Articles et Documents

Goudard.jpg (7376 octets)

Un exemple d’ascension sociale d’une famille bourgeoise montargoise :
les Goudard

par Frédéric Pige
(pour contacter l'auteur, cliquez ici)
Cet article est extrait du Bulletin de la S.E.M. N°116, août 2001

Qu’il est difficile de vouloir retracer la vie d’un homme, surtout si cet homme ne nous a pas laissé d’autres traces écrites de son existence que celles qui subsistent à travers les minutes des notaires ou de quelques registres de municipalité. Cette absence de source, outre l’histoire même des lieux de conservation des archives, doit être compensée par l’imagination de l’historien. Il doit tirer de chaque document rencontré le maximum de renseignements sans en laisser de côté. Cependant, cette gymnastique intellectuelle ne permet pas de retrouver toutes les pensées et la mentalité d’un homme. Aussi, la biographie que je vous présente, est forcément entachée de mes propres a priori. Je vous propose donc une hypothèse de ce qu’a pu être la vie de Marc Goudard. Les documents retrouvés dans les archives sont des bornes qui permettent de suivre un chemin, mais c’est l’historien qui les relie avec ses propres pas.

a) Les origines de Marc Goudard

Marc Goudard est né à Auxerre en 1707 d’une famille de marchands assez aisés. Il a un frère maître chirurgien et une sœur qui a épousé un marchand de la ville. Il semble qu’il quitte sa région pour le Montargois à l’occasion de son mariage le 9 février 1733. Il est alors lui aussi marchand. Il épouse Jeanne Pillé, veuve de Julien Mésange, marchand à Montargis. Jeanne est fille d’un marchand de bois. Deux de ses frères et trois de ses oncles sont aussi des marchands de bois mais pour la provision de Paris. Elle a un autre frère qui est curé de Mignères. Il s’agit donc d’un mariage entre familles assez aisées venant de la même catégorie socioprofessionnelle. Le contrat de mariage est là pour le confirmer : Marc Goudard, qui a déjà hérité de ses parents, possède 21540 livres 10 sols consistant en plusieurs rentes, une maison à Auxerre, ... . Quant à Jeanne, elle possède 26053 livres 9 sols. Ils ont de quoi affronter la vie.

b) Le quotidien de Marc Goudard

Marc Goudard devient très vite lui aussi marchand de bois pour la provision de Paris, s’il ne l’était pas déjà. Il achète des coupes de bois comme les frênes du lieu de la Motte des Prez à Dicy qu’il fait venir " jusqu’au port du Pasty de Montargis ". De là, le bois part pour Paris par l’intermédiaire de voituriers à eaux. Le bois que Marc Goudard fait couper par des manoeuvres peut également connaître des débouchés locaux. Il peut être vendu par fagots à d’autres marchands de bois de Montargis, comme Etienne Ducoulon. Il vend également des bourrées à Antoine Percheron, marchand tuilier de la Chapelle-Saint-Sépulcre. Toutes ces activités semblent être fort lucratives et l’argent gagné, Marc Goudard l’investit. Il lui arrive de racheter des rentes ou des dettes comme celle due par Duplat pour fourniture de viande à la manufacture de papier de Langlée. Mais le placement principal de Marc Goudard est l’achat de biens immobiliers. De 1736 à 1777, nous avons retrouvé les actes d’achat de trois fiefs et seigneuries, huit maisons, dont une huilerie à la Sirène, les métairies de la Martinière et du Coudraye également appelée les Métairies, trois manoeuvreries aux Essarts et de nombreuses pièces de terres, bois, prés, ... le tout représentant une superficie de plus de 564 arpents pour une valeur total d’achat dépassant 18100 livres. La plupart de ces biens est située dans la région de Saint-Germain-des-Près, Amilly, La Selle-en-Hermois et Saint-Firmin-des-Bois, c’est-à-dire autour de ses fiefs et seigneuries. Rien qu’à Saint-Germain-des-Près, la matrice cadastrale de 1790 nous apprend que ses héritiers possèdent environ 300 arpents de terres et bois. Il pratique ce que nous appellerions aujourd’hui un remembrement. Il fait parfois des échanges de terres, comme avec Pierre Blanche, marchand de la Selle-en-Hermois, pour concentrer ses biens. Un de ses fermiers, Etienne Brouillard, se plaint d’ailleurs de l’augmentation continuelle de la superficie cultivable de la ferme due aux " défrichements considérables qui sont effectués ". Il n’est pas le seul à s’en plaindre. Les habitants de Saint-Germain-des-Près sont même rentrés en procès avec Etienne Brouillard, visant indirectement Marc Goudard. Ceux-ci dénoncent sa politique d’agrandissement et d’exploitation des terres. Ils lui reprochent d’acheter des manoeuvreries, en l’occurrence celles des Essarts, pour les désosser. C’est-à-dire qu’il adjoint les terres des manoeuvreries à celles de sa métairie des Métairies et laisse à l’abandon les bâtiments : " deux [manoeuvreries] sont démolies et une abandonnée depuis trois ans ". La conséquence de ceci fait que la taille, qui est un impôt royal, se répartit sur moins de familles ce qui augmente la part de chacun. Cependant, sur ce point, la communauté d’habitants semble être plus forte car elle gagne son procès. Elle réussit à obliger Etienne Brouillard à payer la part des anciennes manoeuvreries, mais celui-ci, et donc Marc Goudard qui est le principal intéressé, fait appel au Parlement de Paris. Nous n’en connaissons pas le jugement.

Marc Goudard loue ses exploitations par des baux à moitié, c’est-à-dire qu’il partage avec le fermier moitié des pertes et profits. Souvent les baux sont accompagnés de baux à cheptel portant principalement sur un élevage assez important de brebis et de moutons appelés " bergeats ". Marc Goudard fait très certainement couper le bois qui se trouve sur ses domaines pour alimenter son propre commerce. Cet entrain qu’a Marc Goudard pour les affaires se retrouve dans les traits de sa mentalité.

c) Les prétentions de Marc Goudard

A l’époque où vit Marc Goudard, période où se préparent de profondes mutations de la société, il reste encore quelques constantes comme la volonté des élites bourgeoises d’imiter les comportements des privilégiés, de la noblesse. Ce trait de caractère semble être celui qui a toujours animé Marc Goudard.

En consultant les archives de la ville de Montargis, on peut trouver un mémoire du début de 1735 rédigé par Marc Goudard à l’intention de l’intendant de la généralité d’Orléans, dont voici une copie partielle :

" Marc Goudard, marchand, demeurant à Montargis, adjudicataire des bois de la forêt de SAS Monseigneur le duc d’Orléans audit Montargis, expose très humblement à votre grandeur [...] un placet [...] au sujet des seaux de ville goudronnés et crochets qui se trouvent manquer audit Montargis [...], pour survenir contre les incendies à quoi ladite ville de Montargis entièrement bâtie de bois est toute sujette. Ledit Goudard se serait soumis par son placet d’en fournir et entretenir au nombre de 200, aussi 12 crochets à chaîne et en état de servir contre les incendies, le tout pour la conservation de la ville de Montargis[...].

Le suppliant aura l’honneur de représenter à votre grandeur que [...] pour fournir et entretenir lesdits seaux et crochets, les représenter en tous cas requis et en bon état même sujet à visite par M. les Maires et Echevins de cette ville, le suppliant [demande] l’exemption d’ustancils, subsistance, logement des gens de guerre, guet, garde, collecte [...], et la protection de votre grandeur pour être taxé à la somme de 6 livres pour sa capitation pour chaque année dont il ne paye actuellement que la somme de 25 livres et la dépense que ledit Goudard se propose de faire comptera 900 à 1000 livres sans comprendre l’entretien ce qui fait voir à votre grandeur que la demande dudit Goudard ne peut être qu’avantageuse pour ladite ville, le suppliant requérant qu’attendu cette dépense et entretien, les mêmes privilèges et prérogatives soient accordées à sa veuve et celui des enfants qui se chargera de l’entretien desdits seaux et crochets [...] ".

Ce texte est la deuxième demande faite par Marc Goudard au sujet des seaux contre les incendies. Nous n’avons pas retrouvé la première demande, mais nous savons qu’elle a été refusée. Sous prétexte du bien collectif, Marc Goudard se dit prêt à engager de grosses sommes. Cependant, le véritable objectif est avoué : il veut être " privilégié " et ceci vaudra aussi pour sa descendance. Il veut être affranchi de droits et ne plus payer que la capitation, que la noblesse paye aussi, mais avec un rabais. Je ne sais pas comment cette idée lui est venue. A-t-il vraiment été touché par la situation de la ville vis-à-vis des incendies ? Nous savons qu’il y en a eu un peu de temps avant ce mémoire, rue de la Pêcherie, soit juste à côté de chez lui. Y a-t-il eu des discussions à Montargis ? Un tel marché existe-t-il ailleurs ? A Auxerre ?

Une assemblée des habitants de la ville du 24 avril 1735 accepte la proposition de Marc Goudard. Il passe un marché le 22 septembre 1735 avec Martin Thierry, marchand vannier à Montargis, pour faire 200 seaux d’osier blanc goudronnées. Les seaux et crochets sont entreposés chez Marc Goudard où a lieu une inspection le 6 décembre 1737. Tout le matériel est bien présent. Marc Goudard jouit donc de ses privilèges mais ils sont remis en question en 1761. Sa capitation passe alors à la somme de 36 livres. Il proteste et l’intendant de Cypierre lui donne raison " étant donné qu’il a toujours rempli ses devoirs ".

Une fois " privilégié ", Marc Goudard se lance dans une politique d’acquisition de fiefs et seigneuries comme nous l’avons vu. Il achète le fief et seigneurie des Essarts à Saint-Germain-des-Près pour la somme de 7000 livres. Cette seigneurie a l’avantage de se trouver près de la métairie de la Martinière qu’il a acquis en 1736. Elle consiste en droits seigneuriaux et en 196,5 arpents de terres. En 1753, il achète à Claude Goujon, huissier à Lorris, le fief de Pipault à Amilly pour 792 livres. Ce fief consiste uniquement en des droits seigneuriaux : 10 deniers de cens, deux porcs, deux poulets, trois setiers de blé froment et un setier d’avoine à prendre sur l’étendue du fief. C’est l’exemple parfait du fief honorifique. Enfin il achète le fief de la Popardière sis sur les paroisses de Saint-Germain-des-Près et Saint-Firmin-des-Bois. Il y adjoint un autre fief sis sur la Selle-en-Hermois, également du nom des Essarts, dont nous ne connaissons pas la date d’acquisition. Les deux fiefs réunis prennent le nom unique de seigneurie de L’Aunay Bréard.

Il remplit tous ses devoirs de seigneurs : il passe des aveux et dénombrements au profit du duc d’Orléans et autres pour ses biens en 1776 et 1780. Il n’en oublie pas pour autant ses droits et l’une de ses grandes préoccupations est de se faire payer par ses censitaires. Il semble alors impitoyable et là où ses prédécesseurs ont échoué, lui a réussi.

Il se lance dans de longs procès pour récupérer les arrérages dus à ses seigneuries. Ainsi continue-t-il le procès commencé avant lui contre les Dominicaines de Montargis, les marguilliers d’Amilly et autres pour non paiement des cens dus au fief de Pipault. Il semble qu’il ait gagné son procès. Quand ses censitaires ne peuvent pas payer, il se paie avec leurs terres qui souvent se trouvent à proximité de ses domaines, ce qui permet de les agrandir. Nous avons retrouvé sept actes de vente, abandon ou délais d’immeuble. A titre d’exemple, on peut relater cet acte d’abandon par le curé et les marguilliers de Saint-Germain-des-Près qui sont obligés de lui céder 40 cordes de terre en friche et de lui rembourser tous les frais de procès en échange du déchargement des arrérages dus. Pour être payé, il accepte aussi parfois de faire des remises de droits. Ainsi, accepte-t-il que Simon Terrasse, laboureur à la Selle-en-Hermois, ne lui doivent plus que 21 années sur 29 d’arrérages de cens et rentes.

Un autre des droits dont il se sert est le retrait censuel : quand une vente de terre se fait sur l’étendue de ses seigneuries, il a 40 jours pour interdire la vente et racheter le bien pour son compte dans les mêmes conditions.

Pour ne pas perdre certains de ses droits, Marc Goudard a fait faire un terrier pour sa seigneurie de l’Aunay Bréard en 1751. Ceci lui a également permis de récupérer des terres. En effet, un de ses censitaires a fait une déclaration pour une pièce de bois de 6 arpents 31 perches or deux ans plus tard, le même censitaire déclare avoir réellement une plus grande superficie : 10 arpents 20 perches. Marc Goudard se réfère alors à un ancien acte de vente de 1720 de ladite pièce qui déclare une étendue de 6 arpents 31 perches. Il s’apprête alors à faire un procès à son censitaire pour récupérer l’excédent mais celui-ci abandonne. Marc Goudard continue donc à agrandir ses propriétés.

Pour lui, tout est matière à procès et dispute. Etienne Gredon est obligé de promettre devant notaire de ne plus passer par les chemins appartenant à Marc Goudard. Parfois, des laboureurs indélicats cultivent des terres qui lui appartiennent. Cela se traduit par des dommages et intérêts. Il est arrivé une fois qu’un manoeuvrier, que Marc Goudard a employé, lui vole " nuitement " du bois. Il déclare alors accepter " par grâce de ne pas le poursuivre en justice quoique cas criminel ". Il se rembourse sur ce qu’il doit au manoeuvrier pour travaux et il lui donne même la différence alors que le manoeuvrier lui doit des arrérages de cens. Cette grâce est-elle due à la période de Noël, y a-t-il eu une sympathie particulière par rapport à une situation ? En effet, lorsque des personnes lui doivent de l’argent, il se montre moins compatissant. Il lui est même arrivé de saisir des successions.

Enfin, un autre avantage lié à ses possessions est qu’il peut être qualifié de seigneur dans les actes notariés qu’il passe. Il se fait parfois appeler Goudard des Essarts.

Si on devait synthétiser la personnalité de Marc Goudard, on pourrait dire qu’il représente le type de seigneur qui essaie de relever ou de profiter du régime seigneurial à l’encontre des idées nouvelles des Lumières. Ses réactions ont pu irriter ses contemporains et participer au rejet collectif de l’Ancien Régime. Cependant, il ne faut pas le juger trop sévèrement car il ne faisait que suivre le chemin de ceux qui aspiraient à atteindre l’élite. Cette ambition ne pouvait être l’œuvre d’un homme seul et devait s’inscrire dans une stratégie familiale. Si Marc Goudard a pu atteindre cette réussite, c’est avant tout parce qu’il est l’héritier d’une ou plusieurs générations qui par leur travail et leurs mariages lui ont assuré une certaine aisance. De cette mentalité familiale, Marc Goudard en a fait hériter sa propre descendance.

d) La descendance de Marc Goudard

Marc Goudard n’a eu qu’un seul enfant, une fille prénommée Louise Claire. Elle est née en 1735. Nous ne savons rien de son enfance. Elle se marie en 1761 avec Nicolas Lepage de l’Etang, bourgeois qui deviendra officier de la maison de la Reine. Il est le fils de Louis Lepage de Lingerville, lieutenant des chasses du duc d’Orléans et de Suzanne Françoise Bizoton. Cette famille, bien que non noble, a adjoint à son nom des noms de domaines, se rapprochant ainsi des comportements de la noblesse de robe. Leurs professions déclarées leurs permettent également de se dissocier du monde des bourgeois marchands. Le contrat de mariage est passé chez un notaire parisien le 17 novembre 1761. Marc Goudard donne à sa fille une dot de plus de 43 000 livres consistant en meubles, linges, argent comptant, rentes, 8 maisons à Montargis dont une qu’il fait rénover à neuf et qui se trouve juste à côté de chez lui, rue Saint-Marie, et la ferme de la Martinière qui fut sa première possession importante. Le futur marié possède une somme de 46120 livres constituée principalement par des rentes dues par les Etats de Bretagne. De cette union naissent plusieurs enfants : Jean Nicolas, officier au corps de l’administration de la marine ; Edmée Marquette mariée à Charles Poussard, médecin à Auxerre où il reste quelques attaches familiales à la famille Goudard ; Victoire mariée à Claude Jean Baptiste Mathurin Plouvyé, contrôleur principal de l’administration des droits réunis ; et Louise Adélaïde. Cette dernière se marie avec Julien André Mésange le 3 juillet 1787. Julien André Mésange est une figure du Montargois puisqu’après la Révolution, il devient le premier sous-préfet de Montargis. On est alors bien loin du monde des marchands de bois et ce n’est certainement pas pour déplaire à Marc Goudard. Sa descendance a enfin atteint une certaine élite. Il ne le verra pas. Sa femme est morte le 26 septembre 1777 et a été inhumée sous la galerie de la chapelle du cimetière. Quant à lui, il est mort le 7 avril 1785. Son acte de décès est des plus simples et indique la mort d’un marchand de bois.

Frédéric Pige.


Sources :

- Aux Archives nationales :

*Fonds de la chambre des comptes : P1944
*Minutier central : ET II/590
ET XVII/842
ET XLI/466

- Aux Archives départementales du Loiret :

* 3 E 7792bis à 8028, 8049
*: 3 E 13735, 13738, 13742a
*: 3 E 18148 à 18245, 18321
*: 3 E 35559
*Fonds des archives communales de Saint-Germain-des-Près, rôle du vingtième : CC1
matrice cadastrale : 1 G 5

- Aux Archives municipales de Montargis :

*Fonds des registres paroissiaux, GG 95, 138, 146, 148
*Fonds des registres de délibération, BB12
*Fonds des propriétés communales, DD6
*Fonds de la Justice, FF6


haut de page epona2.gif (1970 octets)