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Histoire d'il y a belle lurette...

Ferrières-en-Gâtinais

par Liliane Violas
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Cet article est extrait de l'
Eclaireur du Gâtinais n° 2802 du 15 juillet 1999

images de Ferrières


Ferrières, berceau du christianisme

L'architecture médiévale de Ferrières témoigne aujourd'hui encore de son riche passé historique. Ce village peut en effet s'enorgueillir d'avoir été le lieu originel de la chrétienté en Gâtinais.

Comme celle de nombreux hauts lieux historiques, l'histoire de la glorieuse abbaye fait la part belle a la légende. A propos de ses origines, le merveilleux et l'authentique s'enchevêtrent. S'il est impossible de démêler I'écheveau on peut toutefois en goûter l'enchantement.

Le miracle de Bethléem

A l'aube, du premier millénaire, Ferrières n'était qu'un hameau au bord de la Cléry, bâti autour d'une grotte voisine d'une source ferrugineuse. A quelques centaines de mètres se trouvait un alignement de roches, monument mégalithique prouvant l'ancienneté cultuelle du lieu. Ces pierres levées se dressaient encore en 1960, le long du chemin des Roches. Elles étaient au nombre de 14, dont certaines mesuraient plus de deux mètres de hauteur. Le monument fut détruit il y a une quarantaine d'années pour élargir la route. C'était le seul alignement mégalithique connu du sud de l'Ile de France !

Ferrières tire son nom des anciens ferriers exploités dans la région et dont on a retrouvé les fours en forêt. Le minerai superficiel du sous-sol était extrait et travaillé depuis la plus Haute Antiquité.

Avant la christianisation de la région, les forgerons vénéraient vraisemblablement des divinités druidiques. La tradition rapporte que Saint Savinien et Saint Potentien, évêques de Sens, vinrent évangéliser ces maîtres du feu. C'est là, dans leur grotte, que la nuit de Noël apparurent la Vierge et l'enfant Jésus. Loup Servet célèbre abbé du XIII ème siècle rapporta ce qui s'était passé:

"Le jour solennel étant venu auquel Nostre Seigneur s'étoit revêtu de notre mortelle nature et, comme lesdits saints vaquoient en veilles et oraisons pendant la nuit paisible, voilà que tout soudain la chapelle où lis étaient fut toute remplie d'une lumière inaccoutumée et environnée du choeur des Anges. Et là fut vu, entre les bras de la sainte Vierge, l'enfant Jésus en la même forme qu'il étoit venu au monde mais avec une bien plus grande et vénérable majesté. Potentien, le plus âgé s'écria : c'est vraiment ici une autre Bethléem ".

Une chapelle fut aussitôt édifiée en l'honneur de la Vierge, Ainsi fut fondée à Ferrières Notre-Dame de Bethléem. Le christianisme commença à se répandre dans le Gâtinais. Plusieurs chrétiens virent s'établir autour de la chapelle. Ils bâtirent des loges et s'y retirèrent pour former une communauté. C'était là une ébauche de vie monastique. Hélas, le 26 décembre 461, les Huns conduits par le redoutable Attila, entrèrent dans Ferrières : " ils trouvèrent ces bons pères qui vivaient en solitude jusqu'au nombre de 366 lesquels s'étaient tous retirés dans l'église de Béthléem. Ils priaient Dieu de délivrer la Gaule de ce torrent d'infidèles qui ravageaient, brûlaient et ruinaient tous les Iieux par où ils passaient. Les barbares (...) se ruèrent sur ces Saints hommes et les massacrèrent inhumainement sans en épargner aucun. De plus, ils brûlèrent les maisons de la ville et l'église de Béthléem". (Jean VIII, pape de 872 à 882).

On devait retrouver les traces de ce incendie. En 1896, lors de travaux effectués dans la chapelle, les ouvriers furent amenés à creuser profondément le sol de l'édifice. On découvrit aIors, un peu au-dessus du niveau de la rivière, un sol en terre battue recouvert d'ossements et de débris de charpente calcinés. A Ferrières, avait bien eu lieu un antique Oradour-sur-Glane.

Clovis et Pépin le Bref

Peu après la tragédie, Notre-Dame de Bethléem fut réédifiée. La légende dit alors que Clovis, païen, venait fréquemment chasser à Ferrières. Clothilde, quant à elle fort pieuse s'y rendait pour prier la Vierge Marie. C'est là que Clovis aurait fait sa connaissance. Sa conversion serait également liée à l'histoire de Ferrières : Clovis et Clothilde avaient déjà perdu un fils aussi, lorsque le second, Clodomir, tomba gravement malade, la reine Clothilde galopa jusqu'à

Notre-Dame de Béthléem pour implorer la Vierge de sauver son fils. Clodomir guérit et Clovis, gagné par la foi, se convertit aussitôt au christianisme, édifiant pendant qu'il y était l'église abbatiale Saint Pierre et Paul …

Cette belle histoire est née dans l'imagination d'un moine du XlVe siècle, mais elle participe à la merveilleuse mythologie de la fondation de l'abbaye.

Une fresque, visible jusqu a la Révolution, représentait Clovis sur le tympan du grand portail de l'église abbatiale. On pouvait y lire l'inscription : "Ici est le portrait de Clovis, premier roi chrétien en France". En 1793, la peinture fut recouverte de l'inscription "Temple de la Raison".

En réalité, l'abbaye fut semble-t-il fondée vers l'an 620, sous le règne du bon roi Dagobert. C'est Vandelbert, moine poitevin, qui créa le couvent Saint-Pierre et Paul. Outre Ferrières, celui-ci établit également l'abbaye de Faremoutiers dans la Brie, Les deux abbayes furent longtemps très liées obéissant toutes deux à là règle bénédictine,

A cette époque, saint Amand, moine de Maestricht, vint à Ferrières où une église paroissiale lui fut dédiée, répondant aux besoins de la population croissante. En effet, sous les derniers Mérovingiens, le village connaissait un essor économique important. L'industrie du fer battait son plein : Ferrières était devenue la ville des forgerons. La place des Forges témoigne aujourd'hui de cette activité.

Pépin le Bref fut, comme Clovis, associé à la mythologie de Ferrières. On dit qu'il y tenait sa cour, de 752 à 768. On raconte même qu'il y fut sacré roi en 754.

La légende ne fit que précéder la réalité car Ferrières fut bel et bien une abbaye royale et même, pourrait-on dire, impériale. Mais il fallut attendre le règne de Charlemagne, souverain bien-aimé des Francs.

Pépin et le lion.

Pépin le Bref était un coriace. A l'occasion d'une fête qu'il donnait à Ferrières, un lion et un taureau combattaient dans les arènes. "Qui de vous oserait les séparer ? demanda-t-il aux courtisans assemblés."

Comme les volontaires ne se bousculaient pas, il descendit lui-même dans l'arène, poignarda le taureau et trancha la tête du lion d'un coup de sabre. Il s'adressa ensuite au peuple en lui disant: "Ne vous semble-t-il pas que je suis digne de vous commander ?". Personne n'eut l'idée de le contrarier…

Ferrières, "la Nouvelle Athènes"

 Malgré ses exploits dans les arènes de Ferrières, Pépin le Bref ne devint pas le chef de file de la dynastie de la Pippinides. Ce fut son fils Carolus, l'illustre Charlemagne qui donna son nom à la lignée des Carolingiens.

Sous le règne de l'empereur, l'abbaye de Ferrières devait connaître le commencement de son apogée.

Pour bien saisir l'éclat atteint par Ferrières au VIlle siècle, il faut se replonger dans le contexte de historique de l'époque : après les troubles et les violences qui marquèrent l'époque mérovingienne, Charlemagne rétablit l'ordre, développa le christianisme et ressuscita les lettres.

Le programme scolaire fut la pierre angulaire du système carolingien. A Aix-la-Chapelle, où résidait l'empereur, l'académie palatine accueillait des lettrés venus de toute de l'Europe.

C'est ainsi qu'Alcuin, moine d'origine anglaise, reçut de Charlemagne l'abbaye de Ferrières en l'an 793. Alcuin était l'un des proche du souverain qu'il appelait "mon ami" et l'un des grands de son temps. Il fut également abbé de Saint Loup de Troyes. A Ferrières, il établit une école monastique dont le renom s'étendit en Europe et fut tel qu'on la surnomma "la Nouvelle Athènes".

De nombreux jeunes vinrent étudier à l'école de théologie fondée par Alcuin. De cette institution sortirent les intellectuels de l'époque : Saint Adon, qui devint archevêque de Vienne et écrivit des livres de sciences humaines et plusieurs abbés devenus des maîtres, fondateurs d'abbayes.

A partir d'Alcuin débuta à Ferrières la période des grands abbés. Sigulfe, disciple d'Alcuin lui succéda à la tête l'abbaye et poursuivit son oeuvre d'instruction. Ferrières devint alors la capitale des lettres mais aussi de l'astronomie sous Aldabert le mage qui fut abbé jusqu'en 821. Sigulfe et Aldabert étaient tous deux d'anciens élèves d'Alcuin, maîtres également de l'école palatine.

Sous Saint Aldric fut élevée la basilique

C'est à cette époque que fut édifiée la basilique carolingienne sur le plan de laquelle s'élève l'église actuelle. La particularité de l'édifice est liée à sa rotonde octogonale construite sur le modèle de celle d'Aix-la-Chapelle.

L'existence de cette rotonde est une preuve supplémentaire des liens étroits qui existaient alors entre l'abbé de Ferrières et la cour de Charlemagne.

Au décès de l'empereur en 814, c'est Louis le Pieux, dit encore Louis le Débonnaire, qui lui succéda. Pour lors, le préfet de l'Ecole palatine à Aix-la-Chapelle était Aldric, disciple d'Alcuin. En 821, Louis le Débonnaire. le nomma abbé de Ferrières.

Aldric abandonna alors ses biens et son pays pour venir s'installer à Ferrières d'ou il veilla, salon les ordres royaux, à ce que la règle de Saint Benoît fut observée dans tous les monastères.

Aldric était un bâtisseur : c'est sous son abbatiat que fut bâtie une retenue d'eau sur la Clairis qui ferma le "grand étang de Ferrières" duquel les moines retiraient le poisson qui constituait l'essentiel de leur nourriture.

A cette époque Louis le débonnaire poursuivit les donations de Charlemagne envers l'abbaye. Il lui concéda en effet le petit prieuré de Ponthieu, près du Touquet. Cette donation fut confirmée par une charte de Charles le Chauve. L'acte n'a rien en soi de particulier si ce n'est que cette charte, document datant de l'an 841, est conservée aujourd'hui encore aux Archives départementales du Loiret.

En raison de ses venus et de sa grande sagesse, Aldric fut nommé archevêque de Sens par Louis le Débonnaire le 6 juin 829. Asa mort, il fut inhumé à Ferrières, dans une chapelle attenante à la basilique.

Les reliques de Saint Aldric malmenées au XVle siècle durant les guerres de religion furent placées en 1616 dans une châsse spéciale. On lui vouait un culte rendu le 10 juin et il était invoqué pour la guérison des fièvres. Une verrière de la basilique lui est dédiée.

Mais l'abbaye de Ferrières allait encore étendre sa renommée sous la conduite du plus grand de ses abbés : le fameux Loup Servat.

L'église abbatiale Saint Pierre

L'ensemble du monument date du XlIe et du début du XIIIe. Nous reviendrons dent les prochains épisodes sur ses parties plus récentes. Cependant, l'église actuelle conserve certains fragments de la basilique carolingienne.

La base du grand clocher, ce clocher de pierre mesure environ quarante mètres de hauteur. Au niveau de ses premières assises se voient les restes d'une tour préromane avec ses meurtrières. On y observe également des oculi, fenêtres rondes aujourd'hui murées.

Le second vestige du IXe siècle se trouve à l'intérieur de l'église. Il s'agit des colonnes engagées dans la muraille côté nord (à gauche en entrant dans l'église). Ces colonnes séparaient là nef principale de la fief nord qui fut détruite par la chute du clocher de plomb en 1739.

De l'époque carolingienne subsiste aussi l'arc outrepassé, c'est à dire en fer à cheval qui surmonte le passage menant à la sacristie.

Mais si la coupole n'est que du Xlle siècle, elle est identique à celle, carolingienne, bâtie sous Charlemagne. Cette construction pratiquement unique en France mérite l'attention des amateurs de vieilles pierres.

 L'illustre abbé Loup de Ferrières

En 840, c'est Loup Servat, élève d'Aldric, qui devint abbé de Ferrières. Ce savant est l'un des personnages les plus éminents qui marquèrent l'histoire de Ferrières. Théologien, enseignant passionné mais aussi copiste, Loup Servat était un érudit. Cent trente-quatre lettres de Loup de Ferrières ont été éditées et constituent une très importante source de renseignements.

Né en 805 à Ferrières, il resta à l'école de l'abbaye jusqu'à vingt-cinq ans, âge auquel Aldric l'envoya en Allemagne étudier la théologie. A Fulda, Loup fit la connaissance de Rhaban-Maur et Eginhard, savants de grand renom. Tout en étudiant, il donna des cours de lettres et acquit là-bas une grande célébrité. De retour en France, il fut nommé précepteur du fils de Louis le Débonnaire, le futur Charles le Chauve. Cette mission rendit Loup Servat très proche du souverain, auprès de qui il représenta toujours une autorité. Il se permettait d'écrire à Charles le Chauve en lui donnant des conseils: "Parvenu à l'âge d'homme, défaites-vous des puérilités passées..." La cour le nomma abbé de Ferrières et le monastère devint alors un des phares de la science et de la civilisation européennes.

Loup Servat recopia lui-même Cicéron, Tite-Live, les "Commentaires" de César et créa aussi une école de copistes. C'est ainsi qu'au IXe siècle, les moines de Ferrières s'en allaient jusqu'à Rome, à pied, chercher des textes anciens commandés par Loup Servat. Les voyages duraient de longs mois, les chemins étaient infestés de brigands. Mais les religieux trouvaient le courage nécessaire dans la soif de connaissance que leur insufflait l'abbé. Jusqu'à sa mort, en 862, Loup Servat ne cessa de rechercher des manuscrits. Cet homme remarquable fut le familier des rois, mais aussi du pape. Il fut en relation étroite avec tous les savants de l'époque. Adon, auteur du "Martyrologe romain,' fut son élève. Sous Charlemagne, Alcuin avait donné un éclat exceptionnel aux textes religieux. Loup Servait étendit cet éclat à toute la littérature.

Soixante-douze moines vivaient alors à l'abbaye où l'abbé avait d'autre part créé un atelier d'orfèvrerie. En 852, Loup de Ferrières fit recouvrir l'abbatiale de larges feuilles de plomb. Le métal venait d'Angleterre, il était envoyé par Edilufe, roi de Wessex qui en possédait une mine abondante. Ce prince était le gendre de Charles le Chauve. Le plomb fut amené à Ferrières par bateaux, sur le Loing. Cette toiture résista six siècles.

Le livre au Moyen Age

Au temps de Loup de Ferrières, le livre était une denrée rare. Le système carolingien se basait sur le développement du savoir, mais seul le clergé savait lire. Afin de transmettre l'écrit, les moines avaient donc mis au point des ateliers de copistes. Cette besogne s'harmonisait fort bien avec la règle de saint Benoît qui préconise plusieurs heures d'études par jour. Mais emprunter des ouvrages n'était pas chose aisée : la lenteur des déplacements, l'insécurité des voyages rendaient la tâche héroïque. Pourtant, les lettrés carolingiens accomplirent une oeuvre immense et sauvèrent une part importante de la culture antique grâce au travail des copistes. La plupart des textes antiques parvenus jusqu'à nous l'ont été grâce aux Carolingiens. Certains de ces manuscrits sont de véritables oeuvres d'art, ornés et enluminés.

Le sacre de deux rois

A la fin du IXe siècle, Ferrières avait atteint son apogée. La renommée de l'abbaye était telle que Louis III et Carloman, petits-fils de Charles le Chauve, choisirent Ferrières pour s'y faire sacrer.

Les deux princes naquirent du mariage de Louis le Bègue avec une ancienne religieuse, Ansgarde. Or cette union ne plaisait pas à Charles le Chauve qui contraignit Louis le Bègue à se séparer d'Ansgarde. Louis III et Carloman, eu égard à leur naissance, étaient donc mal considérés par les seigneurs et les abbés. Toutefois, soutenus par Hugues l'Abbé, ils furent sacrés par l'archevêque de Sens, Anségise, en septembre 879.

Lors de son couronnement, Louis III était âgé de dix-sept ans. Son frère Carloman n'avait alors que treize ou quatorze ans. Malgré leur jeunesse, ils se partagèrent le royaume et firent de leur mieux pour imposer leur autorité en ces temps de troubles. En effet, les Normands attaquaient le pays de toutes parts et les plus puissants seigneurs en profitaient pour se rendre indépendants. Toutefois, Louis III commença brillamment son règne en se rendant vainqueur des Normands en 881 près d'Abbeville. Cette victoire inspira un chant populaire, "la chanson du roi Louis". Le règne des deux souverains fut de courte durée : Louis III tomba malade et mourut le 5 août 882, à Tours. Quant à Carloman, un accident de chasse lui fut fatal le 12 décembre 884. Ils furent tous deux inhumés dans l'église abbatiale de Ferrières. D'après l'abbé Jarossay, auteur d'un livre sur Ferrières, leur tombeau se situait au milieu du bras gauche du transept. Il fut saccagé lors de la guerre de Cent ans.

Décadence de l'abbaye

Les invasions normandes épargnèrent l'abbaye de Ferrières. Ce furent les Hongrois qui, en 937, dévastèrent toute la paroisse. Depuis Sens jusqu'à l'ouest de la région, ces envahisseurs ravagèrent le Gâtinais. A la faveur de ces destructions, les comtes de la région se taillèrent un petit empire. Le comte du Gâtinais, aidé par celui de Sens, s'appropria toutes les terres de l'abbaye situées au nord. Puis vers 960, c'est le comte de Sens, Renard, qui attaqua encore Ferrières, s'emparant des terres de l'abbaye situées à l'est. Ainsi, la ville d'Ouanne devint Château-Renard,

Tous ces petits seigneurs établirent ainsi leur autorité dans la région. Profitant de l'affaiblissement de l'abbaye de Ferrières, ils s'imposèrent dans leurs fiefs. En 997, Abbon, abbé de St-Benoît, écrivit au pape Grégoire V pour lui signaler les agissements du comte de Château-Landon qui ravageait les possessions de l'abbaye de Fleury. Dans sa lettre, il évoquait Ferrières : "Au reste, je demande à votre Sainteté que vous vous souveniez des choses que le comte Foulques vous a fait savoir par mon intermédiaire : a savoir qu'il préfère restaurer des vieux monastères détruits plutôt que d'en fonder entièrement des nouveaux. Et cela fait allusion, bien qu'il soit devenu inutile et tout à fait dépeuplé, au monastère St-Pierre de Ferrières, voisin de nous, rendu très remarquable dans les temps anciens par la générosité des rois, et dépendance de l'Eglise romaine, mais maintenant tellement rongé par ses vassaux qu'à peine il resterait quelque chose pour faire vivre un très petit nombre de frères."

Un vieux monastère détruit, voilà ce qu'était devenue Ferrières la Magnifique, à l'aube de l'an mille...

Louis de Blanchefort, bienfaiteur de l'abbaye de Ferrières

Sous les derniers Carolingiens, les comtes de Sens se révélèrent ambitieux et peu scrupuleux. Fromont ler, Renard le Viel, Fromont Il et Renard le Mauvais n'hésitaient pas à piller les abbayes afin d'enrichir leur domaine, L'abbaye de Ferrières, déjà mise à mal par les invasions hongroises, fut finalement ruinée par ces seigneurs. Heureusement en 1068, le Gâtinais passa dans le domaine royal : Philippe 1er, quatrième roi capétien, échangea la région au comte du Gâtinais en gage de sa neutralité. Bénéficiant de la protection du roi, l'abbaye de Ferrières était désormais à l'abri des châtelains détrousseurs de monastères...

Le 18 mars 1070, Philippe 1er abolit plusieurs charges injustes imposées à l'abbaye par ses prédécesseurs. Ensuite ce furent les papes successifs qui confirmèrent les possessions du monastère en le plaçant sous la protection du Saint-Siège. L'abbaye commença alors à renaître de ses cendres.

L'abbé Amaury entreprit en 1137 la reconstruction de basilique Saint-Pierre qui fut consacrée en 1163 par le pape Alexandre III. Chassé de Rome par les révoltes, ce dernier résidait alors à Sens. La cérémonie fut grandiose : selon Dom Morin "La foule des pèlerins fut si grande que le nombre de mangeants et de beuvants se monta à plus de 20000"

Les papes furent nombreux à se rendre à l'abbaye de Ferrières : Calixte Il en 1119, y fut accueilli par le roi Louis VI le Gros ; Alexandre III en 1163, puis en 1242 Innocent IV. Ces saints visiteurs empruntaient la porte papale pour pénétrer dans l'église abbatiale. Cette porte, murée car personne d'autre que le souverain pontife ne devait la franchir, était ouverte pour la visite. On replaçait les pierres aussitôt après le passage du Saint-Père afin que la tradition, universelle à l'époque fût respectée.

Cette porte papale se remarque aujourd'hui sur le pignon de la façade à gauche du grand portail. Elle donnait sur un bas-côté qui fut écrasé en 1739 par la chute du clocher de plomb central.

Les malheurs de la guerre de Cent Ans

L'abbaye de Ferrières ne retrouva pas le rayonnement intellectuel qu'elle avait exercé sous les Carolingiens, cependant, elle connut jusqu'à la guerre de Cent Ans une période de prospérité.

Les moines, redevenus nombreux, essartaient, défrichaient et cultivaient la terre. Ils bâtissaient des fermes, des granges et des moulins. Les paysans se regroupaient autour de ces prieurés formant ainsi des hameaux. L'abbé Crespin écrit : "Au XIII siècle s'alignent autour de Ferrières comme un opulent chapelet, vingt paroisses, sept prieurés et trente et un fiefs, créations successives de l'abbaye. Ce sont les moines qui ont fait la richesse rurale de notre Gâtinais ".

Hélas, la guerre de Cent Ans vint mettre un terme à cette évolution. Ferrières eut tout d'abord à subir les assauts de Knowles, brigand anglais établi à Chantecoq qui dévasta la contrée avec ses soudards. L'abbaye fut pillée et incendiée. Devenue inhabitable elle fut désertée par les moines qui se réfugièrent à Paris. Les religieux revinrent ensuite à Ferrières où ils tentèrent de faire revivre le monastère.

Mais le roi d'Angleterre Henri V de Lancastre, reprit la ville en 1421. Les troupes anglaises s'installèrent alors à Ferrières et y tinrent garnison jusqu'en 1426. Puis les Anglais furent vaincus à Montargis. Les

Montargois décidèrent donc d'aller délivrer Ferrières. Sous la conduite du comte de la Marche, ils vinrent assiéger la ville avec huit cents chevaux et autant de soldats.

Les Anglais n'opposèrent pas de résistance. Ils acceptèrent de se rendre à condition de pouvoir partir. Mais en prenant la fuite, ils incendièrent la chapelle de Bethléem. Le feu se propagea jusqu'à la nef de l'église Saint-Pierre.

On rapporte que "la toiture entière fut brûlée. Le plomb qui la couvrait, fondu par la chaleur coulait à flots ardents sur les autres parties de l'édifice et dans les rues de la ville". Il ne resta que la façade, les murailles, la coupole et le clocher. Quant à la ville elle-même, elle fut en grande partie détruite. Les Anglais prirent la fuite par le champ Saint-Macé. Là, deux mille d'entre eux furent tués.

Renaissance sous Louis de Blanchefort

Louis de Blanchefort fut abbé de Ferrières de 1465 à 1505. Il était baron de la Neuville, filleul de Louis XI et surtout très riche. Il consacra toute sa vie à la reconstruction du monastère et des deux églises. Grâce à ses royales relations et à sa fortune, il put mener à bien son projet.

L'abbé fit appel à la charité des fidèles et reconstitua la confrérie de Notre-Dame de Bethléem. Avec les fonds ainsi recueillis, il fil tout d'abord rebâtir la chapelle de Bethléem vers 1480. C'est celle qui existe encore aujourd'hui. Il fit ensuite reconstruire l'église Saint-Pierre, qu'il enrichit de magnifiques vitraux. Ce sont les seuls que la région possède datant du XVe siècle.

C'est encore Louis de Blanchefort qui éleva le clocher en pierre taillée dominant toujours la basilique. Entre les deux églises, il existait un fort. Celui-ci étant devenu inutile l'abbé le fit abattre et utilisa ses pierres pour restaurer l'abbaye. Il fit également remettre en état les églises dépendant du monastère.

Louis de Blanchefort mourut à Ferrières en 1505. Très apprécié pour ses bienfaits envers l'abbaye mais aussi pour sa charité, on raconte qu'il mourut en la chapelle Notre-Dame de Bethléem. Il avait demandé à y être transporté, sentant sa fin proche.

Louis de Blanchefort et sainte-Apolline

Le tombeau de l'abbé de Blanchefort est situé derrière l'autel de l'église Saint-Pierre.

Ce monument de style Renaissance est l'oeuvre du sculpteur Jean Juste, de Tours. Ce tombeau a été plusieurs fois déménagé : placé tout d'abord devant l'autel, il fut très endommagé durant les guerres de religion. Les religieux le réinstallèrent dans le bras gauche du transept. Enfin, la municipalité le fit transporter au milieu du choeur, où il se trouve encore aujourd'hui.

Le monument endommagé par les guerres, le fut surtout par une pratique absurde. En effet, les pèlerins venaient à la Pentecôte prier sur ce mausolée qu'ils appelaient "le tombeau de Sainte-Apolline". Et comme chacun ne le sait pas, celle-ci est invoquée pour guérir les maux de dents.

Les fidèles emportaient donc des fragments de l'édifice qu'ils broyaient pour guérir leurs douleurs dentaires. Ainsi s'effrita le tombeau, servant de poudre dentifrice.

Le déclin de l'abbaye de Ferrières

Ferrières avait été pratiquement rasée par les Anglais lors de la guerre de Cent Ans. L'abbaye et les églises furent restaurées par Louis de Blanchefort. La ville, cependant, restait sans murailles. Ce n'est qu'en 1529 que François 1er donna aux habitants la permission de la fortifier. Les travaux furent achevés en 1552 sous Henri Il.

A l'abbaye, les abbés commendataires avaient succédé aux abbés réguliers : ils n'étaient plus élus par les moines, selon la règle de Saint Benoît, mais nommés par les rois. Le concordat de 1516 donnait au roi le droit de nommer les bénéficiaires des biens ecclésiastiques. Aussi, la foi n'était-elle plus une condition sine qua non pour accéder au titre d'abbé.

C'est ainsi qu'à Ferrières, le cardinal de Châtillon fut nommé responsable de l'abbaye. Odet de Coligny était aussi abbé de Saint-Benoît, de Fontaine-Jean et de Quincy. En 1550, il se convertit au Protestantisme et en 1564, se maria !

Sous son abbatiat, le couvent de Ferrières fut pillé par le prince de Condé et ses troupes. En 1568, les Huguenots envahirent la ville après une lutte acharnée qui dura neuf heures. Douze cents hommes d'infanterie dévastèrent la ville pendant trois jour et pillèrent toutes les richesses de l'abbaye. Dom Morin donne l'inventaire de ce qui fut dérobé : "( …) Un reliquaire de cristal fort exquis garni d'or donné par le roy Charles le Chauve en 851 dans lequel étaient des cheveux de la Sainte Vierge. La châsse de Saint Aldéric estimée à quarante mille francs qui en son fond était d'argent doré et toute couverte de riches pierres précieuses et de figures d'or massif(...) ".

En outre ils anéantirent le tombeau des rois Carloman et Louis III déjà très endommagé durant la guerre de Cent Ans.

Odet de Coligny n'intervint que le troisième jour, priant les troupes de se retirer, mais il ne fit aucun geste pour empêcher le pillage. L'année suivante, des Huguenots, commandés par le chevalier du Boulay, qu'on appelait le "larron du Gâtinais", envahirent à nouveau Ferrières. Ils massacrèrent les villageois et se rendirent à l'abbaye. Là, lis torturèrent les sept moines qu'ils n'avaient pas pris la fuite afin de leur faire avouer où se cachait leur trésor.

Les religieux expliquèrent que le prince de Condé leur avait tout pris l'année précédente Les bandits voulurent alors obliger les moines à renier leur religion. Voyant leur refus, les Huguenots les assassinèrent et mirent feu à un coffre qui contenait une partie des titres de l'abbaye. Ils s'apprêtaient à fondre les cloches mais prirent la fuite en apprenant l'arrivée imminente des Bourguignons et du duc d'Orléans.

En partant, Boulay emporta la bibliothèque qui contenait des manuscrits de valeur de l'époque de Loup Servat. Cinq religieux échappèrent à la tuerie, cachés dans un puits. Un jeune garçon les ravitaillait à la dérobée en laissant tomber des grains de raisins dans le puits.

En 1581, c'est la peste qui décima la population. A l'extérieur de la ville, on avait dressé des tentes dans les champs afin d'y loger les malades contagieux. L'épidémie fut si violente que trois cents habitants périrent.

Enfin, le coup de grâce fut donné à la population en 1595, lors de l'attaque de la ville par Le Connétable. Celui-ci avait demandé aux habitants de l'héberger ainsi que ses troupes, pour la nuit. Les habitants refusèrent, se moquant d'eux. Les gens du Connétable décidèrent alors de se venger et pénétrèrent par ruse. Durant sept jours, ils pillèrent les maisons et vécurent aux dépens de la population.

Trop de malheurs accumulés firent que Ferrières se dépeupla. L'abbaye ne comptait plus qu'une dizaine de moines.

Dom Morin, grand prieur de l'abbaye

Le prieur Dom Etienne le Sourd avait fait son possible pour relever l'abbaye, c'est ensuite Dom Morin qui, de 1610 à 1628, fut grand prieur de Ferrières.

Dom Morin est resté célèbre par son " Histoire du Gâtinais, Sénonais et Hurepoix", source d'informations considérables sur la région.

Il fît bâtir, en 1619 les deux chapelles latérales de l'église de Bethléem, encouragea les pèlerinages à la chapelle et redonna vigueur à la confrérie de Notre Dame. Les fidèles furent nombreux à venir chaque année, à pied, de toutes les paroisses environnantes prier Notre-Dame. On y venait par temps de sécheresse et, disent les registres paroissiaux, les pèlerins repartaient souvent sous la pluie...

Le grand prieur avait fait élever un grand clocher de plomb à l'intersection de la nef et du transept. Il mesurait trente-huit mètres de hauteur et était couvert de feuilles de plomb. Sur ses angles s'élevaient huit statues du même métal, de 2,50 m de hauteur avec les armes de Louis XIII et du prince de Condé. Dom Morin disait de ce clocher qu'il faisait l'admiration de tous: "Ceux qui passent par Ferrières pour aller de Paris à Lyon s'arrêtent tout court pour considérer sa structure et y prennent grand plaisir".

Au décès de Dom Morin, André Frémyot fut nommé abbé de Ferrières. Il était le grand-oncle de Madame de Sévigné. Il introduisit des réformes dans l'abbaye et tenta d'imposer une plus grande fidélité à la règle de Saint-Benoît.

Les temps de la fin

En 1739, le grand clocher de plomb s'effondra, écrasant la petite nef qui ne fut jamais reconstruite. On rebâtit le clocher aussitôt. Mais il ne résista pas au fanatisme révolutionnaire.

A la fin du XVIlle siècle, il ne restait à Ferrières que neuf moines. Certains étaient devenus Jansénistes et les autres se tournaient vers la franc-maçonnerie. La Révolution marqua la fin de la grande abbaye. T Picard écrit : "En 1790, les voeux monastiques furent déclarés dissous, les c!oîtres ouverts et les moines rendus à la vie civile, avec faculté de continuer, s'il leur plaisait, la vie religieuse".

Les moines se séparèrent. Ceux qui étaient francs-maçons rentrèrent dans la vile civile.

Les bâtiments échappèrent à la destruction totale grâce aux habitants de Ferrières qui demandèrent à la Convention la conservation des églises et du couvent.

Cependant, en 1793, des révolutionnaires exaltés se rendirent à l'abbaye qu'ils saccagèrent, pillant les reliques, brisant les cloches et lacérant les manuscrits. L'église Saint-Pierre fut transformée en "temple de la raison" et il s'y tint les réunions du club populaire de la ville La chapelle de Bethléem servit de salle de danse, quant à l'église paroissiale Saint Eloy, elle fut convertie en fabrique de salpêtre. La chapelle Saint-Fiacre devint un magasin à fourrage.

La statue de la Vierge noire fut sauvée de la destruction par Marie Julien, qui l'emporta chez elle et la rendit plus tard au curé.

Enfin, l'abbaye fut vendue entièrement à la dame Duboutoir. Son fils, un jacobin, s'employa immédiatement à raser le clocher de plomb et fit don à la patrie du métal qui le couvrait, voulant qu'il "fut transformé en balles destinées aux Prussiens".

Ce n'est qu'en 1810 qu'il entreprit ensuite la démolition du palais abbatial, du grand cloître et des logis. Le saccage ne cessa qu'en 1830.

Désormais, toute vie monacale a quitté l'abbaye de Ferrières qui fut moins favorisée que son homologue de Saint-Benoît. Il est vrai que l'abbaye de Fleury bénéficia souvent de la protection d'Orléans, plus proche.

L'église de Saint-Amand et de Saint-Eloi

A l'origine, cette église fut dédiée a Saint-Amand. On raconte que celui-ci, archevêque de Bordeaux, rencontra en 432 un ermite de Bethléem qui était aveugle. Le saint lui donna sa bénédiction et le guérit.

Le champ où s'était produit le miracle fut aussitôt nommé "Champ de Saint-Amand", ainsi que la fontaine voisine près de laquelle on édifia un oratoire. L'ermite s'occupa de l'oratoire de Saint Amand sa vie durant. Puiis en l'an 686, les habitants firent bâtir une église paroissiale dédiée à Saint Amand. Le sanctuaire fut brûlé en 949 par Geoffroy, comte d'Anjou.

Les forgerons des environs de Ferrières réédifièrent alors une nouvelle église en 999. Cependant, ils exigèrent que celle-ci fut dédiée a leur saint patron, Saint-Eloy. Cette condition fit des remous parmi les habitants de Ferrières qui désiraient conserver le vocable initial de Saint-Amand. Mais les forgerons firent tant et si bien qu'ils obinretnt gain de cause et l'on rajouta le nom de Saint Eloy à celui de Saint Amand.

Cette église fut détruite en 1818 et ses fondations en 1854. Elle était demeurée église paroissiale jusqu'à la Révolution.

Liliane Violas


Sources historiques : "Histoire de Ferrières en Gâtinais d'après Dom Morin" par Tranquille Désire Picard; Bulletins de la SEM, articles de l'abbé Verdier et de René Lebert ; Notice historique par le Chanoine Crespin ; "Notre-Dame de Bethléem et les églises de Ferrières", guide du pèlerin et du visiteur.


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