Histoire d'il y a belle lurette... Le Bignon-Mirabeau par Liliane Violas |
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Le Bignon-Mirabeau, patrie du célèbre tribun
Au temps où le Bignon-Mirabeau se nommait simplement "Le Bignon", le village était une petite ville fortifiée. Cela se passait au Moyen Age et le Bignon comptait alors plusieurs fiefs où vivaient des seigneurs. Durant la Renaissance, peut-être plus tôt, des descendants des comtes de Melun vinrent s'établir au Bignon.
Les seigneurs de Melun
Les comtes de Melun étaient originaires de l'illustre famille de Lusignan voisine de Poitiers, d'où sortirent bon nombre de têtes couronnées.
Vers le milieu du XVIe siècle, les seigneurs de Melun se firent enterrer dans l'église paroissiale du Bignon. Le tombeau de Louis de Melun s'y trouve encore aujourd'hui, surmonté d'un gisant de marbre blanc qui, bien qu'endommagé possède toujours son épitaphe : "Cy gist noble homme Loys de Melun escuyer, sieur du Bignon de la Loupuetière, de Dampnemois, de la Motte de Nesle Courtery et de Pierre-Aygue en partie, qui decedda le XIle jour de May 1568. Priez Dieu pour luy".
Au XVIle siècle, Charles de Melun fit ériger l'ancien château du Bignon. En 1630, Dom Morin écrit à propos des fiefs du Bignon : "ces fiefs ont été acquis et unis en une seule Seigneurie depuis trente ans en ça, par Charles de Melun seigneur du Bignon, lequel a faict bâtir à une portée de mousquet dudit village dans le fonds et en la prairie, un très beau château, tout environné de larges fossés à fonds de cuve et pleins d'eau, ayant fait démolir deux autres fiefs et châteaux attenant ledit village".
L'un des deux châteaux détruits par Charles de Melun se trouvait sans nul doute situé à l'emplacement de l'actuel château du Bignon. Le deuxième est pus difficile à localiser: on suppose qu'il était situé dans un bois, sur la route d'Egreville, l'endroit comportant encore de larges fossés, vestiges possibles d'une motte médiévale...
Gabriel-Honoré de Mirabeau
C'est donc dans le château bâti par les seigneurs de Melun que le célèbre comte Gabriel Honoré de Mirabeau vit le jour le 9 mars 1749.
Son père, le Marquis Victor de Mirabeau l'avait acquis en 1740 sur le conseil d'un ami décrétant qu'un seigneur de son espèce devait absolument posséder un fief rapproché de la capitale. Le biographe et descendant des Mirabeau, Humbert de Montlaur, donne une esquisse du château : "C'est une vaste construction, bâtie à l'époque de la Renaissance, au milieu de douves, encadrée de bois, de prés et de ruisseaux". Plus loin, on lit la description donnée par le marquis de Mirabeau lui-même: "Ce panier d'herbe est si drôlement mélangé d'arbres, de bocages, d'eaux et de cultures qu'on dirait que tous les oiseaux de la contrée
s'y sont donnés rendez-vous." Les travaux entrepris par le Marquis au Bignon furent considérables : toujours d'après Humbert de Montlaur, "le château est entièrement refait, on meuble les appartements, les pacages sont mués en prairies, on change le cours d'une rivière, on plante, on creuse, on dessine un parc".
Les ancêtres de Gabriel-Honoré étaient les Riquetti de Mirabeau, originaires de Florence et venus s'installer à Marseille au XIlle siècle. Le marquis de Mirabeau, père de Gabriel, fut envoyé en exil dans son château du Bignon en 1761 par suite d'un écrit sur la Théorie de L'impôt. Cet homme très sévère suscita sans doute chez son fils une indiscipline qui ne demandait qu'à se manifester.
Afin de le corriger, le marquis lui choisit tout d'abord la carrière des armes puis par des lettres de cachet, le fit enfermer successivement à l'île de Ré, en Corse, au château d'If et dans celui de Joux près de Pontarlier. C'est là qu'il fit la connaissance de Sophie, épouse du marquis de Monnier, avec laquelle il s'enfuit en 1776 pour la Hollande. Le scandale étant a son comble, Mirabeau fut extradé et emprisonné au donjon de Vincennes. Durant les trois ans que dura sa captivité, il écrivit les fameuses "Lettres à Sophie", qui furent publiées par le président de la Commune de Paris, au grand dam de son père.
Déshérité par le marquis, il fut élu député par le tiers état d'Aix aux Etats Généraux en 1789. Il s'imposa à l'Assemblée nationale par son éloquence. Quoique instigateur de la mise à la disposition de la nation
des biens du cierge, il chercha à devenir le sauveur de la monarchie. Introduit à la cour, il reçut du roi des subventions pour protéger, à la tribune de l'Assemblée nationale, les intérêts royaux sans cesser de défendre, à l'occasion, les principes révolutionnaires. Accusé de trahison, il mourut brusquement avant que fût démêlé son double jeu.
Au château du Bignon, autour du Marquis de Mirabeau, se réunissaient les physiocrates, dont Dupont de Nemours (évoqué dans notre épisode sur Chevannes). Ces adeptes des théories de Quesnay, prônaient la connaissance et le respect des lois naturelles comme principes organisateurs de la société. L'agriculture y tenait un rôle prépondérant. Ainsi, ils créèrent au domaine du Bignon les premières prairies artificielles permettant de nourrir le bétail qui, en période de sécheresse, devait se contenter des feuilles d'orme que leur cueillaient les paysans.
En 1789, le Marquis de Mirabeau vendit le château du Bignon. Selon la conservation des hypothèques à Montargis, "messire Victor de Riquetty, marquis de Mirabeau, grand'croix de l'ordre de Vassa, demeurant à Paris, a vendu à Messire Jean-François Duport, conseiller au parlement de Paris, la terre et la Seigneurie du Bignon ( )".
Aux Archives de Seine-et-Marne, on apprend que la vente datée du 24 septembre 1789 concerne "le Bignon avec ses dépendances tant en fief que roture et tous les meubles du château ( ) ". L'acquéreur du domaine, Adrien Jean-François Duport devint l'un des chefs de la Constituante. Le 22 mai 1790, au cours d'une séance houleuse à l'Assemblée, Mirabeau se mit en fureur contre Lameth, Duport et Barnave. C'est, nous dit M. l'abbé Verdier, "Au nouveau propriétaire de son château natal que le tribun s'opposait"...
Le troisième château du Bignon
En 1789, Adrien Jean-François Duport acheta le château du Bignon au Marquis de Mirabeau. Député de la noblesse, Duport fut arrêté au Bignon et s'évada grâce à un habitant du pays. Il jugea alors prudent de quitter le territoire et s'enfuit en Angleterre laissant sa femme et ses enfants au château. Amable Elisabeth Tubeuf était une petite blonde aux yeux bleus. Séparée, puis divorcée de Jean-François Duport, elle vécut avec ses trois enfants tantôt au château du Bignon, tantôt à Paris ou elle avait également un domicile.
En janvier 1794, "la citoyenne Amable Elisabeth Tubeuf" se fit délivrer par la mairie un passeport et des certificats de résidence. Par ces démarches, elle tenait à se montrer bonne républicaine, afin de racheter l'émigration de son mari dont la fuite avait entraîné la saisie du domaine du Bignon devenu bien national. Le 20 Pluviose an III, la Municipalité, à la recherche de bois pour le sabotier, note dans ses délibérations : "Quant aux bois propres pour le sabotage, nous avons dans l'étendue de notre commune environ cent pieds de peupliers d'Italie, appartenant à la nation par l'émigration d'Adrien Jean-François Duport".
Rentrée en possession du château, Elisabeth Tubeuf le vendit à un citoyen suisse, François de la Fléchère le 23 novembre 1796. Celui-ci ne le posséda pas longtemps: en 1805, Madame de Condorcet, femme du philosophe et ardente révolutionnaire, racheta le domaine du Bignon pour sa fille Elisa.
La famille O'Connor
Elisa de Condorcet avait épousé un Irlandais, Général de Napoléon, Arthur O'Connor. Le couple s'installa au Bignon et s'intégra à la vie de la commune. En 1825, le Lieutenant général O'Connor y faisait fonction de "commissaire voyer gratuit des chemins". Sous sa gestion, le tracé des chemins vicinaux suscita quelques polémiques ; il semble en effet que le Général "oubliait" de signaler les aisances traversant ses propriétés. Toutefois, les différends se calmèrent et sous Louis-Philippe, le sous-préfet nomma Arthur O'Connor maire du Bignon. Celui-ci était alors âgé de soixante trois ans et n'avait pas le caractère facile. Cependant, c'est durant son mandat que fut créée une école au Bignon. En 1833, le Général fit don d'un terrain à la commune afin d'y bâtir l'école. Les travaux furent réalisés rapidement et trois ans plus tard, l'inspecteur venu la visiter se déclarait "pleinement satisfait de la tenue de la classe, de la méthode suivie par l'instituteur, des progrès des élèves et de leur conduite."
Le 25 avril 1852, le Général irlandais O'Connor disparaissait a l'âge respectable de quatre-vingt-cinq ans.
Durant sa vie, son épouse et lui-même eurent à subir la terrible épreuve de perdre trois de leurs enfants. On édifia leurs sépultures dans les bois contigus au château, en un lieu que leurs proches appelèrent "les tombeaux". Le Général fut également enseveli à cet endroit. Les tombes furent ensuite transférées dans le nouveau cimetière ou la famille O'Connor fit élever un monument napoléon en imposant en forme de temple grec.
Comme dans toutes paroisses, sous l'ancien régime, le cimetière du Bignon se trouvait autour de l'église paroissiale. A partir de 1806, on décida d'en créer un plus grand hors du bourg. M. de la Fléchère proposa un terrain à la sortie du village, près de la route d'Egreville. Mais en 1812, les travaux n'étaient toujours pas effectués. Se référant à l'épidémie qui sévissait alors, le maire accusa l'eau du puits, "presque contigu au cimetière actuel et placé au dessous ( ... ) et le trop grand nombre de fosses dans un espace de terrain trop serré. Pour ces raisons de salubrité publique, on ouvrit enfin le cimetière actuel où sont encore visibles les tombes de la famille O'Connor. Après le Général, trois générations se succédèrent dans le château avant qu'en 1875, on décide de le reconstruire.
Le poète Patrice de la Tour du Pin
Mademoiselle de Gannais avait épousé Arthur O'Connor, petit-fils du Général. Lorsqu'elle arriva au château du Bignon, elle le trouva vétuste. Ce jugement, sans doute fondé, auquel s'ajoutaient des moyens financiers considérables lui permirent de faire rebâtir un nouveau château à l'emplacement de celui rénové par Mirabeau cent ans auparavant.
Sanson fut l'architecte de la nouvelle demeure dont Duchêne dessina les jardins. De 1880 à 1883, la famille O'Connor vécut dans les travaux. Ils eurent ensuite le plaisir d'emménager dans un ravissant château au charme proustien.
Leur petit-fils, le poète Patrice de la Tour du Pin, goûta toute sa vie le ravissement de l'endroit. Il puisa son inspiration dans la sérénité du cadre et la proximité de la nature.
Le poète naquit en 1911. Il perdit son père à la bataille de la Marne, en 1914. Son enfance se déroula dans le château familial entre sa mère et sa grand-mère et sa soeur Phylis, de six ans son aînée. Il n'était âgé que de vingt deux ans lorsqu'il publia son premier recueil, La quête de la joie. En 1938 il publia Psaumes et La vie recluse en poésie. Puis vint la guerre et Patrice de la Tour du Pin fut blessé à la tête et fait prisonnier durant quatre années. Durant cette période d'épreuves il conçut son oeuvre poétique, une somme de poésie, qu'il publia en 1946. C'était le premier volet d'un triptyque dont les suivants parurent successivement en 1959 et en 1971. En 1974 sortit son dernier livre : Psaumes de tous les temps.
Un lieu qui a une âme
Le château du Bignon garde l'empreinte inaltérable des personnages remarquables qui l'ont habité. Leur histoire s'échappe des milliers de livres de la grande bibliothèque que le poète avait aménagée avec son épouse. Lorsque l'on est reçu par Madame Anne de la Tour du Pin dans cette vaste pièce, on est pris sous le charme, saisi par une sorte d'envoûtement. Le temps s'arrête et on pourrait écouter l'hôtesse pendant des heures, Il paraîtrait naturel qu'Elisa de Condorcet sorte des rayonnages et vienne s'asseoir pour préciser un détail de sa biographie. Quant à Patrice de la Tour du Pin, sa présence imprègne ce château d'une sorte de grâce. En quittant cet endroit magique, comme le Grand Meaulnes, on se demande si on a rêvé...
Liliane Violas
Le nom de Mirabeau fut ajouté au Bignon par arrêté préfectoral en date
du 13 décembre 1881. Il aura fallu presque un siècle pour que le voeu émis par les
habitants de l'époque soit réalisé. En effet, le 1 novembre 1792, l'Assemblée
générale du Bignon proposa qu'il soit inséré dans le procès verbal de séance : "Que le bourg et paroisse du Bignon est le lieu de naissance du citoyen Mirabeau l'aîné, ex-constituant, qui a tant mérité de la patrie, né audit Bignon le 9 mars 1749 et baptisé le 16 dudit mois et an, qu'il y a été allaité élevé jusqu'à l'âge d'environ 9 ans, et que sa soeur de lait est encore vivante, demeurante en la même paroisse, sous la puissance d'un mari (sic !) bon citoyen, peu fortuné et chargé de sept enfants. Enfin qu'à la mémoire du citoyen Mirabeau, premier des grands hommes dans la Révolution, cette paroisse devait porter le nom de Bignon-Mirabeau, afin que tous les citoyens de la France connaissent le lieu de naissance de Mirabeau et qu'il est né français." |
Mirabeau, membre du club des laids
" Cet enfant qui devait être le roi de la tribune, avait, en naissant, le pied tordu et la langue enchaînée; deux dents molaires déjà formées dans sa bouche annonçaient sa force.
" Suivant l'expression de son père, c'était un mâle monstrueux au physique et au moral, et si l'on en croit Victor Hugo, le club des laids de Londres lui avait envoyé un diplôme de membre honoraire. Une petite vérole maligne l'avait défiguré dès l'âge de trois ans; mais à travers cet excès de laideur, sa physionomie excitée par les passions avait quelquefois son rayon de beauté ".
D'après l'étude de Maurice Midol.
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