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Histoire d'il y a belle lurette...

Chevannes

par Liliane Violas
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Cet article est extrait de l'
Eclaireur du Gâtinais n° 2809 du 2 septembre 1999

l'église

images de Chevannes


Chevannes la mystérieuse

Chevannes provient du mot "cabane", petite ferme. L'endroit était un petit domaine féodal, une "cabane" qui, par évolution phonétique, a donné Chevannes.

Mythologie des lieux

De ce petit village se dégage un curieux sentiment d'insolite. On est tout d'abord frappé par l'étrangeté de son église haut perchée, bâtie sur la colline qui domine le village.

Face au portail, dissimulé par les maisons, se dresse un mégalithe, "la Pierre-aux-Sorciers", ainsi nommé par référence à d'anciens cultes païens. Jusqu'au XIXe siècle, on se rendait en procession au vieux menhir de Chevannes le jour de Notre-Dame de Pitié. On l'appelait encore "Pierre de la Justice", voyant dans cette roche dressée Ie symbole d'une inquiétante divinité figurant la peine capitale. La Pierre-aux-Sorciers n'est pas le seul menhir de la région, qui en regorge: elle ferait partie d'un système englobant notamment un cromlech (pierres dressées disposées en cercle régulier) aujourd'hui disparu, au hameau de Blanche-Forêt, et la "Roche-abri" en direction de la Merville. Des cultes de nos ancêtres celtes, il reste à Chevannes le "Chêne au Gui" et le "Bois Sacré". Fées Mélusine ou Carabosse, elles ont laissé leurs empreintes dans le "Gué aux filles", survivance mythologique d'une époque où le magique côtoyait le quotidien.

Chevannes fut donc habité par l'homme depuis toujours : à la Mardelle de la Bergère, on retrouva des traces de l'occupation romaine en découvrant une meule gallo romaine. D'autre part, au Moyen Age, il y avait à Chevannes une Iéproserie. Le viIIage fut probablement évangélisé par Sainte-Rose de Rozoy, bénédictine du Xie siècle qui fonda un monastère à la source du ru Sainte-Rose, près d'Ervauville. Le ruisseau, au cours très capricieux, disparaît dans des gouffres plusieurs fois le long de son cours.

A Chevannes, il resurgit à grands flots à l'entrée du village où il se jette aussitôt dans le Betz. C'est là que fut fondée la chapelle Notre Dame de Pitié. Le culte rendu à celle-ci date de la fin du Moyen Age. Les Pieta, Vierge tenant le corps sans vie de son fils sur les genoux, furent pour la plupart sculptées au temps de Louis XII. Aujourd'hui à l'abandon, cette chapelle était un lieu de pèlerinage encore très fréquenté en 1870.

Dupont de Nemours

Au-delà de ces 'légendes, l'histoire de Chevannes fut marquée par un personnage célèbre : Dupont de Nemours. Durant toute sa vie, mais plus encore pendant la Révolution, il s'illustra par ses idées humanitaires et son dévouement envers ses concitoyens.

Pierre Samuel Dupont naquit à Paris en 1739. Il fit de longues études au cours desquelles il se lia avec le philosophe Quesnay, Lavoisier et le ministre Turgot.

Après la mort de Louis XV, Dupont fut nommé inspecteur général des manufactures. Il acheta alors le château du "Bois des Fossés", à Chevannes. C'est là que son épouse. Marie-Louise Le Dée de Rencourt, se fit connaître par sa bonté et sa générosité. Elle mourut à l'âge de quarante et un ans. Son tombeau, sur le côté gauche de l'église, porte l'épitaphe suivante, très éIogieuse: "Ci-gît le corps de Noble, Belle, Bonne, Vertueuse, Raisonnable, Econome, Bienfaisante Dame Madame Nicole, Charlotte, Marie-Louise Le Dée (…) elle a constamment fait le bonheur de son mari et de ses enfants, elle a été l'honneur et l'exemple de ses parens et de ses amis, la consolation, la bénédiction, le secours perpétuel des pauvres de cette paroisse. Son âme doit être dans les cieux. ".

A son décès, Pierre Samuel Dupont se consacra à ses enfants et ses amis, notamment au comte de Mirabeau, fils aîné du marquis son voisin, qu'il appelait "cet enfant terrible". Lors de la convocation des Etats Généraux, en 1789, il fut désigné par ses concitoyens pour représenter le Tiers-Etat de sa paroisse. Elu député au Baillage de Nemours à l'Assemblée Constituante, il siégeait en même temps que Dupont de Bigorre dont on voulait le distinguer. C'est ainsi qu'on le nomma "Dupont de Nemours".

En 1790, les citoyens de Chevannes chargèrent Pierre Samuel Dupont de Nemours de plaider leur cause au "comité de constitution ". Ils désiraient en effet

que leur village fut rattaché au canton d'Egreville au lieu de celui de Ferrières, à cause de la proximité du marché, de la commodité des chemins, du débit de leurs productions, de l'habitude et de la connaissance qu'ils ont des villes d'Egreville et de Nemours". Pierre Samuel fit chou blanc et l'on rattacha Chevannes à Ferrières,

amorçant ainsi des siècles de relations impossibles avec la lointaine préfecture d'Orléans…

Dupont de Nemours mettait en pratique ses idées humanitaires et répandait les théories physiocratiques de Quesnay, doctrines fondées sur la connaissance et le respect des lois naturelles pour lesquelles l'agriculture était prépondérante. Cependant, étant toujours resté fidèle au roi, il fut arrêté à Chevannes et emprisonné. Une fois libéré, il s'exila en Amérique bientôt rejoint par son fils.

Ses descendants restèrent outre-Atlantique où ils devinrent de riches industriels. En 1930, ceux-ci financèrent la reconstruction de l'église de Chevannes en souvenir de leurs ancêtres. A l'intérieur, une plaque évoque la générosité des Dupont de Nemours de Wilmington.

Encore un attentat de Nouvel An

"C'est pas seulement à Paris, que le crime fleurit". "Nous au village aussi on a de beaux assassinats".

Sous le titre "Encore un attentat de Nouvel An", Un Bulletin paroissial de Chevannes de 1949 rapporte un fait divers tiré des Archives municipales, et daté lui, de l'an 2 après la Révolution.

"Aujourd'huy duodi lère décade du mois Nivôse l'an 2 de la République une et indivisible à cinq heures du soir, la citoyenne Anne Desmeurs femme de Mathurin Faucheux, a été assassinée par la famille de Louis Desmeurs, c'est à dire la mère et les enfants qu'ils ont couru mais le bonheur a voulu qu'elle sauva heureusement. La colère tenait si fort les assassins de pas l'avoir attrapé, ils lui ont que tôt ou tard qu'ils l'auraient et qu'ils voulaient lui casser les bras, et ce n'est pas la première fois qu'il font des menaces tant à l'exposante qu'à son voisin".

Sombre histoire, mais qu'on se rassure, "la mère et les enfants" se portent bien, et si j'ai bien compris, la citoyenne assassinée a couru assez vite pour échapper aux casseurs de bras.... Ah la vilaine époque !

Liliane Violas


Sources: Dossier d'histoire locale de Chevannes constitué par M. William Beauvais ; articles de Madame France Thouvenot: 'L'ancienne chapelle Notre-Dame de Pitié de Chevannes" (Société d'Emulation) et "Sainte-Rose de Rozoy, survivances mythologiques" (les Amis du Vieux Montargis) ; bulletin de l'association des Naturalistes de la Vallée du Loing, 1926. Tous mes remerciements au personnel de la bibliothèque municipale de Montargis pour leur disponibilité et leur dévouement.


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