Quel Gâtinais ?

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ÉVOLUTION RELIGIEUSE DU GÂTINAIS AU PREMIER MILLENAIRE

par l'Abbé R. Crespin
(BSEM N°98, novembre 1995)

Introduction

Le texte publié ci-après est le début de la dernière étude historique inédite entreprise par l'abbé Crespin avant son décès en 1961. Ce travail comporte deux parties, la première consacrée au Gâtinais jusqu'au 11ème siècle et la seconde à Montargis, du 12ème siècle à nos jours. La qualité et l' importance de cette étude, son impartialité et ses mises au point nombreuses font qu'elle mérite de figurer parmi les meilleurs travaux que notre région a inspirés. L'original se trouve aux archives de la Société et un double est déposé à la Bibliothèque Durzy.


QU'ENTEND-ON PAR LE GÂTINAIS?

C'est une question difficile à éclairer, car au cours de siècles le Gâtinais a connu trois aspects différents:

- Le Gâtinais primitif, à la période franque.

- L'archidiaconé du Gâtinais.

- Et le Gâtinais politique qui a varié bien des fois.

 

1) Origines du Gâtinais.

A) Cités et pays.

Pour le comprendre, il faut savoir qu'au IVème siècle il y eut en Gaule une nouvelle division territoriale. La 4ème Lyonnaise eut comme capitale Sens avec 6 autres "cités" sous sa dépendance: Auxerre, Chartres, Meaux, Troyes, Orléans et Paris.

Cette division administrative servit de cadre à l'archidiocèse de Sens... L'archevêque de Sens eut donc 6 suffragants et un 7ème à la fin du Vème siècle : Nevers. (Ce fut seulement en 1622 que Paris fut érigé en archevêché, entraînant dans son orbite Chartres, Meaux et Orléans.

La vaste étendue des "cités" amena une subdivision en territoires plus restreints qu'on appela des "pagi" ou "pays". C'est ainsi que la cité de Sens se divise en 5 "pagi" de Sens, de Melun, de Provins, d'Etampes et du Gâtinais.

B) Que savons-nous de ce pagus du Gâtinais?

Les premiers textes. connus sont du VIème siècle, l'un sur Grandchamp (638), l'autre sur Gy, mais le pagus pouvait déjà exister depuis un certain temps.

Il semble avoir été un peu plus grand que ne le sera plus tard l'archidiaconé religieux du Gâtinais: ainsi, Mondeville (à quelques kilomètres au nord ouest de Milly) et sur les bords de l'Ouanne, Grandchamp et St. Martin sont dites "du Gâtinais" alors qu'au Moyen Age il ne font pas partie de l'archidiaconé religieux.

Grosso modo, ce premier Gâtinais coïncide avec le bassin du Loing et de ses affluents.

Il faut noter enfin que des 5 pagi de la cité de Sens, le Gâtinais est le seul qui ne semble pas tirer son nom d'une ville, les autres ont une capitale : Sens ou Provins ou Melun ou Etampes. Le terme de Gâtinais dans son sens absolu (Vastinens, Vastinensis, Vastinetum) veut dire le pays "dévasté". Après les invasions des Bagaudes, des Germains et des Huns, ne méritait-il pas ce nom aux Vème et VIème siècles ? et peut-être n'avait-il plus alors aucune ville importante ? (cf. Annales de la Société du Gâtinais, article Quesvers, 1894, pp.1 à 27).

2) L'archidiaconé du Gâtinais.

Le diocèse de Sens calque ses cinq archidiaconés sur les cinq pagi.

L'archidiaconé du Gâtinais existait déjà en 980 car son archidiacre Albéric signait cette année une charte de l'archevêque (cf. le Pouillé de l'ancien diocèse de Sens édité par Stein p.3)

Nous savons également qu'au XIème siècle, l'archidiaconé du Gâtinais ne correspondait pas exactement avec le Gâtinais primitif, une partie de la vallée de 1'Ouanne était passée dans le doyenné de Courtenay qui dépendait de 1'archidiaconé de Sens: cela s'explique sans doute avec les variations de limites des états mérovingiens et des comtés carolingiens; chaque chef désirait que les circonscriptions religieuses coïncident avec les limites de son territoire (cf. l'Histoire de l'Église de Fliche et Martin, tome V, p. 373): Châteaudun fut évêché en 567 et Melun faillit l'être en 540.

En ce XIème siècle, Grandchamp et St. Martin de l'Ouanne (cités plus haut) ne font pas partie de l'archidiaconé du Gâtinais. Et il en était de même en 1350 quand fut composé le Pouillé détaillé des paroisses du diocèse (Mondeville, au nord de Milly, n'en faisait pas davantage partie).

Déjà au XIVème siècle et jusqu'à la Révolution, L'archidiaconé se subdivisait en trois doyennés ou "chrétientés", comme on disait au Moyen Age.

A)- La Chrétienté du Gâtinais

La chrétienté du Gâtinais proprement dit comprenait la partie ouest de ce que fut l'arrondissement de Montargis de 1802 à 1926... plus exactement les paroisses qui sont à l'ouest du Solin puis du Loing, mais il faut y ajouter au sud ouest, Montereau et Chatenoy ; à l'ouest les 19 communes du canton de Beaune et 2 communes du canton de Pithiviers qui sont en deçà de la Rimarde et 7 communes du canton de Puiseau qui sont également en deçà de la Rimarde et de l'Essonne. Deux autres communes à l'est de la Rimarde étaient rattachées au doyenné de Milly: Orville et Desmonts (cf. la carte du Gâtinais religieux). En fin au nord, en Seine et Marne, toujours à l'ouest du Loing, la région de Châteaulandon et de Beaumont.

B)- La Chrétienté de Ferrières.

La chrétienté de Ferrières comprenait tout ce qui, de l'ancien arrondissement de Montargis, était à l'est du Solin et du Loing, mais il faut y ajouter 7 communes de l'arrondissement de Gien : Le Moulinet, Langesse, Les Choux, Boismorand, La Bussière, Adon et Feins ; à l'est 4 communes de l'Yonne : Rogny, Le Chêne-Arnoult, Dicy et Jouy ; et une commune de Seine et Marne: Bransles.

Par contre, depuis le XIème siècle au moins, Courtenay ne faisait pas partie de l'archidiaconé du Gâtinais et donnait son nom à un doyenné de l'archidiaconé de Sens.

 C)- La Chrétienté de Milly.

Enfin au nord se trouvait une troisième chrétienté, celle de Milly. Cette ville fait partie maintenant de la Seine et Oise mais l'ensemble de la chrétienté est situé en Seine et Marne des deux côtés du Loing jusqu'à son confluent avec la Seine. Parmi ces villes principales, il faut citer au sud : Souppes, Egreville, Lorrez le Bocage et Nemours ; au nord : Moret, Fontainebleau etThomery.

Dans l'ensemble, ces trois chrétientés formaient le bassin du Loing mais un peu plus rétréci que le Gâtinais primitif. L'archidiaconé ne varia à peu près pas depuis le XIVème siècle et peut être depuis le XIème siècle jusqu'à le Révolution. Tout au plus quelques paroisses disparaissent comme N.D. de Gonnois, Bricquemault et quelques nouvelles apparaissent. (cf. Pouillé de Stein pp.90 à 175 et p.307)

3) Le Gâtinais civil du Xlème au XVIIIème siècle.

Nous ignorons les limites exactes du Gâtinais sous les Carolingiens à l'époque où il formait un comté appartenant à la maison d'Anjou. Mais quand, en 1069, Foulques le Réchin céda tout le comté au roi, celui-ci y vit avec joie le moyen d'unir ses territoires de la Brie et de l'Orléanais.

Au cours des siècles, les rois vont adjoindre au Gâtinais d'autres territoires et le scinder en deux.

A) - Au XIIIème siècle, la scission se fera entre l'est et l'ouest.

Ainsi aux prévôtés de Châteaulandon, Lorris, Boiscommun, Montargis et Cepoy sont rattachés Vitry, Fay et Châteauneuf et la forêt de la Loge et tout ce territoire, appelé le Gâtinais, est rattaché au bailliage d'Orléans.

Le reste dépend du bailliage de Sens.

B)- A partir du XIVème siècle, la scission va se faire entre le nord et le sud. Ce sera d'abord transitoire à l'occasion d'apanages mais à partir du XVIème siècle, ce sera définitif.

Le nord ou bas du Gâtinais avec Nemours comme capitale va passer dans le duché héréditaire de Nemours ; il sera rattaché à la "généralité" de l'île de France et on l'appellera le "Gâtinais Français".

Le sud ou haut Gâtinais avec Montargis comme capitale est englobé dans la généralité d'Orléans et devient le Gâtinais Orléanais. Il n'y a plus de lien administratif avec Sens et dans le même temps sur le plan civil, politique et administratif on élargit les limites du Gâtinais sans plus s'occuper du Gâtinais religieux et de ses trois chrétientés que ne se modifient pas et restent attachées à Sens.

Dès le XIIIème siècle, c'est la Loire qui délimite le Gâtinais depuis Châteauneuf àSt.Benoît.

Au XIVème siècle, à l'ouest, on inclut dans le Gâtinais : Yèvre Le Châtel, Neuville, Janville et tout le plateau de Pithiviers, au nord Corbeil et Melun, à l'est Courtenay et une partie de l'Yonne.

Au XVIIème siècle, il s'est un peu réduit: il n'y a plus Châteauneuf mais il longe la Loire depuis St. Benoît jusqu'à Gien, Briare, Bonny. Il n'y a plus Janville ni Neuville, ni Vitry mais toujours le coin de Pithiviers et de Malesherbes ; au nord, il n'a plus Milly mais il longe toujours la Seine bien avant Melun et au delà de Montereau.

4) La Révolution va consommer définitivement la scission du Gâtinais.

Le Gâtinais Français passe en grande partie en Seine et Marne et quelques communes en Seine et Oise. Le Gâtinais Orléanais passe tout entier dans le Loiret. Sa frontière devient exactement celle du Loiret depuis Malesherbes jusqu'à Bonny. Mais, en 1802, quand sera établi l'arrondissement de Montargis, celui-ci perdra bien entendu les parties du val de Loire et de la Beauce qui lui ont été rattachées indûment.

Il perdra également une cinquantaine de paroisses qui depuis des siècles faisaient partie de deux chrétientés du Gâtinais et de Ferrières: 28 paroisses des cantons de Beaune, Pithiviers et Puiseaux, 1 de Châteauneuf, 8 de l'arrondissement de Gien et aussi 4 paroisses de l'Yonne et dans la Seine et Marne la région de Châteaulandon et Bransles (cf. plus haut ce qui est dit des deux chrétientés) ; par contre, il récupérait Courtenay.

Ce qui est le plus important, c'est que les deux Gâtinais de Seine et Marne et du Loiret vont continuer à vivre séparément, orientés différemment.

D'autre part, l'un et l'autre sont coupés de Sens dont ils avaient dépendu depuis le IVème siècle sur le plan civil et religieux (cf. divers articles sur le Gâtinais dans les Annales de la Société Historique et Archéologique du Gâtinais de 1885 à 1886 de: Devaux, Ballu, Stein, Quesvers, Thoison etc...)

5) Sur quel Gâtinais portera le travail entrepris ?

A) Sûrement pas sur les parties du "Gâtinais Orléanais" du XVIème au XVIIIème siècle, qui ne faisait pas partie du Gâtinais religieux. Seront donc exclues du travail les régions de St.Benoît, Ouzouer, Gien, Briare et Bonny qui faisaient partie du diocèse d'Orléans ou du diocèse d'Auxerre ; ni non plus la région de Pithiviers partie intégrante du diocèse d'Orléans. Une seule exception sera faite pour Courtenay qui, faisant partie du bassin du Loing, aurait pu faire partie du Gâtinais... et qui est inclus aujourd'hui dans l'arrondissement.

B) Le travail portera avant tout sur les 95 communes de l'arrondissement de Montargis, tel qu'il a existé de 1802 à 1926 et qui comprenait avec le canton de Montargis les 6 cantons qui lui sont limitrophes : Ferrières, Courtenay, Châtillon-Coligny, Lorris et Bellegarde. Ces 7 cantons forment toujours l'archidiaconé religieux de Montargis.

On peut appeler le Gâtinais Orléanais, car celui-ci avait un sens très déterminé et était plus étendu (cf. plus haut). Mais son nom vrai pourrait être le "Gâtinais montargois" et sous ce terme il sera désigné bien des fois pour éviter l'appellation bien longue d'arrondissement de Montargis 1802-1926.

C) Ce travail parlera aussi à l'occasion:

a) de communes détachées maintenant de l'ancien doyenné du Gâtinais.

- Montereau, rattaché à Ouzouer sur Loire et Gien.

- Chatenoy, rattaché à Châteauneuf et Orléans.

- Les 19 communes des cantons de Beaune, les 2 de Pithiviers et les 7 de Puiseaux en deçà de la Rimarde et de l'Essonne.

-    Et le canton de Châteaulandon - Beaumont.

b) Des communes détachées maintenant de l'ancien doyenné de Ferrières.

- Les 4 communes attachées au canton de Gien.

- les 3 communes attachées au canton de Briare.

- Les 4 communes attachées à l'Yonne.

- Et Bransles attachée à la Seine et Marne.

Ces deux doyennés du XVIème au XVIIIème siècle étaient très orientés sur Montargis.

D) Enfin, accidentellement, il sera fait allusion aux parties du Gâtinais plus éloignées de Montargis.

a) Le doyenné de Milly qui s'étendait surtout en Seine et Marne (de Nemours et Egreville et Lorrez le Bocage jusqu'à Moret et Fontainebleau) mais qui comprenait aussi 2 communes de Seine et Oise et 2 de Puiseau.

b) et même (rarement) aux parties de Seine et Oise et de l'Yonne qui aux Vîjème et Villème siècles ont pu faire partie du Gâtinais primitif comme Grandchamps et St. Martin sur Ouanne, alors que celui-ci se confondait à peu près avec le bassin du Loing.

E) Mais dans l'ensemble, et avant tout, le travail portera sur les 95 communes du "Gâtinais montargois".


P. S. - A cette étude historique sur le Gâtinais, il aurait fallu joindre une étude géographique. Contentons-nous de citer deux textes curieux en 1892, dans la revue les Annales du Gâtinais (pp.94-95).

Il s'agit tout d'abord de deux vers latins sur la Beauce, d'Augustin Cotté, que le poète Andrieux a traduit ainsi:

Le triste pays que la Beauce,

Car il ne baisse ni ne hausse;

Et de six choses de grand prix,

Collines, fontaines, ombrages,

Vendanges, bois et pâturages,

En Beauce il n'en manque que... six.

Le Gâtinais qui confine à la Beauce est tout autre ; et il peut se vanter de la magnificence de ses forêts, de la fraîcheur de ses vallées, de la sauvage grandeur de ses étangs.

Un anonyme du XVIIème siècle a loué les charmes de son pays avec un enthousiasme hyperbolique qui fait sourire, dans un quatrain conservé sur un registre des archives de l'Hôtel Dieu de Nemours. Il y chante "la terre regorgeant du Gâtinais, patrie de multiples fécondités, parure d'ivoire du pays, cœur de Gaules et leur perle brillante..."


 Lire la suite de l'étude de l'Abbé Crespin dans le Bulletin de la Société d'Emulation N°98, novembre 1995

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