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L’épidémie de choléra à Montargis en 1832
par Paul Marq (pour contacter l'auteur, cliquez ici) |
Le dévouement des soeurs de la Charité |
Cet article est extrait du Bulletin de la Société d'Emulation N°124, 2003 |
Choléra Morbus. Le nom seul suffit à évoquer les peurs ancestrales et à semer l’effroi. La simple évocation d’une épidémie réveille les images des grands drames médiévaux, des danses macabres, des fosses communes où s’entassent les cadavres, des processions expiatoires et du désarroi des foules terrorisées. Ces visions d’apocalypse ont-elles encore cours au XIXe siècle dans notre région ? Les « pestes » ont de tout temps été le cauchemar des humains parce qu’elles venaient faucher une bonne partie de la population d’une ville ou d’une région. Le pauvre en sa masure ou le riche en son hôtel, le vieillard déjà affaibli par l’âge ou le jeune homme vigoureux, le fléau n’épargnait personne. Chacun se sentait menacé. La mort est un phénomène quotidien parfaitement admis quand elle prélève son lot habituel de victimes mais que soudain elle frappe en masse, aveuglément, sans explication, voilà qu’elle devient inacceptable. Si la peste évoque le Moyen Age et la variole le XVIIIe siècle, le choléra est, avec la phtisie, la maladie typique du XIXe siècle. Montargis a été touchée pour la première fois par cette maladie en 1832. L’épidémie y frappera environ deux cent personnes et provoquera 112 décès en moins de quatre mois. Comment le fléau s’est-il propagé jusqu’à Montargis ? Quels étaient les moyens dont disposaient les autorités et les médecins pour faire face ? Comment les habitants ont-ils vécu l’épidémie et quelles ont été leurs réactions ? Autant de questions auxquelles les documents conservés aux Archives municipales de Montargis et aux Archives départementales permettent d’apporter des réponses, certes partielles, mais qui autorisent pourtant une approche assez précise du drame et une meilleure connaissance de l’état de la médecine et de l’hygiène dans notre ville dans la première moitié du XIXe siècle.
La maladie : que connaît-on du choléra au début du XIXe siècle ?
Il est si simple aujourd’hui d’ouvrir n’importe quel dictionnaire, médical ou non, pour savoir ce qu’est le choléra. C’est «une maladie infectieuse intestinale… Les symptômes du choléra sont des diarrhées avec perte d’eau et de sels minéraux importantes. Dans les cas graves, le patient présente une violente diarrhée avec selles caractéristiques en “grains de riz ”, des vomissements, une soif intense, des crampes musculaires et parfois une insuffisance circulatoire. »[1] L’article de l’encyclopédie ajoute tout naturellement les causes et le traitement de la maladie… qu’ignorait totalement la médecine du début du XIXe siècle. Pour l’époque, le choléra est d’abord une menace bien réelle qui a pour origine les régions de l’Inde et qui s’est propagée à travers l’Europe touchant la Russie, les pays scandinaves et le Royaume-Uni avant d’atteindre la France. Paris fut touchée au mois de mars 1832 et le choléra y fit 18 000 victimes dont la plus célèbre fut Casimir Périer alors chef du gouvernement.
Quelles sont les causes de la maladie ? Quel remède apporter ? Tout cela restait totalement mystérieux pour les contemporains. La médecine croit encore aux miasmes, aux agents délétères et à la « génération spontanée » dont Pasteur n’a pas encore prouvé l’absurdité. Les témoignages qui décrivent la maladie insistent sur deux de ses aspects : sa soudaineté et sa virulence. La maladie éclate sans prévenir. Comme le remarque l’Académie Royale de Médecine « Elle (la maladie) s’est montrée quelquefois brusquement et sans signes précurseurs ».[2]
L’autre trait de l’épidémie qui est mis en avant est la rapidité avec laquelle la mort peut survenir. Le malade peut mourir moins de 24 heures après l’apparition des premiers symptômes. Dans la majorité des cas, le malade passe de vie à trépas en moins de 48 heures. Comme le dit Louis Blanc à propos de l’épidémie qui s’est déclarée à Paris au moment du Mardi Gras : «Au bout de quelques jours, la plupart des gens passèrent directement du bal masqué à l’Hôtel-Dieu où ils succombèrent le lendemain au coucher du soleil. »
La propagation de l’épidémie.
Dès l’annonce des premiers cas de choléra à Paris, les autorités municipales de Montargis réagissent. Il n’est plus temps de se faire des illusions, le fléau frappera tôt ou tard, inévitablement. La propagation de l’épidémie nous est connue grâce aux lettres que le docteur Desmoulins adresse à monsieur Sauvard, maire de Montargis. Début avril, le docteur Desmoulins est envoyé à Paris pour y observer la maladie. Le 12 avril, de passage à Nemours, il visite l’hospice et y fait l’autopsie d’un « petit ramonat » de 14 ans et constate que le choléra est bien la cause du décès.[3] C’est le huitième décès à Nemours depuis le 24 mars. Le choléra n’est plus qu’à neuf lieues de Montargis. Le 19 avril, le docteur Desmoulins annonce au maire qu’il a constaté un cas de choléra à l’auberge du Pont Gaillard à Amillyen la personne de la veuve Martin morte la veille après « avoir vomi et s’être vidée par le bas. » [4] Le 23 avril 1832, le décès d’Anne Naudin, ouvrière de 45 ans, est enregistré à l’Etat civil de Montargis. L’épidémie est bien là. Montargis ne pouvait, n’espérait même pas être épargnée.
L’intensité de l’épidémie
Vu à travers les archives de l’état civil[5], le choléra c’est d’abord les courbes de mortalité qui s’affolent. Alors qu’en année moyenne ces services enregistrent 16 décès par mois (moyenne de 1820 à 1840), ils enregistrent 27 décès en avril 1832, 67 en mai et encore 50 en juin. Avec 25 décès juillet traduit une accalmie mais août connaîtra encore 37 décès et septembre 22. Toutes ces morts ne peuvent bien évidemment être attribuées au seul choléra et comme les actes de décès ne mentionnent normalement pas la cause de la mort, il nous serait impossible de mesurer l’impact exact de la maladie si les archives ne nous avaient réservé une bonne surprise. Heureusement pour nous, dans le registre de l’année 1832, les secrétaires qui ont rédigé les actes ont noté dans la marge, en dessous du nom de certains défunts, les lettres « ch ». Il est permis de penser qu’ils désignaient par là les victimes du choléra, nous permettant ainsi de faire le tri entre morts ‘naturelles’ et morts ‘cholériques’.
Sur cette base, le choléra a provoqué 9 morts à la fin du mois d’avril, 43 morts en mai dont 6 pour la seule journée du 21 qui marque le paroxysme du fléau. Juin compte 36 décès, juillet 5 et août 18. Le dernier cas est mentionné le 5 septembre. Au total le choléra a donc fait 112 victimes en quatre mois soit un tiers des décès de 1832. En tenant compte du fait que l’issue n’était fatale que dans un cas sur deux environ, cela porterait à plus de deux cent le nombre de montargois atteint par la maladie.
Graphique établi à
partir des registres de l’état civil de Montargis pour l’année 1832 – Document
personnel
Que penser de tous ces chiffres ? Si impersonnels qu’ils soient, ils permettent de comprendre pourquoi l’arrivée du choléra n’a pas engendré de panique ou de fuite massive de la population. Ce n’est sans doute pas le nombre des décès qui est le plus terrifiant pour les contemporains mais bien le fait que la mort a fauché, en plus de son contingent habituel d’enfants en bas âge et de personnes âgées, des adultes dont l’état de santé ne laissait pas envisager une disparition aussi soudaine. Les documents ne permettent pas de connaître, avec précision et dans tous les cas, l’âge ou la profession des victimes. Au moins est-il possible de remarquer que les femmes sont un peu plus touchées que les hommes et que trois « catégories sociales » reviennent plus fréquemment : les veuves, les mariniers et les artisans. Les jeunes paraissent relativement épargnés -15 cas de moins de 15 ans- si on fait la comparaison avec les personnes âgées. La moyenne d’âge des victimes du choléra est en effet de 47 ans.
Il aurait été intéressant de connaître plus en détail les victimes de l’épidémie, leurs conditions de vie, le quartier où elles habitaient voire même si certaines familles étaient plus touchées que d’autres, mais malheureusement les documents restent fragmentaires ou inexploitables.
Montargis subira d’autres attaques du choléra comme par exemple en 1849 et en 1854, mais l’épidémie de 1832 a bien été la plus meurtrière. Elle a également été la plus révélatrice de l’état sanitaire de la ville.
La lutte contre l’épidémie : les pouvoirs publics en première ligne.
Montargis n’a pas subi passivement la tragédie. Même si les moyens mis en œuvre nous paraissent souvent inefficaces, les archives révèlent une réelle volonté de lutter contre la maladie. Les médecins ne disposent pas de remèdes pouvant apporter la guérison à leurs patients mais il serait faux de croire que leur action était vaine et que la médecine de l’époque était totalement impuissante. De même, les pouvoirs publics ont été en première ligne de la lutte contre l’épidémie. Ils ne pouvaient évidemment pas faire barrage à la contagion mais les mesures prises ont indiscutablement permis de soulager bien des souffrances et de limiter les effets du désastre.
Voyons, par exemple les mesures prises par la municipalité.
Comme les lois de 1789 et 1790 placent l’hygiène publique sous la responsabilité des communes, ce sera l’axe principal de l’action des élus municipaux, mais ils iront plus loin que la simple surveillance de l’état sanitaire de la ville en organisant une « ambulance » où pourront être soignés gratuitement les malades du choléra. Dès le début du mois d’avril 1832, M. Sauvard crée une commission chargée d’enquêter sur la salubrité de la ville. Les rapports de cette commission vont se multiplier au fil des semaines, touchant tous les quartiers et aussi la proche banlieue. Le tableau qui en ressort est pour le moins très peu flatteur. La « Venise du Gâtinais » paraît bien glauque en ces temps romantiques ! Tous les rapports s’accordent à décrire un manque d’hygiène général. Les rivières sont encombrées d’herbes et de détritus « qui retiennent les cadavres d’animaux. »[6] Les enquêteurs relèvent la présence de fumier et d’ordures dans les cours et sur la voie publique. Rue de la Pêcherie , il existe « un petit couloir entre deux maisons qui sert de réceptacle à toutes les ordures du voisinage. Ce couloir est d’une saleté repoussante. »[7] Dans la même rue « le meunier a une écurie au bord de l’eau qui est remplie d’ordures et les garçons-meuniers en ont fait leurs latrines. » [8]
On pourrait multiplier à l’envie les signes de malpropreté de la ville mais deux exemples permettront de comprendre que l’absence d’hygiène a été le facteur déterminant de la propagation du choléra. L’omniprésence des animaux tout d’abord. Un très grand nombre d’habitants possède des animaux de basse-cour mais aussi des moutons et des porcs. Rue des Lauriers, un commissaire a noté que « La dame Rouard a des poules et des oies en quantité et même un cochon dans sa chambre qui est pleine de fumier. » Le rapport précise que cette dame « a montré de l’insolence et de la grossièreté. »[9]
Un autre rapport daté du 9 avril 1832 insiste sur l’écoulement des eaux. Canalisations bouchées, cours où s’accumulent les eaux venant des latrines, mares d’eau « puantes et stagnantes », puits contaminés par les eaux usées, égouts de diamètre insuffisant et régulièrement bouchés, multitudes de flaques d’eau dégageant « des émanations délétères », oui vraiment Montargis, en 1832, est bien loin de satisfaire aux normes de l’hygiène moderne ! Faut-il aussi rappeler la présence, en pleine ville, de boucheries et d’abattoirs particuliers ainsi que celle des installations d’équarrissage et des tanneries. Comment s’étonner de trouver partout des lamentations sur les « pestilences », « les émanations puantes » et « les effluves nauséabonds » ? C’est à juste titre que les médecins recommandent de vivre dans des lieux bien aérés. Pourtant, la politique d’assainissement menée par la mairie se heurte très souvent à la mauvaise volonté des montargois qui refusent de se séparer de leurs animaux et de leur fumier. La basse-cour est un complément indispensable à leur alimentation et ils ne peuvent admettre de s’en priver.
Nous savons pourtant bien, aujourd’hui, que c’est bien l’eau contaminée qui est le principal agent de propagation du choléra. C’est en buvant de l’eau souillée ou en mangeant des aliments lavés dans cette eau infectée qu’on attrape la maladie. Le choléra disparaîtra d’ailleurs de nos régions lorsque la distribution d’eau potable aura été généralisée.
Bulletin journalier de la
« Maison de santé » signé du docteur Desmoulins
- 27avril 1832 - Archives
de Montargis QF2
L’autre grand axe d’intervention des autorités municipales a été la création d’une maison de santé. Cette « ambulance », comme elle est appelée, a été réclamée par le docteur Desmoulins dès avant l’apparition du choléra. L’idée est de séparer les malades atteints du choléra des pensionnaires ordinaires de l’Hospice. Les médecins parisiens avaient observé que la promiscuité entre cholériques et simples malades ne faisait qu’aggraver la contagion. La municipalité de Montargis prend donc l’initiative de réquisitionner une maison inhabitée pour y installer un son ambulance où les victimes du choléra pourront être soignées gratuitement. Cette maison était « sise au château »[10] en un lieu « bien aéré » mais nous en ignorons l’adresse exacte. Dans une lettre datée du 7 mars, le docteur Desmoulins précise quelle sera la disposition des lieux. A l’étage, les femmes et au rez-de-chaussée, les hommes. Deux sœurs de l’Hospice et des gardes malades bénévoles constitueront le personnel. Pour l’équipement de la maison de santé en lits, draps, couvertures etc., il est fait appel à la générosité publique qui a semble-t-il répondu généreusement. Le Roi Louis-Philippe lui-même fera parvenir 1000 francs prélevés sur sa cassette personnelle. Au total la maison de santé pouvait accueillir 25 malades. Les Archives ont conservé les bulletins quotidiens des malades mais ils se contentent de noter l’identité des malades, les remèdes prescrits et l’issue de la maladie –décès ou convalescence. Rien qui nous permette une approche plus humaine des victimes du choléra.
Affiche éditée par la
mairie de Montargis (45/35 cm) - sans date - Archives de Montargis.
Commentaire : L’affirmation selon laquelle le choléra n’est pas contagieux est sans doute destinée à rassurer la population mais elle reflète aussi l’ignorance des médecins du XIXe siècle quant au mode de propagation de la maladie. Le mot « contagieux » n’était utilisé que pour les maladies qui se transmettent par contact direct. Deux écoles divisaient les médecins. Les « évolutionnistes » estimaient que le choléra n’était qu’un aggravation de la gastro-entérite. Les « contagionnistes » pensaient que le choléra était transmis par un agent infectieux encore inconnu qui pouvait passer par contact d’un individu malade à un individu sain ou qui vivait en dehors de l’organisme dans des milieux tels que l’eau, le sol et les objets. (La Grande Encyclopédie -Tome 11- édition de 1885-1902).
La lutte contre l’épidémie: les médecins soignent mais ne peuvent guérir les malades
La médecine du début du XIXe siècle n’a pas encore connu la révolution pasteurienne et nous parait bien peu outillée pour apporter des remèdes efficaces, mais elle n’est pourtant pas impuissante à apporter ses secours. A travers des épidémies comme celle-ci, la médecine progresse dans la voie qui la conduira vers ses grands triomphes : elle devient rationnelle. La première préoccupation des médecins est de bien décrire la maladie. L’examen clinique devient essentiel car il permet d’en finir avec les explications trop vagues qui prévalaient avant le XIXe siècle. Là où la connaissance médicale ancienne se contentait de parler de “ fièvres ”, de “ miasmes ”, “ d’agents délétères ” ou “ d’humeurs ”, la médecine moderne découvre que chaque maladie a sa propre cause et qu’il est donc primordial de décrire avec précision les symptômes avant même de rechercher la cause et le remède. Ce principe est bien illustré par la petite brochure que l’Académie Royale de Médecine a publié en mai 1832 et qui a été adressée à toutes les communes de France. Intitulée « Le choléra morbus », cette brochure commence par décrire la maladie en partant des observations cliniques faites sur les malades parisiens. Les auteurs constatent ainsi que « la maladie a saisi tout d’abord les classes mal logées mal vêtues, mal nourries, épuisées d’ailleurs par des excès de toutes sortes ». [11] Comme le mode de contamination reste inconnu, le rapport se borne à constater que « le plus souvent, il n’y a qu’un malade par famille et que les médecins en contact avec la maladie ne sont pas plus touchés que les autres catégories de la population. » Le constat vaut aussi pour ceux qui côtoient les malades - infirmiers, ecclésiastiques ou parents.
La description des symptômes occupe l’essentiel du document. Le déroulement de la maladie est divisé en trois étapes appelées périodes et à chaque période correspondent des signes cliniques détaillés. Ainsi, la période dite d’invasion est caractérisée par la lassitude, l’insomnie, l’inappétence, la constipation et des urines rares, mais d’autres symptômes peuvent exister ou ne pas exister chez certains malades. On le voit, c’est le fait de rechercher des symptômes précis qui importe beaucoup plus que leur pertinence. Les autopsies pratiquées peuvent aussi aider le médecin à définir la maladie. Les observations faites lors de l’épidémie de 1832 permettront de localiser le siége du choléra dans les intestins.
Et la cause de la maladie ? L’Académie de médecine fait preuve d’honnêteté en affirmant : « La cause déterminante, spécifique de la maladie, celle en vertu de laquelle le choléra épidémique existe et sans laquelle il ne saurait avoir lieu, reste entièrement inconnue malgré toutes les opinions hypothétiques que l’on a émises à ce sujet. »[12] L’Académie se contente de mentionner des « causes prédisposantes » dont on peut relever quelques exemples : L’air froid et humide et des brusques variations de température, la promiscuité et l’encombrement des habitations par des animaux domestiques. Les auteurs y ajoutent des comportements à risque comme l’abus des aliments et excès de boissons spiritueuses. Si l’Académie constate que « les sexes, les âges, les fortunes, les quartiers ont été indistinctement, mais inégalement frappés par l’épidémie », elle n’envisage pas d’explication sociologique mais se laisse aller à des considérations morales quand elle affirme « On ne saurait assez dire combien une vie ordonnée, régulière, calme, occupée et sobre a pu contribuer à préserver du choléra. »
Petite annonce parue dans le
journal « L’Orléanais » du 25
avril 1832
Ne pouvant connaître la cause du choléra, l’Académie pouvait-elle au moins proposer des remèdes ? La réponse est là aussi très franche mais décevante : « De toutes les tentatives thérapeutiques auxquelles on s’est livré pendant l’épidémie, en ville et dans les hôpitaux, il résulte, comme vérité dominante, que, pour la guérison du choléra, il n’existe point de remède spécifique ni de méthode exclusive de traitement. »[13] En bref, le médecin doit tout faire pour soulager le malade mais ne peut vaincre la maladie. Les remèdes utilisés seront donc très variés et traduisent la permanence de techniques souvent très anciennes. Les saignées sont toujours à la mode et les sangsues d’un usage courant. On fera absorber au malade du thé très chaud comme un punch glacé, du café comme de l’éther ou de l’ammoniaque. L’Académie laisse à chaque médecin une grande liberté d’action pour traiter les symptômes. Pour la diarrhée, il a le choix entre l’eau de riz, les sangsues appliquées à l’anus, des préparations à l’opium ou au laudanum mais on lui déconseille l’usage du camphre, du vinaigre et « des boissons anticholériques vendues pour abuser le public. »
La pharmacie n’est pas non plus d’un grand secours pour le médecin. La préfecture du Loiret a tout de même proposé à toutes les communes une « boîte de médicamens » (sic) à utiliser pour traiter six personnes atteintes du choléra. Cette boîte était disponible dans toutes les pharmacies à un prix fixe de 36,45 francs.[14] Quelle fut l’efficacité de ces mesures ? Il est bien difficile de le dire. Les pharmaciens d’aujourd’hui ne voient dans cette boîte qu’une sorte de “ trousse de secours ” mais aucun médicament susceptible d’aider à la guérison.
Dans son numéro daté du 25 mai 1832, le journal “ l’Orléanais ” donne l’exemple suivant : « La fille Langlois âgée de 17 ans fut portée à l’Hospice le 17 mai, elle était dans un état cholérique des plus caractérisés : extrémités froides et violettes, vomissements et selles blanchâtres, pouls entièrement insaisissable… On lui fait respirer du protoxide d’azote : elle dit qu’elle respire plus facilement, que sa tête est moins lourde ; la cyanose diminue de façon très sensible, la figure et les bras moins froids. La chaleur revient à deux heures : on applique alors 6 sangsues à chaque poignet et 15 à l’épigastre. Le sang est noir : on pratique immédiatement une saignée au bras et le sang sort noir, visqueux, et caillot. Une nouvelle inspiration de gaz a lieu, la veine restant ouverte, le sang continue à couler et change successivement de couleur et de nature, et finit par sortir parfaitement rouge et par jets ; les modifications qu’il a éprouvées pendant la durée de l’inspiration sont telles que dans le vase où il a été recueilli on remarque une marbrure et une différence de teinte, résultat du sang noir qui sortait d’abord et de ce même sang ramené à son état et à sa couleur naturels par l’emploi du protoxide. L’état de la malade est des plus satisfaisans (sic)… L’état de la fille Langlois est tel qu’on peut la considérer comme parfaitement guérie. » Qui s’étonnera après ce récit que beaucoup de malades hésitaient à faire appel aux médecins ? Quoiqu’il en soit, il faut remarquer que les autorités publiques ont mis en oeuvre tous les moyens à leur disposition pour enrayer le fléau et que les médecins, si désarmés qu’ils puissent paraître, ont fait preuve d’un dévouement exemplaire.
L’opinion publique et le choléra
Comment la population dans son ensemble a-t-elle ressenti l’épidémie ? Question qui serait très intéressante à traiter mais malheureusement les archives ne conservent pas de témoignages directs des victimes ou des médecins qui les ont soignées. Seules des archives privées pourraient avoir conservé des mémoires ou des lettres qui nous feraient revivre le vécu de la maladie mais hélas cette documentation manque. C’est par le biais de la presse de l’époque qu’il est possible de trouver des indications sur les réactions de l’opinion publique.
Deux journaux “ L’Orléanais ” et le “ Journal du Loiret ” dominent la presse du Loiret en 1832. Ils ont une diffusion régionale et ne s’intéressent pas exclusivement à Montargis et à ses habitants. Comme tous les journaux de l’époque, ils sont représentatifs d’une presse d’opinion et non d’une presse d’information. Que disent-ils du choléra ? La première surprise est qu’ils n’accordent ni l’un ni l’autre une très grande importance à l’épidémie. Un tel évènement aurait du faire la ‘Une’ mais en fait les articles sur le choléra sont moins développés que ceux qui traitent de la vie politique ou culturelle. L’épidémie est traitée comme un fait divers parmi d’autres et non pas comme un événement de première importance. “ L’Orléanais ” aborde ce sujet dans son numéro du 22 avril 1832 mais c’est pour mentionner le nom des personnalités parisiennes qui en ont été victimes alors même que la maladie sévit à Orléans. Le journal ajoute quelques anecdotes sans chercher à les détailler. Il signale ainsi que « les rues de Paris éclairées au gaz ont été préservées du choléra et on attribue au gaz cette exception qui peut-être momentanée. » La nouvelle qui tient le plus de place porte sur un incident politique. Monsieur le Vicomte de Chateaubriand a fait parvenir à chacun des maires des douze arrondissements de Paris une somme de 1000 francs offerts par la Duchesse de Berry. Les douze maires se sont empressés de refuser un don aussi compromettant en ce début de règne de Louis-Philippe. Voilà le type d’information qui paraît devoir être soulignée par le journaliste. Les lecteurs ne peuvent suivre l’évolution de l’épidémie qu’à travers des bulletins très courts placés dans la rubrique « Nouvelles Diverses » qui se contentent de fournir le nombre des nouveaux cas de choléra.
La presse joue tout de même un rôle plus considérable quand elle se fait le propagandiste de la médecine officielle. Les deux journaux reprennent en choeur le combat pour la défense « des Lumières et de la Science contre les vieilles croyances barbares et les préjugés absurdes de la foule. » Il est vrai que la lecture des journaux laisse entrevoir les rumeurs qui circulaient dans la population. La principale était que le choléra était dû à des empoisonneurs. Voici par exemple une anecdote rapportée par “ L’Orléanais ” dans son édition du 2 mai 1832 : « Le curé d’une des paroisses de cette ville fut appelé par un cholérique qui désirait recevoir les secours de la religion. Après que ce respectable ecclésiastique se fût assuré des bonnes dispositions du malade… il lui dit de faire sortir les personnes qui étaient dans la chambre. – Oui, M. le curé, répond le malade, ma femme exceptée. – Mon ami, si vous voulez vous confesser devant votre femme, je n’y vois aucun inconvénient, mais je n’en sens pas la nécessité. – C’est nécessaire, M. le curé ; car tout le monde veut nous empoisonner, et c’est pour cela que je ne désire pas rester seul avec vous. – Mais pourquoi me faire appeler, puisque vous me croyez capable d’un pareil crime ? – Oh non pas vous, M. le curé, je sais que vous êtes un brave homme ; mais on veut nous empoisonner. – Vos soupçons sont injustes ; les médecins, pas plus que moi, n’oseraient le faire. Songez que vous offensez Dieu en supposant des intentions criminelles à des gens qui n’ont d’autre désir que celui de vous être utile. – Le malade commence cependant sa confession et la femme sort sans que son mari s’y oppose. Après l’aveu de ses fautes, le malade sentant enfin la gravité du tort qu’il avait de refuser les secours humains que Dieu mettait à sa disposition, fit appeler un médecin et suivit ses prescriptions. On espère encore le sauver. »
Ces rumeurs d’empoisonnement devaient paraître redoutables aux deux journaux car ils reviennent à plusieurs reprises sur leur crainte de voir des agitateurs utiliser les angoisses populaires pour susciter des troubles de l’ordre publique. En ces temps où les émeutes étaient très fréquentes, cette préoccupation n’était sans doute pas sans fondement. C’est peut-être pour cette raison que les journaux ont systématiquement tendance à minimiser l’ampleur de l’épidémie. On peut lire dans “ L’Orléanais " du 13 mai 1832, alors que le choléra a déjà touché 275 personnes dans la ville et que le nombre des morts s’élève à 116 : « Le nombre de cas de cholériques annoncés depuis quelques jours aurait un effet grave et même effrayant si cette terrible maladie n’avait pas perdu beaucoup de son intensité. Cette progression, au lieu de nous alarmer, nous rassure… Moins de cas étaient constatés, mais à quelques exceptions près ils étaient tous mortels. Il n’en est plus de même aujourd’hui. La raison a enfin été entendue, nos médecins sont appelés à temps et l’on ressent l’inappréciable effet de leurs prescriptions et de leurs conseils. Si les cas de cholériques augmentent, la maladie diminue… Ainsi avons-nous la douce consolation de pouvoir assurer à nos lecteurs que grâce aux secours de la science, la plupart de ces accidents n’auront pas de suite funeste. » Cette attitude de la presse est certainement très louable et les conseils qu’elle donne pouvaient en effet mettre fin à bien des rumeurs, mais qu’elle en a été l’efficacité ? La presse n’était lue que par une petite minorité de gens instruits, peu disposés à accepter les croyances populaires.
Les journaux ont sans aucun doute été beaucoup plus efficaces dans leurs appels à la générosité du public. Ils multiplient les exemples édifiants présentant le dévouement parfait de curés, de médecins ou de notables qui, soit par leurs dons, soit par leur action ont contribué à soulager la misère et à limiter la gravité de l’épidémie.
Reste l’attitude de l’Eglise dans cette affaire. Elle a souvent été soupçonnée de profiter du malheur général pour ramener la population à des sentiments plus chrétiens mais, en fait, les documents disponibles décrivent des comportements très divers. Monseigneur de Beauregard, évêque d’Orléans qui passe pour très conservateur même aux yeux de son clergé, rappelle dans ses mandements [15] que la colère de Dieu peut être une cause de la tragédie mais soutient totalement les efforts de la science. Il encourage les prières et les processions à l’intérieur ou à l’extérieur des églises et lui-même visite les malades à l’Hôpital, mais il ne va jamais jusqu’à affirmer que le fléau est la conséquences du péché. Les prêtres sont toujours présentés comme parfaitement dévoués. Ils assurent bien sûr l’administration des derniers sacrements et les enterrements, ils assistent les malades et prodiguent des conseils, ils sont toujours présentés comme très proches des victimes et toujours secourables. La documentation est trop partielle pour se faire une idée précise de la place qu’ils ont tenue dans ce drame mais au moins peut-on affirmer qu’ils n’y avait pas conflit entre médecins et curés, entre représentants de la science et représentants de la foi. M. Franchet, curé de Montargis, « essaya de calmer l’affolement de paroissiens. Du haut de la chaire, il les rassura contre les bruits d’empoisonnement et les engagea à recourir aux soins médicaux. Bien plus, ce prêtre promis aux sceptiques de goûter devant eux aux potions ordonnées. » (Journal du Loiret, mai 1832) Les Archives de Montargis ne conservent que deux documents qui font apparaître les relations entre la Mairie et le curé. Le premier est une lettre datée du 9 mai et venant de la Mairie qui demande au curé de ne pas faire sonner le glas à chaque décès car « cela démoralise les malades et affole la population. »[16] Dans une deuxième lettre du 24 mai, le maire demande au curé de procéder le plus rapidement possible aux inhumations des cadavres dans un but d’hygiène bien évident. Tout au plus, la lecture des journaux permet de dire que l’épidémie a provoqué une recrudescence de la pratique religieuse sans que l’on puisse faire la part de la foi véritable et de la superstition. Au total, les archives ne nous donnent donc qu’une vision indirecte des réactions de la population face à l’épidémie de choléra. L’image qui nous parvient est perçue à travers un miroir qui est peut-être déformant, mais il n’en reste pas moins que l’on peut mesurer le fossé qui existe entre les comportements de l’époque et les réactions que l’on pourrait observer de nos jours face à une telle tragédie.
L’épidémie de choléra de 1832 à Montargis s’inscrit dans la longue suite des catastrophes qui frappaient à intervalles réguliers les populations de nos régions avant que les progrès de la médecine et de l’hygiène ne nous mettent à l’abri de tels fléaux. Le XIXe siècle a bien été le grand tournant de l’histoire de la médecine. Elle faisait encore, au début du siècle, l’objet d’une très grande méfiance de la part des populations qui se tournaient plus volontiers vers le guérisseur de campagne ou le curé que vers le médecin mais c’est à travers des crises comme celle du choléra qu’elle devient plus rationnelle et plus scientifique. La médecine s’appuie désormais sur l’observation clinique rigoureuse et sur l’expérience scientifique pour mieux comprendre la nature de l’épidémie et sa propagation. Rendons hommage à ces médecins qui comme les docteurs Desmoulins et Garnier ont non seulement fait preuve de dévouement et de professionnalisme mais qui ont aussi ouvert la voie aux grandes découvertes médicales que seront la « méthode expérimentale » de Claude Bernard et la vaccination préventive de Pasteur. Robert Koch pourra ainsi découvrir le bacille du choléra en 1883. Les progrès de l’hygiène et de la thérapeutique pourront définitivement éloigner la menace de nos régions.
Pour ce qui est des réactions de la population, gardons nous bien de porter un jugement. Les mentalités étaient bien éloignées des nôtres aussi contentons nous de reprendre ce bel hymne à la solidarité paru dans le “Journal du Loiret" : « Le choléra imprime au vulgaire cette terreur qu’inspire toujours une puissance absolue. Les âmes fortes ne l’envisagent que comme une chance de plus de léthalité (sic) qu’il faut subir avec courage. Il est pour les uns la manifestation de la colère céleste, pour les autres l’effet inévitable d’une cause ignorée. Maintenant qu’il est dans nos murs et qu’il a déjà frappé plusieurs de nos concitoyens, nous ne devons plus nous en entretenir que comme d’une calamité commune qui ne nous atteindra pas tous mais dont nous sommes tous menacés. Aidons nous comme des frères, prêtons nous un mutuel secours ; que l’aisance vienne au secours de la misère, que la science et la charité se réunissent autour du lit des malades, que l’ouvrier sans ouvrage reçoive des alimens (sic), que les orphelins soient recueillis, que toutes les vertus protégent toutes les infortunes. Lorsque le fléau sera passé, nous nous compteront, et ceux qui auront fait le plus de bien seront vénérés. »[17]
[1] Encyclopédie « Encarta »-article choléra- Microsoft
[2] Livret intitulé ‘Le Choléra Morbus’ édité par l’Académie Royale de médecine –mai 1832 – Archives de Montargis.
[3] Lettre du docteur Desmoulins du 13 avril 1832 –Archives de Montargis-QF1
[4] Lettre du docteur Desmoulins du 19 avril 1832 –Archives de Montargis-QF1
[5] Registre de l’état civil pour 1832-Décés- Archives départementales du Loiret.
[6] Extrait du rapport de la Commission d’Hygiène adressé à la municipalité –avril 1832-Archives de Montargis.
[7] Idem
[8] Idem
[9] Idem
[10] Extrait du rapport du docteur Desmoulins adressé à la municipalité-Archives de Montargis QF2
[11] Livret de l’Académie Royale de Médecine « Le Choléra Morbus » mai 1832-Archives de Montargis.
[12] Idem
[13] Idem
[14] Extrait de la brochure adressée par la Préfecture à toutes les communes du Loiret-mai 1832-Archives de Montargis
[15] Mandements et correspondances diverses-Archives de l’Evêché-1832
[16] Lettre de monsieur Sauvard au curé de la Madeleine - Archives de Montargis-
[17] « Le Journal du Loiret » numéro du 22 avril 1832.
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