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La ville de Montargis
(3 Octobre 1844)

 

par Victor Hugo
Ce texte est extrait
des notes de voyage de l'écrivain (édition de l'Imprimerie Nationale)

Vue du château de Montargis, sur un vitrail de l'église Sainte-Madeleine


Montargis m'est apparu, égayé par un jour de foire, attristé par un jour de pluie. Les chèvres, les bœufs, les vaches baissaient leur tête oblique liée par une corde et tirée par un bouvier; les paysans endimanchés, les paysannes juchées sur leur charrette, encombraient les rues et les places. Partout le bruit, le mouvement, le choc des enchères, les éclats de rire, partout les boutiques en plein vent, les étoffes déployées, les vaisselles étalées à terre, les passequilles et les bimbeloteries; partout aussi la boue, l'ondée et les parapluies ouverts... Un saltimbanque coiffé de chiendent cabriolait sur des chaises cassées; le bateleurs étaient en verve; la foule était en joie; mais tous les paillasses du monde ne valent pas un rayon de soleil...

La ville, entourée de verdure, baignée d'un côté par le Loing, de l'autre par le canal, est jolie. Il reste quelques tours de la vieille enceinte du XlIIe siècle, dont les bourgeois ont fait des terrasses et des tonnelles pour leurs jardinets. Çà et là, le canal, bordé de tanneries, rappelle Louviers et Amiens.

L'église qu'on nomme, je crois, Sainte-Marguerite (1), est un assez beau vaisseau du XVe siècle. L'abside va jusqu'au XVIe.

J'étais curieux de voir le château, ce magnifique château de Montargis, célèbre dans toute l'Europe, dont la grande Salle dépassait en longueur et en largeur la Salle des Pas-Perdus du Palais de Justice de Paris. Je suis monté sur la colline par un escalier entre deux maisons, j'ai franchi une haute porte-donjon du XIIe siècle, à archivolte romane, j'ai traversé plusieurs cours, et je suis arrivé ainsi jusqu'à une claire-voie de bois, peinte en gris, fermant une allée d'arbres bas et touffus. J'ai poussé la claire-voie et je suis entré dans l'allée. Au bout de l'allée, j'ai trouvé une maison, une grande maison triste et blanchâtre, tapissée de figuiers, composée d'un seul étage avec un pavillon à toit pointu et une terrasse d'où l'on voit la ville et la plaine; du reste solitaire, lézardée, délabrée, close, barricadée et déserte.

Le jardin, plein de hautes herbes, envahi par la ronce et l'ortie, avait, comme la maison, quelque chose de farouche et de sauvage. Je cherchais des yeux, à travers les branchages, les hautes tours, les mâchicoulis sculptés, les créneaux formidables du château de Montargis. Rien ne m'apparaissait. Enfin, à force de fureter dans les broussailles, j'ai découvert je ne sais quels tronçons informes, des pans de murs rongés de mousse. J'ai fait quelques pas dans la fougère mouillée et j'ai aperçu une brèche sous des buissons, le caveau circulaire, noir et voûté, d'une tour. La tour a été rasée. J'ai fait quelques pas encore et je me suis trouvé sur une vaste esplanade toute couverte de ciguë et de bouillon blanc. Le fossé dégradé borde cette esplanade dont le contour ondule et dessine vaguement au regard le plan géométrique d'un grand édifice; des renflements arrondis indiquent la place des tours. J'avais sous les yeux le château de Montargis.

Victor HUGO

(1) L'illustre voyageur se trompe: c'est Ste Marie-Madeleine.


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