, en ses "Histoires prodigieuses" (1575) fut le premier à avancer, en se basant sur l'existence de cette peinture au château, que le lieu du combat pouvait être Montargis.

La même année, André Thevet, dans sa "Cosmographie universelle" déclare avec plus de prudence :

"Dans ce château (de Montargis) était, de mon jeune âge, figurée une histoire d'un lévrier qui combattit et desfit un gentilhomme qui avait cauteleusement tué son maître. De dire que la chose est advenue, je n'en veux rien affirmer, tant y a que cela estoit effigié contre un manteau de cheminée..."

Peiresc qui a visité le château dans la première moitié du XVIIe siècle, déclare

"La cheminée se trouvait peincte de ce celebre duel d'entre un chien et un homme qui avoit tué son maistre, dent il ne reste que des vestiges de la teste de l'homme et bien peu du reste du corps, et les hanches du chien, le reste étant effacé par l'antiquité. À main droite de ladite cheminée estoient peinctes les figures debout de Charles Maigne et Louys le debonnaire, dont les fragments des inscriptions se lisent encores, d'une escriture de deux cens ans pour le plus..." (Annales du Gâtinais. T. 36. p. 100)

La figure de Charlemagne placée à côté de la scène du combat nous ramène directement à l'origine de la chanson de geste dont cet Empereur est un des personnages.

C'est en 1731 que parut l'ouvrage qui fixa la légende à Montargis. Il s'agit des "Monuments de la Monarchie Française" de Dom Bernard de Montfaucon. Dans cet ouvrage l'auteur reprend le récit fait en 1648 par Vulson de la Colombière qui donne la version traditionnelle, cite les mêmes personnages avec pour cadre la forêt de Bondy et l'Ile Notre Dame à Paris... mais il illustre son travail par la reproduction de la gravure du combat exécutée par du Cerceau. Cette gravure lui avait été envoyée par un religieux de Ferrières et portait à la suite de la légende imprimée, la date de 1371 ajoutée à la main. Elle parut avec le titre suivant : "le Combat d'un chien contre un gentilhomme qui avoit tué son maistre faict à Montargis soubs le règne de Charles V, en 1371".

Le caractère ambigu de ce titre fit que le combat fut alors situé à cette date à Montargis.

Malgré la démonstration de Bullet, publiée en 1771 dans ses "Dissertations sur la Mythologie Française" opposant la chanson de geste originelle citée par Albéric des Trois Fontaines en 1241, à la légende, le chien resta pour le public rattaché à Montargis.

Le mélodrame de Pixérécourt intitulé "le Chien de Montargis ou la forêt de Bondy" fut joué sans discontinuer de 1814 à 1834 avec un énorme succès et contribua à rendre célèbre cette histoire et le nom de notre ville. Ce fut l'époque de la légende triomphante, triomphe de courte durée, car dans là deuxième partie du XIXe siècle les études de Gauthier, Paris, et surtout celle de Guessard, qui garde toute sa valeur de nos jours, réduisirent à néant tous les éléments soi-disant historiques et les localisations que certains avaient cru pouvoir déceler dans cette légende.

À Montargis, en 1864, parut dans le journal "le Loing" (n° du 26 novembre, 3 décembre et 10 décembre) un long article de Grimont intitulé : "Où il est dit que le Chien de Montargis n'a jamais existé." Ce texte, où la thèse de Guessard est clairement résumée, semblait ainsi mettre un terme à la vie d'une légende déjà bien enracinée.

 - 2. Apparition du texte de Montaigne

Le 9 février 1867, toujours dans "le Loing", sous le titre "Variétés", fut inséré l'article anonyme suivant, extrait du "Courrier du Loiret" :

"Montaigne - Essais : livre II, chapitre XII. Apologie de Raimond Sebond.

À peu près au tiers du chapitre, Montaigne, après avoir rapporté plusieurs exemples d'intelligence et de fidélité donnés par des chiens, raconte l'histoire d'un de ces animaux qui, préposé à la garde d'un temple à Athènes, aperçut un voleur dérobant les vases précieux et les joyaux de ce temple. L'animal suivit le larron sans le quitter non plus que son ombre, jusqu'à ce qu'il l'eût fait prendre. "Plutarque, ajoute-t-il, témoigne cette histoire comme chose avérée et advenue en son siècle

Immédiatement après ce dernier passage, on lit ce qui suit dans l'EXEMPLAIRE DE BORDEAUX [1], en marge, et écrit de la main même de Montaigne :

"Au demourant, ce chien ne montra de plus extraordinaire subtilité, et persévérance que celuy dont le trait se lit en nos anciennes chronyques du Roy Charles cinquiesme. En la ville de Montargis le Franc, où gist le beau chasteau affectionné de nos roynes, vivait alors très-riche homme de noblesse et bien apparenté, nommé Aubry de Montcresson, lequel ayant eu querelles et noises avec ung certain chevalier que nomme l'auteur de la chronyque, Macaire, celuy-cy attendist nuitamment et occist son rival ès-forest de Montargis, laquelle, encore de notre temps, est très-espesse et renommée de prouesses, voleries, vilenies et brigandages. Or advint que le chien que Aubry avoit lors quant et lui, depuis plus ne se pensoit manger et esbaudir tant que avant restrouvé le chevalier Macaire en milieu de place publique, lui saillit sus moult ireusement et outrageusement, de quoy feurent esba,his tous les assistans qui connoissoient que Macaire avoit été l'ennemy de son maistre. Lors feurent en doubtance quelques uns et augurèrent malle chose avoir eu lieu entr'eux, d'autant que la mélancholie du chien datoit dès l'instant qu'avoit disparu Aybry. Gents appostés ayant espié le chien le virent-on chasque jour cheminer à la pierre de Petcourt, en belle erre à l'aller et piteusement au revenir, dessous feust trouvé le corps de Aubry haché et occis vilainement et les membres destranchez. Nostre roy Charles cinquième ayant ouï conter la chose et comme quoy le chien, d'humeur molle et bénigne à tous, ne montrait aspreté et courroux que pour Macaire, soupe çonna véhémentement ce darrain avoir par traistrise et félonnie agi contre la vie de Aubry. Par quoy jugea qu'il échevit gage de bataille qui aist lieu dans le castel de Montargis estant presens le Roy, la royne, plusieurs grands princes et seigneurs es foule ou populaire du pais. Et feut baillé, à l'homme ung baston et au chien ung tonneau percé pour son retraict. Et quand le chien ayant prins l'homme à la gorge, lui contraingnit advouer vergongneusement son crime, et feust Macaire desgradé de son titre de chevalier et gentilhomme et ensuite pendu. Et ung peintre celesbre d'Italie, venu en France, fist plus tard de son pinceau belle et merveilleuse relation de ce combat. Cette peinture feust mise en la grant'salle du chasteau de Montargis où je l'ay voue. Vrayement le traict de ce chien n'arreste en arrière de ceux des antiques et si nous montre que encores bien que les hommes de nos jours ayant descheu de l'excellente condition et vigoureuse trempé d'asme des anciens temps, nos bestes ont conservé leur assiette à celle des Grecs et des Romains !"

(Courrier du Loiret) 

Nous ne savons rien de l'accueil réservé à ce texte par les historiens locaux de l'époque car il ne s'en trouve aucun écho dans les numéros suivants du "Loing". Ce manque de réaction est assez étonnant car il n'est pas si fréquent de découvrir un document aussi important concernant Montargis, de la plume d'un des plus grands écrivains français.

Une vingtaine d'années plus tard, Montaigne semblait complétément oublié si l'on se réfère à un échange de correspondance (conservé aux Archives de la Société d'Émulation) entre A. Le Roy, historien local montargois, et le chanoine Desnoyers, Directeur du Musée Historique d'Orléans, qui écrivait une étude sur le Chien de Montargis. En deux longues lettres datées du 29 mars et du 23 août 1888, Le Roy fournit à Desnoyers tous les renseignements connus à l'époque à Montargis sur ce sujet et ne dit pas un mot du texte de Montaigne. Le travail du chanoine Desnoyers est paru dans le tome XXII des Mémoires de la Société Historique et Archéologique de l'Orléanais (1869).

Dans la première lettre il est précisé au sujet de la statue qui se trouve actuellement dans le jardin de l'Hôtel de ville que "à la suite de l'exposition des Beaux-Arts de 1874, le gouvernement a acquis       (et fait don à la ville de Montargis) un groupe en bronze, signé Gustave DEBRIE, sculpteur, Paris 1874, intitulé le Chien de Montargis. Le groupe, de grandeur naturelle, à l'aspect tourmenté et grimaçant, a été posé sur l'un des côtés formant piédestal de la porte centrale de l'édifice construit pour la fondation Durzy...."

 3. La "Redécouverte" de la note de Montaigne

Reconstituée le 1er décembre 1921, la Société d'Émulation de Montargis ne perdit pas de temps. La légende du chien fut un des premiers sujets d'étude. La majorité des membres semblait se rallier à la thèse de Guessard quand dans la séance du 16 février 1922 (Bull. 2e série n° 1 p. 7 & 8) : "Une discussion vive et intéressante s'engage sur la célèbre légende du chien de Montargis, qui a été si rudement mise à mal par M. Guessard il y a une soixantaine d'années, M. Le Roy (fils) fait connaître une nouvelle version que Montaigne a mise en note manuscrite sur l'exemplaire des "Essais" dit de Bordeaux.

M. Ch. Nougier, au cours de ses recherches, a découvert que la maison Hachette avait publié une édition photographique de ce précieux exemplaire contenant cette version. Les membres de la Société auraient souhaité de pouvoir acquérir cet ouvrage. Hélas ! les réserves ne sont pas encore assez importantes"... Le Bulletin présente alors le texte "découvert" par Le Roy.

C'est mot à mot l'article du "Loing" de 1867 dont le chapeau a été réduit et la note supprimée. Une seule différence : par erreur de Le Roy ou de l'imprimeur, est indiqué Livre II chapitre III au lieu de Livre II chapitre XII. En outre des guillemets ont été ajoutés à quatre endroits. Suivant son habitude, Le Roy fils ne fournit aucune indication de source.

Ce texte fit sensation, mais, malgré le nombre d'éléments nouveaux que ce document introduisit dans la polémique : "Aubry de Montcresson, la Grosse Pierre de Petcourt, le Combat dans le château de Montargis, les chroniques du Roi Charles V"..., les tenants de la légende ne furent pourtant pas convaincus.

Le 6 avril 1922 (Bull. S.E.M. 2e série n° 1 p, 12), M. Barrier opposa à la version de Montaigne celle donnée par Marc Vulson de la Colombière en 1648... et "M. le chanoine Corcuff (curé de Chalette) insista pour que cette irritante question soit vidée définitivement. Plusieurs membres promirent de s'atteler à cette laborieuse besogne". Le 15 février 1923, M. Gourdin fit l'analyse du Roman de Geste de Macaire et conclut : "Il faut reléguer dans le domaine de la légende la gracieuse histoire du pauvre chien de Montargis".

Enfin le 30 novembre 1923, M. Barrier (Bull. S.E.M. 2e s. n° 5 p. 73) fit une conférence sur le même thème. Ce travail très complet reprend la chronologie et l'évolution des diverses versions de la légende, indique au passage le texte de Montaigne sans s'y attarder et conclut en citant M. Jacob : "Il est certain que le Chien de Montargis n'a jamais paru dans nos murs autrement que sur le manteau d'une cheminée ; il ne saurait évoquer une gloire locale".

Puis le silence se fit en notre société sur le Chien de Montargis et il fallut attendre une communication de M. Midol (Bull. S.E.M. 3e série n° 30, mars 1975) pour entendre affirmer :

"Le Chien de Montargis n'a jamais mordu personne pour la raison que toute cette histoire est un conte imaginé par un trouvère du XIIe siècle..."

Cependant, en dehors de la Société d'Émulation, Jean Viscardi soutint en 1932 une thèse de Doctorat en Droit intitulée : "Le Chien de Montargis. Étude de folklore juridique". Cet ouvrage est une somme pour tout ce qui concerne l'histoire de notre chien. Il reprend la théorie de Guessard mais consacre aussi un chapitre entier à "Montaigne et le Chien de Montargis" sans pourtant tenir pour probante cette nouvelle version des faits, car il écrit (p. 9) : "Pourtant (…) les exploits du Chien de Montargis ne se sont déroulés ni à Montargis, ni à la daté de 1371 (…) Il faut chasser cette anecdote résolument en dehors de l'histoire (...) Elle ne peut être considérée que comme une agréable légende…"

Plus près de nous, en la "République du Centre" du 18 septembre 1969, M. Gache publia deux articles intitulés : "Du nouveau sur le Chien de Montargis", où il essaya de démontrer qu'Aubry de Montdidier et Aubry de Montcresson ne faisaient qu'un et que le combat avait eu lieu à Montargis en 1371.

En janvier et octobre 1973, dans la revue d'histoire de l'Art "The Burlington Magazine", parurent plusieurs articles consacrés au "Chien de Macaire et le Primatice" en lesquels S. Beguin cite la note de Montaigne en se référant a l'ouvrage de Viscardi...

Enfin le dernier ouvrage, daté de 1977, est celui de M. Paul Gache qui, s'appuyant sur le témoignage de Montaigne qu'il considère comme "le fondement traditionnel de l'histoire du Chien de Montargis" tente de démontrer l'historicité non plus d'un, cette fois, mais de deux combats dont l'un se serait déroulé à Montargis en 1414 avec comme victime François d'Auberchicourt qu'il assimile à Aubry de Montcresson assassiné en la forêt de "Petcourt".

 - 4. Le texte de Montaigne

Comme le dernier ouvrage en date, celui de M. Gache, se base sur le texte de Montaigne, une lecture attentive de ce dernier conduit à se poser les questions suivantes :

1° Pourquoi Montaigne dans le texte emploie-t-il le nom de Petcourt alors que jusqu'au début du XVIIIe siècle Paucourt s'est toujours écrit et prononcé Paucourt ? (voir Bull. S.E.M. 1974 n° 29, p, 24) La prononciation Pécourt n'étant bien attestée qu'au XIXe et début XXe siècle.

2° Pourquoi cette coïncidence entre les deux noms Aubry de Montdidier et Aubry de Montcresson qui ne diffèrent que par les deux dernières syllabes ?

3° Comment ce texte qui cite à deux reprises les chroniqueurs du temps de Charles V et le roi lui-même comme organisateur du duel peut-il être retenu comme preuve d'un combat situé par M. Gache en 1414, soit 34 ans après la mort de ce roi ?

Tous ces points paraissant troublants, il a paru nécessaire de rechercher le texte autographe de Montaigne dans le but de vérifier à la source si des erreurs de lecture du manuscrit, peut-être difficile à interpréter, n'avaient pas été commises.    

 5. La recherche de la note de Montaigne

Il restait donc à retrouver l'original de la note en question et pour cela, revenir aux diverses éditions de Montaigne.

Les Essais furent publiés pour la première fois en 1580. Sur un exemplaire de la 5e édition de 1586, Montaigne porta de nombreuses additions et corrections en vue d'une nouvelle édition. Lorsqu'il mourut en 1592, cet exemplaire fut conservé et il se trouve actuellement à la Bibliothèque municipale de Bordeaux, d'où son nom d'exemplaire de Bordeaux. C'est cet exemplaire, publié en 1912 par Fortunat Strowsky, par reproduction phototypique en 3 albums, chez Hachette, qui est cité en référence par Le Roy et Viscardi. Le texte lui-même, établi par Strowsky, fut publié en 5 volumes à Bordeaux, Imprimerie Pech (1906-1933). De ces travaux découlent toutes les éditions modernes de Montaigne.

Dans l'édition Garnier en 3 volumes établie par M. Rat (1941, Paris), édition qui comporte toutes les corrections et variantes de Montaigne, on ne peut que constater l'absence de la note en question.

Une autre édition de 1952 publiée par S. de Sacy et comportant en typographie différente les additions et corrections de Montaigne de l'édition de 1588, ne fut pas plus utile.

À la Bibliothèque Nationale, au Cabinet des Manuscrits, se trouve la phototypie de l'exemplaire de Bordeaux, et la seule correction de Montaigne visible à la page 196 v° du chapitre XII, qui concerne l'histoire du chien de Plutarque, est l'adjonction du mot "vive".

La marge, elle, est désespérément blanche. Il en est de même au chapitre III. Une vérification complète de tout l'ouvrage m'apporta la confirmation de ce que je soupçonnais depuis longtemps mais n'osais formuler : la fameuse note n'avait jamais existé dans aucune édition de Montaigne et n'était qu'un faux.

 Enfin, pour obtenir une certitude complète, une demande fut adressée par le Bibliothèque de Montargis à la Bibliothèque municipale de Bordeaux où est conservé l'exemplaire annoté par Montaigne.

En sa réponse du 11 août 1978, madame Mathieu, adjointe du Conservateur en chef, voulut bien nous préciser :

"...J'ai regardé bien attentivement le passage de l'édition de Montaigne annotée de sa main même et n'y ai trouvé aucune trace du'' "Chien de Montargis" (....) À la suite du passage (...) "Chose très avérée et advenue en son siècle" nous avons 7 pages sans annotation marginale ; de simples corrections de mots figurent et encore sont-elles peu nombreuses. Malheureusement je ne peux vous adresser de photocopies de cet ouvrage trop précieux pour être photocopié. Il s'agit donc bien, comme vous le supposiez, d'un pastiche. Nous vous remercions pour votre lettre qui nous a beaucoup intéressés car nous ignorions tout à fait cette anecdote..."

- 6. Origine du faux

Le nom de l'auteur de ce pastiche nous restera sans doute inconnu. Les détails fournis par le texte, qui ne pouvaient être connus que par un familier des lieux, nous conduisent à penser qu'il s’agissait d'un habitant de Montargis ou de la région et amateur d'histoire locale. L'habileté de l'auteur fut de présenter des sources précises mais invérifiables à l'époque à moins d'aller à Bordeaux.

Le but recherché était-il de justifier la légende et de relancer la controverse en s'abritant derrière un nom illustre, ou au contraire de mystifier les partisans du Chien de Montargis en dévoilant ultérieurement la plaisanterie, rien ne permet de trancher. Tout ce que l'on peut dire c'est que l'auteur a réussi au delà de ses espérances puisque pendant un siècle personne n'a eu le moindre doute au sujet de l'origine de cette note.

Déchu de sa célèbre origine le texte nous apparaît sous un autre jour. Par son style et son vocabulaire d'un archaïsme trop prononcé, il n'aurait certainement pas trompé un spécialiste de Montaigne, malheureusement il ne s'en est pas trouvé pour s'y intéresser. Le soi-disant témoignage de Montaigne disparu, la thèse de Guessard, vieille d'un siècle, garde toute sa valeur.

Il faut donc nous résoudre à ne voir dans notre Chien de Montargis qu'une belle légende qui durera encore longtemps, aussi longtemps sans doute que dureront les liens qui attachent le Chien et son maître.

Et s'il y a quelqu'un qui n'aurait pas été étonné de ce que nous venons de rapporter c'est bien Montaigne lui-même qui écrivait : "Quiconque croit quelque chose, estime que c'est ouvrage de charité de le persuader à un autre, et pour ce faire ne craint point d'adjouster de son invention, autant qu'il voit être nécessaire en son compte, pour suppléer à la résistance et au deffaut qu'il pense être en la conception d'autruy".

Livre III chapitre XI Ed. Garnier T. III p.271 (1942)


 SOURCES

- Les ouvrages de F. GUESSARD : "Les anciens postes de la France. Macaire" Paris 1866, - et de Jean VISCARDI : "Le Chien de Montargis, Etude de Folklore juridique", Paris 1932, sont introuvables en librairie et peuvent être consultés à la Bibliothèque municipale de Montargis. Ils fournissent une bibliographie exhaustive sur le sujet, et en appendice les passages extraits, des œuvres de tous les auteurs cités concernant la légende du chien.

- Collection du journal "le Loing" (Bibliothèque municipale de Montargis).

- Bulletins de la Société d'Émulation.


[1] Montaigne donna une deuxième édition de ses ESSAIS en 1588. Un exemplaire de cette édition, couvert de notes manuscrites par Montaigne et resté d'abord dans sa famille, fut déposé plus tard aux Feuillants de Bordeaux ; et de là il est passé dans la bibliothèque de cette ville où j'ai dû à la complaisance du bibliothécaire de la parcourir en entier il y a quelques mois.

 


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