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Histoire d'il y a belle lurette...

Château-Renard

par Liliane Violas
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Cet article est extrait de l'
Eclaireur du Gâtinais n° 2809 du 2 septembre 1999
images de Château-Renard


Châteaurenard vient de changer de nom : il se nomme désormais Château-Renard. Cette scission du nom renvoie judicieusement à la toponymie d'origine. Ecoutons Dom Morin, prieur de l'abbaye de Ferrières au XVIle siècle et auteur de l'Histoire de Gastinois : "Chasteau Raynard est une petite ville du Gàstinois, à quatre lieues de Montargis le Fräc, laquelle a prins son nom d'un ancien chasteau, que fit bastir le Comte de Sens, nommé Raynard. (...) Ledit Raynard fit bastir tout ce qui estoit au dessus de la montagne (...)".

Une imposante forteresse

Le charme de Château-Renard tient en ces vestiges d'une imposante forteresse qui surplombe la vallée de l'Ouanne. L'endroit se nomme "Le Donjon". Du haut de ces ruines, on admire le château de la Motte. L'origine commune de ces deux châteaux oblige à raconter conjointement leurs deux histoires, tant elles s'entremêlent au cours des siècles.

L'ensemble féodal du château-haut, détruit depuis quatre cents ans, fut fondé en 961 par Renard 1er, dit "Le Petit Vieux", comte de Sens. Ce seigneur au tempérament félon était presque un enfant du pays : il avait passé sa jeunesse à la Motte, fortification de bois édifiée en contrebas, par son père, Fromont 1er. Ce dernier fut en effet exilé par le roi pour avoir outragé l'archevêque de Sens. Retiré à Château-Renard - à l'époque "ville d'Ouanne" -, il fit bâtir en l'an 910 le premier château de la Motte, vraisemblablement situé à quelques centaines de mètres du château actuel, entre deux bras de l'Ouanne. Cette anecdote nous prouve que Fromont n'avait pas meilleur caractère que son fils, mais que tous deux furent des bâtisseurs.

Comme tout le Gâtinais à l'époque carolingienne, Château-Renard était administré par l'abbaye de Ferrières. Sur le "Mont d'Ouanne", les religieux avaient établi un prieuré bénédictin en l'honneur de St Amand. Le lieu choisi par les moines présentait une situation stratégique : 196 mètres de dénivelé. La butte la plus haute du Gâtinais ! Aussi Renard 1er qui grandissait en force et en malice considéra l'endroit avec une lueur de concupiscence dans la prunelle...

Le Petit Vieux ne s'embarrassa pas longtemps de la présence des moines : élevé par Fromont dans l'art du pillage, il n'était pas étouffé par les bonnes manières. Devenu lui-même comte de Sens, Renard mit à sac toutes les abbayes possibles et dépouilla allègrement celle de Ferrières de la presque totalité de ses biens. C'est ainsi que sur "le donjon", il érigea le château-haut englobant la première église. Les chroniqueurs rapportent que "la ville d'Ouanne" prit le nom de Château-Renard en 961.

Profitant de la prise de Bray-sur-Seine, Renard le Petit Vieux s'empara des reliques de St-Pavas déjà subtilisées aux habitants du Mans lors des invasions normandes. Il les offrit alors aux habitants de Château-Renard faisant coup double : il augmentait sa popularité et chassait définitivement le souvenir de St-Amand qui rappelait l'autorité de Ferrières.

Renard 1er mourut en 996 et fut inhumé dans l'église de Ste-Colombe, près de Sens.

Ainsi, les descendants de Renard possédèrent les châtellenies du haut et du bas pendant des siècles. Ces seigneurs étaient, dit Paul Gache, "un exemple de féodalité indépendante et anarchique". Ils jouissaient d'une réputation exécrable, détroussant tout ce qui passait sur leurs terres et se conduisant comme des bandits de grands chemins. En 1015, les Renard furent destitués de leur comté de Sens par Robert le Pieux, mais demeurèrent comtes de Joigny. Un siècle plus tard, ce fut le roi Louis Vile Gros qui osa les attaquer et, en 1110, détruisit le château-haut. Enfin, pour mieux assujettir les Renard, le souverain fit édifier deux forteresses : tout d'abord le château de la Motte érigé dans la ville de Château- Renard par les Courtenay - ces derniers, cousins de la famille Renard, pouvaient ainsi surveiller leurs insubordonnés parents - et Ile château de la Volve face au château-haut, dans lequel le roi installa le bailli de la Motte afin qu'il surveille ce que manigançaient les Renard...

Epiés par les Courtenay qui habitaient le Château-Bas de la Motte, les Renard tentèrent une ultime reconstruction de leur forteresse en 1131 .

Le roi intervint de nouveau et la reddition des Renard fut définitive. Ils prirent le patronyme de Joigny, seul comté leur restant, et pendant plus d'un siècle, il n'y eut plus de château sur l'éperon. Durant cette période, l'église fut reconstruite et dédiée à Saint Etienne.

En 1232, Gaucher Il de Joigny, descendant des Renard, obtint l’autorisation royale de rebâtir le Château-Haut. On était au sommet de l'architecture médiévale. Château-Renard en fut un exemple glorieux : la forteresse dominant l'Ouanne avait fière allure avec ses 16 tours et son monumental donjon. On y pénétrait par la porte Rouge (portail actuel) ainsi nommée car les trophées de chasse saignants y étaient exposés.

Le château était entouré d'un fossé de six mètres qu'on franchissait par un pont-levis. Précédant la porte Rouge, un gibet signalait la puissance du seigneur et vous mettait dans l'ambiance : malheur aux coupe-jarret ! Mais pour les "honnestes gens", la citadelle présentait un certain confort : onze puits pour soixante-quinze maisons, pressoir, étables et moulin à vent. Sept souterrains parcouraient l'ensemble, dont certains donnaient dans les puits - on peut à ce propos noter que l'abbé de Triguères, plusieurs siècles plus tard, se réfugia dans le puits de l'église durant la Terreur -.

De construction en destruction

Au XIlle siècle, le Château-Haut était une ville dans la ville et abritait cinq cents âmes dont une garnison de cent soixante hommes.

Gaucher de Joigny, Comte de Château-Renard, était le gendre de Simon de Monfort.

On se souvient de ce dernier, grand pourfendeur d'hérétiques cathares et chef de la croisade contre les Albigeois qui s'acheva par le sinistre bûcher de Montségur. Voulant sans doute se maintenir dans les principes familiaux, la mode étant par ailleurs aux croisades, Gaucher se dépêcha d'aller mourir en Terre Sainte, en l'an de grâce 1241.Il n'avait guère eu le temps de profiter de son château, refait à neuf nous dit l'histoire, sans préciser si les ouvriers de l'époque avaient pris du retard et si les devis avaient été respectés !

Quarante ans plus tard, le Château-Haut passa des Renard-Joigny aux d'Artois. La petite nièce de Saint-Louis, Mahaut d'Artois, y reçut Philippe le Bel. Celui-ci examina l'édifice avec une pointe de jalousie. Aussi, en 1312, lorsque Mahaut céda Château-Renard à son cousin Henri IV de Sully, prince souverain de Boisbelle, ce fut plus que n'en pouvait supporter le souverain : Henri, grand bouteiller du roi, possédait déjà le Château-Bas de la Motte. Ce nouveau domaine le rendait maître de toute la ville. Philippe le Bel lui imposa alors un échange avec le château de Dun le Roi.

Le Château-Haut devint propriété du roi qui y installa une garnison en 1317.

La guerre de cent ans ravagea les campagnes de la région. Les registres de l'époque témoignent : en 1422 "Néant, pour ce qui au dit lieu ne demeure personne ni repère que bestes sauvaiges" et en 1450, "Tout est désert, il n'y a que petits enfants mendiants" .

Au milieu de cette tourmente, Château-Renard fut épargnée. Durant l'hiver 1358, toute la population de Saint-Germain-des-Prés dut se réfugier au Château-Haut.

Sous François 1er, Château-Renard comptait plus de quatre mille habitants. Cette période de la Renaissance marqua également la fin des châteaux forts. Celui de Château-Renard se réduisit à sa par- tie haute dite le Chastellet. Le maréchal de Coligny se porta acquéreur de la forteresse en 1522 et du Château-Bas de la Motte en 1531. La ville fut donc occupée par les protestants dès le début des guerres de religion.

Les horreurs recommencèrent en 1562, lorsque les moines du prieuré furent précipités sous les roues du Moulin du Bout. Puis, le 3 novembre 1568, la situation se renversa et des troupes catholiques royales s'attaquèrent aux Huguenots : ils incendièrent l'église Saint-Etienne et une tour du château-haut. Ils firent également raser au tiers de leur hauteur les tours du Château de la Motte.

Au début du XVIle siècle, les guerres de religion ayant pris fin, Louise de Coligny, descendante du maréchal, put alors rentrer en possession de ses biens. Elle fit reconstruire le Château de la Motte sur les fondations octogonales de l'ancien château de Milon de Courtenay. D'autre part, elle installa une garnison protestante au Chastellet et interdit aux catholiques l'accès de l'église Saint-Etienne.

Mais, en 1622, Louis XIII s'empara du Chastellet par la ruse et fit détruire ce qui subsistait du Château-Haut. Ainsi finit la forteresse de Château-Renard qui toujours, fut possédée par des rebelles : aux indociles Renard du début, les protestants de Coligny donnèrent la réplique de fin. C'est pourquoi aujourd'hui il n'y a plus de Château- Haut.

Mais allez vous promener sur le donjon, les mânes de ces insoumis y sont toujours et il souffle là-haut comme un vent de liberté...

De l'éducation des jeunes au XVIIe siècle

"II y a quelques années qu'il arriva une histoire fort triste et tragique à Chasteau Raynard, d'un enfant âgé de dix-huict ans ou environ, qui tua son père qui estoit advocat parce que son dit père le voulu frapper, luy disant qu’il allait chercher a soupper d'ou Il venoit si tard. Le fils s'oppiniatrant contre son père luy dit qu'il vouloit soupper malgré luy, de quoy le père se sentant offencé prit un bâton et le frappa.

Le fils se saisit d'une épée et en donna un coup à son père et le tua. Monsieur le Maréchal de Chastillon, après les informations faictes, le fit condamner à estre lacéré, et déchiré par le menu peuple tout vif comme il fut, afin de donner terreur et exemple aux enfants de n'offencer leurs parens."

Dom Morin, abbé de Ferrières, Histoire du Gastinois

Liliane Violas


Les renseignements historiques sont extraits des recherches de Monsieur Paul Gache qui nous apporte des précisions : le Donjon fait 196 mètres d'altitude et non de dénivelé (qui n'atteint pas 80 mètres) ; la Motte féodale de Fromont est encore plus ancienne : elle daterait de l'an 550. D'autre part, il indique que les reliques de Saint Pavas avaient fui devant les invasions normandes. Nous le remercions vivement de ces renseignements.


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