Articles et Documents

Drdvs_chateauMezleMarechal.jpg (24491 octets)

Histoire d'il y a belle lurette...

Dordives

par Liliane Violas
(pour contacter l'auteur, cliquez ici)
Cet article est extrait de l'
Eclaireur du Gâtinais n° 2815 du 14 octobre 1999

Château de Mez-le-Maréchal

images de Dordives

Dordives et ses châtelains croisés

Tout comme Ferrières, Dordives était une ville minière. L'exploitation du gisement de fer du sous-sol commença dès l'Antiquité. Les forgerons établis au bord du Loing utilisaient le bois abondant des forêts voisines pour alimenter leurs fourneaux. La forêt de Montargis s'étendait alors jusqu'à celle de Fontainebleau. Cette activité se poursuivit jusqu'au XVIe siècle, époque à laquelle la région de Dordives se retrouva totalement déboisée. Faute de combustible, on abandonna ces mines qui avaient fait la richesse de Dordives. On prétend que le village tire son nom de sa richesse : "Auro dives" qui signifie "d'or riche".

Jules César

Il y a deux mille ans, toute la Gaule était occupée ! Toute, même le petit village de Dordives qui vit passer les légions romaines. En effet, Dordives était situé sur la voie romaine qui reliait Agendicum (Sens) à Orléans. Cette voie est encore aujourd'hui appelée "chemin de César" ou "Haut-Chemin". Son tracé en est si rectiligne que la légende assure qu'il fut dessiné par des fées. A l'ouest de Dordives, cette voie enjambe le Loing grâce au "pont de César", l'un des quatre ouvrages que l'empereur fit bâtir sur le Loing.

Dom Morin, abbé de Ferrières et historien du XVIle siècle écrit : "Quatre arches principales de ce pont, à ce que tiennent ceux du pays, ont été renversées sens dessus dessous par les fées, et ils montrent encore en la prairie au côté du pont un grand cercle où l'herbe ne vient jamais, tandis qu'au milieu et aux environs elle y est bien touffue. Et tiennent les habitants de ce lieu par tradition de père en fils, que c'est le lieu où les fées s'assemblaient pour danser les nuits. Ce qui est plus remarquable en ce pont, c'est qu'il est tiré en ligne droite, pour parfaire une rue parfaitement droite, qui prend de Sens à Orléans, et disent ceux du pays que les fées dressèrent ce chemin en une nuit ayant coupé une haute montagne ( ... )".

En fait de fées, ce sont les paysans du lieu qui, en 1572, démolirent ce pont pour empêcher le passage des gens de guerre.

Les Clément du Mez

A l'est de Dordives, le chemin de César longe le Betz et le château de Mez-le-Maréchal. A l'origine, ce château-fort était un camp romain. Celui-ci fut fortifié par la suite, ce qui explique la situation de cette forteresse dans un affaissement et non sur un promontoire comme la plupart des châteaux-forts.

Les premiers seigneurs du Mez appartenaient à la famille Clément, dont quatre membres furent maréchaux de France et jouèrent un rôle considérable à la cour aux XlIe et XIlle siècles.

Selon toute vraisemblance, ils descendaient des Comtes du Gâtinais. Le premier fut Robert de Château-Landon, ou Robert 1er Clément, qui partit en croisade sous la bannière de Godefroy de Bouillon. Il mourut en 1100. Son fils, Robert II, épousa Mahaut du Tourneau et eut trois enfants: Robert III, Garmont et Aubry. Garmont était abbé de Pontigny. Il fut élevé au titre d'Evêque d'Auxerre eu égard aux mérites de son frère Robert. La décision provoqua quelques remous et Garmont s'en fut à Rome plaider sa cause auprès du souverain pontife. Mais c'est là qu'il périt, victime de la peste, tandis qu'Hugues de Noyers le remplaçait à la tête de l'évêché.

Son frère Aubry suivit l'exemple de son grand-père et prit la croix en 1147 lors du prêche de Saint Bernard venu exhorter les fidèles du haut de la colline de Vézelay. Avant son départ, il vendit à l'abbaye de Ferrières plusieurs dépendances de sa seigneurie du Mez dont deux moulins sur la rivière du Betz. Il stipula que s'il venait à mourir enTerre Sainte, quelques-unes de ses vignes reviendraient aux religieux. Parti avec son frère Robert, il décéda à Constantinople en janvier 1148. Robert, de retour en France l'année suivante hérita du domaine du Mez et se dépêcha d'intenter un procès à l'abbaye de Ferrières, contestant la vente engagée par son frère et qu'il n'avait pas ratifiée.

Au bout de plusieurs années, Robert III finit par se lasser et abandonna les chicanes, d'où il sortait perdant. Quelques années plus tard, le roi Louis VII le jeune le choisit comme gouverneur de son fils, Philippe Auguste. A la mort de Louis VII, Robert Clément fut le véritable régent du royaume, exerçant une influence considérable sur le jeune souverain Philippe Auguste qui, en 1180 le nomma Conseiller et Ministre d'Etat. Mais en 1181, il mourut prématurément, laissant six enfants.

Les quatre maréchaux

Philippe Auguste éleva l'aîné, Albéric, au titre de Maréchal. Albéric Clément, seigneur du Mez, fut le premier Maréchal de France. Lorsque le souverain partit en Terre sainte, Albéric l'accompagna et se distingua par son courage au siège d'Acre. Mais ayant réussi à pénétrer dans la ville, le maréchal succomba sous le nombre des ennemis. Au moment de sa mort, il était un jeune soldat de l'âge du souverain.

Son frère, Henri Clément, lui succéda dans la charge de Maréchal. De petite taille, on le surnomma "le petit Maréchal". Il avait hérité de la seigneurie du Mez au décès de son frère. Il devint baron d'Argentan, baronnie normande que Philippe Auguste lui octroya pour le féliciter de ses succès militaires. En effet, il se distingua à la bataille de Bouvines en 1214 et combattit les Anglais en Poitou, la même année. Ce fut lors de cette guerre qu'il trouva la mort. Un vitrail de la cathédrale de Chartres le représente recevant l'oriflamme des mains de Saint-Denis.

Son fils aîné, Jean, hérita de la charge de Maréchal à l'âge de dix sept ans. Il partit pour la croisade en 1249 avec Saint-Louis. Et c'est le petit-fils de Jean Clément, Henri deuxième du nom qui fut en 1260, le quatrième et dernier maréchal du Mez.

Henri, "le petit Maréchal" fit bâtir l'actuel château-fort à l'emplacement d'une précédente construction qu'il jugeait sans doute trop vétuste. A cause de cette charge de Maréchal que les seigneurs du Mez se transmettaient de père en fils, le château fut toujours appelé "Mez-le-Maréchal" au lieu de "Mez-en-Gâtinais".

Le château de Mez-Ie-Maréchal

Le château de Mez-Ie-Maréchal est l'une des forteresses médiévales bâties à l'époque où chacun devait assurer sa défense par ses propres moyens. Sa silhouette massive semble sortie tout droit du Moyen Age et on n'a aucune peine à imaginer le seigneur du Mez partant en croisade.

C'est le petit maréchal, Henri Clément qui, au début du Xllle siècle, fit bâtir l'actuel château-fort. Une note du XVlle siècle donne une description précise de l'imposante construction :

" Le bastiment est un vieil chasteau d'environ trente thoises en carré (la toise valait environ 2 mètres), clos de murailles de six à sept thoises de hauteur et d'une thoise de large, flanqué de quatre tours d'environ trois thoises de diamètre, pont-levis (...). Au milieu de la cour est un vieil donjon fort hault et flanqué de quatre tours, desmoli avec quelques autres bastimens par le détenteur qui en a transporté les matériaux pour bastir proche de là. "

La forteresse a, aujourd'hui encore, à peu près le même aspect. A l'époque médiévale, de larges fossés alimentés par le Betz entouraient l'ensemble. Un donjon dominait le château du haut de ses 25 mètres. Il comportait trois étages mais fut arasé à 15 mètres. Les murailles et tours extérieures furent détruites à la hauteur des mâchicoulis.

En 1314, Mez-le-Maréchal passa dans le domaine royal. Philippe le Bel en fit l'acquisition et le donna à la reine Clémence de Hongrie qui vint quelquefois y résider. Parvenu au trône, Philippe VI en fit don à Jeanne de Bourgogne, sa femme. Le souverain s'y arrêta plusieurs fois avec sa cour et suivant la coutume de l'époque, il attribuait la dîme du pain et du vin dépensée lors de son séjour, à l'abbaye de Joye, près de Nemours.

Le château changea de multiples fois de propriétaire, certains furent illustres comme Isabeau de Bavière et encore Gaston de Foix, duc de Nemours. Il fut un lieu de résidence jusqu'au milieu du XVIlle siècle. Dès lors, en très mauvais état, englobé dans la seigneurie de Dordives, Mez-le-Maréchal devint une forteresse quelque peu abandonnée.

Le château de Thurelles

" A quelques portées de fusil de Dordives, au midi, se trouve Thurel, sur le bord de la route de Lyon, propriété importante, par les bois qui l'avoisinent et qui en dépendent et qui s'expédient sur Paris. (...) La rivière de Cléry, passe dans les prairies et les aunaies de Thurel pour se jeter dans le Loing, qui en cet endroit est encaissé et profond ". C'est ainsi que, vers 1630, l'historien gâtinais Dom Morin parle du château de Thurelles. Il s'agit d'un très ancien fief qui relevait de Ferrières. Au XVIle siècle, la famille Thiballier en était propriétaire.

François Thiballier, sieur de Thurelles, fut envoyé aux Indes par Colbert. Il avait pour ancêtre Claude Thiballier qui était le maître d'hôtel de Renée de France. Capitaine de galère en 1652, François Thiballier fut commandant de vaisseau en 1669 puis chef d'escadre à Rochefort en 1669. Enfin, le roi le choisit pour diriger une expédition aux Indes. Un récit très complet de cette expédition a été publié par mademoiselle Madeleine Fouché: "L'escadre groupée dans la rade de la Rochelle se composait de six vaisseaux de guerre, deux gros bateaux chargés du matériel et un bateau hôpital, en tout 9 vaisseaux, 2050 hommes dont mille soldats et un total de 318 canons." François Thiballier de Thurelles ne revint pas de cette expédition mouvementée. Il trouva la mort près du but, victime vers Ceylan d'une crise d'apoplexie. On l'enterra loin de son Gâtinais natal et son frère René hérita du fief de Thurelles.

L'ancien château de Thurelles fut détruit au XIXème siècle pour faire place à la demeure actuelle. Cette construction plus récente n'occupe pas l'endroit exact de l'ancienne bâtisse. En 1844, M. Moreau fit l'acquisition du domaine et rasa l'ancien château et ses bâtiments pour le remplacer par un superbe édifice.

Le sieur de Thurelles aux Indes

Voyage aux Indes de François Thiballier, sieur de Thurelles, 1670-1672: d'après le journal de

bord du " Navarre ", conservé aux Archives de la Marine, Madeleine Fouché a retracé l'épopée du gentilhomme de Dordives. L'épisode le plus fameux est sans doute sa rencontre avec les indigènes dans la baie de Saldanha :

"(...) Cependant, les contacts s'établissent peu à peu. C'est un sauvage, les épaules couvertes d'une peau de bête, qui présente à l'amiral deux œufs d'autruche, sans dire un mot. On lui donne du vin et du tabac; puis, bientôt, d'autres troquent autruches, tortues, moutons contre pain, eau-de-vie et tabac. "
Le journal de Thiballier donne quelques détails sur ces sauvages: " Les indigènes mangent de la viande de bœuf tout comme ils la rencontrent... quand ils la font cuire, ils la mangent à mesure qu'elle s'échauffe, ils prennent les boyaux et, sans les nettoyer; se les entrelacent autour du col, des jambes et des bras où ils les laissent deux ou trois jours et quand ils sont comme secs, ils les mangent... Ils n'ont pour tout vêtement qu'une peau de mouton, de lion ou de tigre. "

Le chemin de fer

En 1859, le chemin de fer s'installait dans la région. M. Moreau fit alors appel à un avocat afin de défendre les droits de son domaine menacé. Si l'action de l'homme de loi n'empêcha pas le passage du chemin de fer, elle nous fournit toutefois un portrait de la propriété au siècle dernier :

" (...) la terre est traversée sur toute sa longueur (plus de six kilomètres) par la route impériale de Paris à Lyon qui, plantée de grands peupliers appartenant presqu'en totalité à M. Moreau, forme devant sa propriété une magnifique avenue. (...) Le château est placé dans un charmant enclos de trente arpents, dessiné et planté à l'anglaise (...). Des bassins d'eau vive et poissonneuses prises dans la Cléry elles retombent par une pente naturelle traversent et entourent de toutes parts cet enclos fermé à son extrémité par la rivière elle-même (...)".

Avant l'arrivée de la ligne du Bourbonnais, le château de Thurelles jouissait d'une vue remarquable. Ce fut là le point le plus sensible des revendications du propriétaire :

"Mais c'est surtout par la suppression d'une vue dont l'aspect est aujourd'hui si bien ménagé et si agréablement étendu que M. Moreau va éprouver un dommage de tous les instants et bien autrement sensible. A quoi lui servait donc d'avoir payé fort cher les moyens d'étendre cette vue ! D'avoir, dans ce but abattu ses beaux arbres et ses bois taillis avant l'âge ? A quoi bon tant de soins et tant de frais pour dégager l'horizon devant lui ? S'il se voit replongé dans une impasse fermée par une sorte de mur de sept à huit pieds de haut à une distance de 200 mètres de son habitation ! Des jardins de son château une perspective variée par de jeunes bois et de vertes prairies se prolonge au-delà des bâtiments du moulin de la Goulette jusqu'aux coteaux qui couronnent le canal, elle pénètre même par échappées sur le cours de la rivière du Loing et bientôt elle aurait pu s'étendre par quelques suppressions d'arbres en face, jusqu'au canal lui-même, (...) et a gauche, jusqu'au bourg si pittoresque de Nargis. Tous ces riants aspects vont lui être ravis...(...) à grand'peine pourra-t-il apercevoir les toitures du moulin de la Goulette que, sans cet obstacle il découvre aujourd'hui de la base au sommet. Et la Compagnie ne donne aucune valeur à cette privation ! ".

Que dirait aujourd'hui M. Moreau s'il revenait et constatait que la route impériale est devenue la Nationale 7, et que son château, dissimulé par un épais rideau d'arbres, n'est même pas visible de la route ?

Liliane Violas


Sources: Dom Morin: Histoire du Gâtinais; M. l'abbé Verdier, M. Gaston Leloup et Mlle Madeleine Fouché: Bulletins de la Société d'Emulation de Montargis ; M. H. Stein "Le Mez-Ie-Marechal". Documents de la Bibliothèque municipale de Montargis.
Tous mes remerciements à Mme Gault et M. Greslin et au personnel de la Bibliothèque de Montargis pour leur aide.


haut de pageRetour epona2.gif (1970 octets)