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Le carnet de route de Roland PIGE
" Retraite 1940 - guerre 1939-1940 "

présenté par Frédéric Pige
(pour contacter l'auteur, cliquez ici)
Cet article est extrait du Bulletin de la Société d'Emulation N°112, février 2000


Roland PIGE, représentant multicartes en épicerie, fut mobilisé, comme beaucoup d’autres, lors de la seconde guerre mondiale. De cet événement, il nous a laissé un carnet de route retraçant la " Débâcle ", ponctué de nouvelles du Montargois glanées au gré des rencontres. Nous nous proposons ici de retracer brièvement ces heures tragiques à travers quelques passages.

Mobilisé en août 1939, il exerce tout d’abord la fonction de chauffeur du lieutenant commandant la compagnie de guet à Montargis. Du 31 janvier 1940 à la fin février, il se trouve en dépôt au 30è régiment d’artillerie d’Orléans. A partir de la fin février, il intègre la 10è compagnie de travailleurs militaires avec laquelle il vivra la " Débâcle ". Il se trouve alors à l’atelier de chargement de Salbris. C’est de là que débute son récit quotidien.


Samedi 15 juin : En arrivant à la Ferté-Imbault, nous apercevons de nombreuses autos (Seine, Seine-et-Oise et quelques unes du Loiret). La région Orléanaise commence à évacuer.

Dimanche 16 juin : Les avions ennemis [passent] au-dessus de nos têtes. Nous comptons neuf alertes. A la fin de la journée, on nous apprend que nous devons partir dans la nuit pour une destination inconnue. Dans la soirée, nous avons aperçu des cars évacuant les soldats du camp de Mignères.

Lundi 17 juin : Nous gagnons Romorantin, Villefranche, Chabris, Valençay, Faverolles, Montrésor, Beaulieu et arrêtons aux portes de Loches [où] nous nous installons sur la paille dans l’école des garçons.

Mardi 18 juin : Nous quittons Loches pour Châtellerault. Dans la soirée, nous arrêtons à trois kilomètres de Poitiers ; nous y verrons sans arrêt soldats en fuite, camions, tracteurs, cyclistes, piétons poussant des voitures d’enfants etc., etc..

Mercredi 19 juin : Ne pouvant dormir, je partirai le matin avec plusieurs camarades à Poitiers. Dans cette ville, je rencontre un employé de chemin de fer d’Orléans qui a évacué [le] vendredi 14 ses collègues de Bellegarde-Quiers ainsi qu’un train de réfugiés parisiens restés en souffrance en gare des Bordes. Nous déjeunons [près de la gare]. Nous y serons peu en sûreté car peu après une escadrille d’avions italiens nous mitraille. C’est le pêle-mêle, civils-militaires isolés, régiments fuyant en toute hâte. C’est le comble, l’ordre est de repartir sur Châtellerault. Seuls à retourner en ce sens, nous croisons de nombreux camions militaires fuyant l’approche de l’ennemi. Arrivé en cette ville, nous entendons sur la grand’place un poste de radio qui nous annonce la demande d’armistice du nouveau gouvernement. Nous allons cantonner dans une grange à Ozon.

Jeudi 20 juin : A peine couchés, l’ordre de partir dans la nuit nous parvient. Nous démarrons et distinguons dans la nuit les bords de la Vienne ainsi que les antiques maisons blanchâtres aux toits peu inclinés de tuiles rouges en demi-cercles. Enfin nous voilà arrivés à trois kilomètres de Bouresse au sud de Poitiers. Nous serons installés dans une ferme (Bazac-le-Château).

Samedi 22 juin : Nous sommes engagés parmi des troupes qui se replient. Nous traverserons Rouffec. Ensuite, c’est Angoulême, Montmoreau. Nous avons fait trop de chemin et sommes obligés de retourner sur nos pas pour aboutir [à] Charmant. C’est un petit pays au sommet d’un coteau couvert en partie de vigne composé d’une mairie-école, d’un café et quelques fermes. Nous y passerons la journée [suivante].

Dimanche 23 juin : Un de mes camarades apercevra le lieutenant Vaillant qui succéda pendant quelques temps au lieutenant Coquet à Montargis. Parmi les soldats qui se replient, plusieurs d’entre eux auront passé par Etampes et Loury dans le Loiret. Dans cette petite localité, de nombreux civils ont été victimes du bombardement. Jargeau et Châteauneuf ont beaucoup souffert.

Lundi 24 juin : Dès 3 h 30, c’est l’heure du réveil. Nous sommes transportés à la gare de Charmant en camion. Nous attendons pendant trois heures en gare. Toujours en quête de nouvelles, je trouve des militaires ayant passé à Ferrières le 12, puis à Montargis le 13. Ils venaient de Pont-sur-Yonne. D’après ce qu’ils ont vu, Ferrières ainsi que la ligne de Montargis à Fontenay aurait été sérieusement endommagés. Nous sommes embarqués dans un wagon à bestiaux. Nous passons à Montmoreau, Coutras, Libourne, Barsac. Sur ce parcours, nous admirons les jolis vignobles et apercevons la Garonne charriant ses eaux jaunâtres. Enfin c’est Bordeaux. Nous apprenons que des détachements allemands sont parvenus dans cette ville 4 heures avant notre arrivée. Nous sommes immédiatement dirigés sur Toulouse par Marmande, Agen. Nous traversons de superbes régions couvertes de vignes, primeurs et arbres fruitiers de toutes sortes. En différents endroits les villages sont dominés par la pointe de clochers en pierre dominés eux mêmes par de vieux châteaux forts.

Mardi 25 juin : A l’aube nous nous retrouvons à Montauban. Nous apercevons les faubourgs de Toulouse. Nous sommes arrêtés aux portes de cette ville et apprenons que l’armistice est signée avec l’Italie. De Toulouse nous partirons dans la direction de Pamiers. Ensuite, nous gagnerons le village de Verniolle puis Le Merviel.

Vendredi 28 juin : L’après-midi je me rends dans un hameau voisin où des troupes viennent d’y arriver. Parmi celles-ci se trouvent des soldats venant de l’Aisne. L’un d’eux a une carte d’un calendrier des postes de notre département sur lequel il a tracé son itinéraire. Il a passé par Pont-sur-Yonne, Egreville, Chevry, Ferrières, Montargis. Cette ville n’aurait pas souffert.

Dimanche 30 juin : L’après-midi on chuchote que nous serions dirigés vers Toulouse pour être démobilisé vers le 4 juillet. Fausse Joie !

Lundi 1er juillet : Journée d’attente. On apprends qu’un orléanais a reçu ce jour des nouvelles de cette ville. On lui signalerait que le pain y fait défaut.

Mardi 2 juillet : De bonne heure je pars avec quelques camarades et fait la rencontre en cours de route d’un Ferrièrois. Ferrières aurait été presque complètement évacué. Pas encore de nouvelles et le cafard nous gagne malgré les promesses de libération prochaine. Qui aurons nous le premier ? Nouvelles ou libération ? C’est le secret de demain. A la fin de la journée nous prenons connaissance d’un journal qui mentionne que de nombreux ponts sont coupés sur la Loire et qu’à Orléans la rue Royale a beaucoup souffert.

Vendredi 5 juillet : Après déjeuner je lierai conversation avec un soldat ayant passé dans le Loiret. Encerclé à Manchecourt dans une ferme (entre Pithiviers et Malesherbes), il a pu se dégager et gagner Gien le 16 juin au soir peu de temps avant que le pont saute. Il aurait vu cette ville en flammes. Dernières nouvelles : la démobilisation commencerait à partir du mardi 9 juillet.

Mardi 9 juillet : tous les travailleurs militaires de notre compagnie domiciliés en zone occupée doivent se présenter au bureau pour aller se faire démobiliser le lendemain.

Mercredi 10 juillet : Nous verrons nos camarades plus favorisés partir définitivement. Outre une nouvelle lettre adressée à Paucourt, j’écrirai par ce même courrier au maire de cette commune pour obtenir si possible des renseignements sur la famille et sur l’état de la maison que j’habitais.

Samedi 13 juillet : D’après une lettre reçue la veille à la compagnie, des Montargois réfugiés à Limoges et ayant passé à Gien le 15 juin auraient eu des difficultés à y traverser cette ville qui aurait été la proie des flammes.

Dimanche 14 juillet : On me signale que l’ordre d’évacuer Montargis serait parvenu le samedi matin 15 juin mais que la ville aurait été occupée dès midi. La ville n’aurait pas souffert ; par contre Amilly, la Commodité et Nogent auraient été en partie détruits. Sully-sur-Loire aurait été anéanti et il y aurait de nombreuses victimes à déplorer.

Mardi 16 juillet : Dès 5 h 30 nous serons éveillés. Nous prendrons le départ pour Coussa. Nous passerons par Ventenac, Malleon, Saint-Félix et Annont. Aussitôt arrivé, j’apprends qu’il s’y trouve de nombreux Montargois. Un seul vient de recevoir des nouvelles. C’est Cognois le coiffeur de la place de la République. Je fais sa connaissance presqu’aussitôt et il m’apprend que contrairement à ce qui m’avait été signalé le 14 juillet, Montargis n’aurait été occupé que le dimanche 16 juin au soir. Parmi les autres rencontres je signalerai Julienne de Cepoy, le maréchal de Chevry-sous-le-Bignon, un maréchal de la Chapelle-sur-Aveyron, Lempereur de Ferrières et un serrurier de Montargis. Quelques lettres commencent à arriver d’Orléans et Paris. Comme nouvelles de Montargis j’apprendrai que cette ville a peu souffert. Par contre le pont du Tivoli serait en parti détruit. La maison de Moses de la place de la République (Mme Raymond) aurait été retrouvé intacte. Par contre sa maison particulière de la rue des Bords de Loing aurait été pillée.

Vendredi 19 juillet : Je trouverai cinq lettres dont une du maire de Paucourt. On me signale la mort de M. Moreau directeur de l’école de Vésines tué dans le bombardement de Gien.

Vendredi 26 juillet : Des orléanais sont démobilisés.

Samedi 27 juillet : Le deuxième départ est prêt [mais] nos noms n’y figureront pas. Néanmoins les valises sont à peu près prêtes.

Dimanche 28 juillet : Dès le matin et dans l’espoir de partir j’irai à Foix, avec l’espoir de trouver quelques denrées, avec l’espoir d’apprendre la nouvelle du départ à mon tour. Déception ! On m’annonce au contraire que les départs sont suspendus.

Mardi 30 juillet : On nous prévient que nous devons nous tenir prêt le lendemain matin à 5 h 30 pour nous rendre au centre démobilisateur.

Mercredi 31 juillet : Nous partons à pied à Varilhes.

[Du 1er au 9 et du 11 au 18 août, Roland se rendra souvent dans divers marché où il relève les prix des marchandises].

Samedi 10 août : Le soir un camarade me proposera de tenter d’obtenir une permission pour l’obtention d’un billet à tarif réduit en vue de passer le dimanche près de la frontière espagnole.

Lundi 19 août : Deux commandants nous annoncent que nous serons démobilisés vraisemblablement le 25 août et peut-être avant cette date. Est-ce enfin vrai ? Les Orléanais qui étaient partis depuis plus de vingt jours sont toujours dans l’attente à Saverdun.

Mardi 20 août : A Varilhes c’est la foire. Dès le matin des charrettes traînées par des ânes, quelques chevaux et même des bœufs arrivent sur le champ de foire et on y dépose moutons et veaux. Quelques cyclistes y amènent également quelques animaux dans une remorque fixée à leur bicyclette. Il y a aussi quelques cars et autos. Presque tous les hommes ont endossé une blouse et sont coiffés du béret basque. Il se trouve aussi quelques forains vendant chaussures, blouses, confections pour hommes et dames, cordages, sellerie et un bazar.

Jeudi 22 août : Enfin un départ de cinquante hommes du Loiret est inscrit au tableau. Je m’y rends aussitôt et mon nom y est inscrit.

Samedi 24 août : Vers 21 h 30 on fera l’appel et nous toucherons les vivres. A l’aube nous nous retrouverons à Montauban.

Lundi 26 août : [Nous sommes] vers une heure à la gare des Aubrais. Nous partirons vers 7 heures sur Montargis. A Bellegarde nous attendrons plusieurs heures la correspondance.


Ce témoignage sur la guerre de 1939-1945 n’est pas un simple récit de plus : il nous apporte la vision et les préoccupations d’un homme, mon oncle, sur les événements qu’il a vécus. Si j’ai désiré publier ces extraits, c’est en hommage à sa mémoire et par admiration pour la qualité de ses observations.

Frédéric PIGE


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