Le carnet de route de Roland PIGE présenté par
Frédéric Pige |
Roland PIGE, représentant multicartes en épicerie, fut mobilisé, comme beaucoup dautres, lors de la seconde guerre mondiale. De cet événement, il nous a laissé un carnet de route retraçant la " Débâcle ", ponctué de nouvelles du Montargois glanées au gré des rencontres. Nous nous proposons ici de retracer brièvement ces heures tragiques à travers quelques passages.
Mobilisé en août 1939, il exerce tout dabord la fonction de chauffeur du lieutenant commandant la compagnie de guet à Montargis. Du 31 janvier 1940 à la fin février, il se trouve en dépôt au 30è régiment dartillerie dOrléans. A partir de la fin février, il intègre la 10è compagnie de travailleurs militaires avec laquelle il vivra la " Débâcle ". Il se trouve alors à latelier de chargement de Salbris. Cest de là que débute son récit quotidien.
Samedi 15 juin : En arrivant à la Ferté-Imbault, nous apercevons de nombreuses autos (Seine, Seine-et-Oise et quelques unes du Loiret). La région Orléanaise commence à évacuer.
Dimanche 16 juin : Les avions ennemis [passent] au-dessus de nos têtes. Nous comptons neuf alertes. A la fin de la journée, on nous apprend que nous devons partir dans la nuit pour une destination inconnue. Dans la soirée, nous avons aperçu des cars évacuant les soldats du camp de Mignères.
Lundi 17 juin : Nous gagnons Romorantin, Villefranche, Chabris, Valençay, Faverolles, Montrésor, Beaulieu et arrêtons aux portes de Loches [où] nous nous installons sur la paille dans lécole des garçons.
Mardi 18 juin : Nous quittons Loches pour Châtellerault. Dans la soirée, nous arrêtons à trois kilomètres de Poitiers ; nous y verrons sans arrêt soldats en fuite, camions, tracteurs, cyclistes, piétons poussant des voitures denfants etc., etc..
Mercredi 19 juin : Ne pouvant dormir, je partirai le matin avec plusieurs camarades à Poitiers. Dans cette ville, je rencontre un employé de chemin de fer dOrléans qui a évacué [le] vendredi 14 ses collègues de Bellegarde-Quiers ainsi quun train de réfugiés parisiens restés en souffrance en gare des Bordes. Nous déjeunons [près de la gare]. Nous y serons peu en sûreté car peu après une escadrille davions italiens nous mitraille. Cest le pêle-mêle, civils-militaires isolés, régiments fuyant en toute hâte. Cest le comble, lordre est de repartir sur Châtellerault. Seuls à retourner en ce sens, nous croisons de nombreux camions militaires fuyant lapproche de lennemi. Arrivé en cette ville, nous entendons sur la grandplace un poste de radio qui nous annonce la demande darmistice du nouveau gouvernement. Nous allons cantonner dans une grange à Ozon.
Jeudi 20 juin : A peine couchés, lordre de partir dans la nuit nous parvient. Nous démarrons et distinguons dans la nuit les bords de la Vienne ainsi que les antiques maisons blanchâtres aux toits peu inclinés de tuiles rouges en demi-cercles. Enfin nous voilà arrivés à trois kilomètres de Bouresse au sud de Poitiers. Nous serons installés dans une ferme (Bazac-le-Château).
Samedi 22 juin : Nous sommes engagés parmi des troupes qui se replient. Nous traverserons Rouffec. Ensuite, cest Angoulême, Montmoreau. Nous avons fait trop de chemin et sommes obligés de retourner sur nos pas pour aboutir [à] Charmant. Cest un petit pays au sommet dun coteau couvert en partie de vigne composé dune mairie-école, dun café et quelques fermes. Nous y passerons la journée [suivante].
Dimanche 23 juin : Un de mes camarades apercevra le lieutenant Vaillant qui succéda pendant quelques temps au lieutenant Coquet à Montargis. Parmi les soldats qui se replient, plusieurs dentre eux auront passé par Etampes et Loury dans le Loiret. Dans cette petite localité, de nombreux civils ont été victimes du bombardement. Jargeau et Châteauneuf ont beaucoup souffert.
Lundi 24 juin : Dès 3 h 30, cest lheure du réveil. Nous sommes transportés à la gare de Charmant en camion. Nous attendons pendant trois heures en gare. Toujours en quête de nouvelles, je trouve des militaires ayant passé à Ferrières le 12, puis à Montargis le 13. Ils venaient de Pont-sur-Yonne. Daprès ce quils ont vu, Ferrières ainsi que la ligne de Montargis à Fontenay aurait été sérieusement endommagés. Nous sommes embarqués dans un wagon à bestiaux. Nous passons à Montmoreau, Coutras, Libourne, Barsac. Sur ce parcours, nous admirons les jolis vignobles et apercevons la Garonne charriant ses eaux jaunâtres. Enfin cest Bordeaux. Nous apprenons que des détachements allemands sont parvenus dans cette ville 4 heures avant notre arrivée. Nous sommes immédiatement dirigés sur Toulouse par Marmande, Agen. Nous traversons de superbes régions couvertes de vignes, primeurs et arbres fruitiers de toutes sortes. En différents endroits les villages sont dominés par la pointe de clochers en pierre dominés eux mêmes par de vieux châteaux forts.
Mardi 25 juin : A laube nous nous retrouvons à Montauban. Nous apercevons les faubourgs de Toulouse. Nous sommes arrêtés aux portes de cette ville et apprenons que larmistice est signée avec lItalie. De Toulouse nous partirons dans la direction de Pamiers. Ensuite, nous gagnerons le village de Verniolle puis Le Merviel.
Vendredi 28 juin : Laprès-midi je me rends dans un hameau voisin où des troupes viennent dy arriver. Parmi celles-ci se trouvent des soldats venant de lAisne. Lun deux a une carte dun calendrier des postes de notre département sur lequel il a tracé son itinéraire. Il a passé par Pont-sur-Yonne, Egreville, Chevry, Ferrières, Montargis. Cette ville naurait pas souffert.
Dimanche 30 juin : Laprès-midi on chuchote que nous serions dirigés vers Toulouse pour être démobilisé vers le 4 juillet. Fausse Joie !
Lundi 1er juillet : Journée dattente. On apprends quun orléanais a reçu ce jour des nouvelles de cette ville. On lui signalerait que le pain y fait défaut.
Mardi 2 juillet : De bonne heure je pars avec quelques camarades et fait la rencontre en cours de route dun Ferrièrois. Ferrières aurait été presque complètement évacué. Pas encore de nouvelles et le cafard nous gagne malgré les promesses de libération prochaine. Qui aurons nous le premier ? Nouvelles ou libération ? Cest le secret de demain. A la fin de la journée nous prenons connaissance dun journal qui mentionne que de nombreux ponts sont coupés sur la Loire et quà Orléans la rue Royale a beaucoup souffert.
Vendredi 5 juillet : Après déjeuner je lierai conversation avec un soldat ayant passé dans le Loiret. Encerclé à Manchecourt dans une ferme (entre Pithiviers et Malesherbes), il a pu se dégager et gagner Gien le 16 juin au soir peu de temps avant que le pont saute. Il aurait vu cette ville en flammes. Dernières nouvelles : la démobilisation commencerait à partir du mardi 9 juillet.
Mardi 9 juillet : tous les travailleurs militaires de notre compagnie domiciliés en zone occupée doivent se présenter au bureau pour aller se faire démobiliser le lendemain.
Mercredi 10 juillet : Nous verrons nos camarades plus favorisés partir définitivement. Outre une nouvelle lettre adressée à Paucourt, jécrirai par ce même courrier au maire de cette commune pour obtenir si possible des renseignements sur la famille et sur létat de la maison que jhabitais.
Samedi 13 juillet : Daprès une lettre reçue la veille à la compagnie, des Montargois réfugiés à Limoges et ayant passé à Gien le 15 juin auraient eu des difficultés à y traverser cette ville qui aurait été la proie des flammes.
Dimanche 14 juillet : On me signale que lordre dévacuer Montargis serait parvenu le samedi matin 15 juin mais que la ville aurait été occupée dès midi. La ville naurait pas souffert ; par contre Amilly, la Commodité et Nogent auraient été en partie détruits. Sully-sur-Loire aurait été anéanti et il y aurait de nombreuses victimes à déplorer.
Mardi 16 juillet : Dès 5 h 30 nous serons éveillés. Nous prendrons le départ pour Coussa. Nous passerons par Ventenac, Malleon, Saint-Félix et Annont. Aussitôt arrivé, japprends quil sy trouve de nombreux Montargois. Un seul vient de recevoir des nouvelles. Cest Cognois le coiffeur de la place de la République. Je fais sa connaissance presquaussitôt et il mapprend que contrairement à ce qui mavait été signalé le 14 juillet, Montargis naurait été occupé que le dimanche 16 juin au soir. Parmi les autres rencontres je signalerai Julienne de Cepoy, le maréchal de Chevry-sous-le-Bignon, un maréchal de la Chapelle-sur-Aveyron, Lempereur de Ferrières et un serrurier de Montargis. Quelques lettres commencent à arriver dOrléans et Paris. Comme nouvelles de Montargis japprendrai que cette ville a peu souffert. Par contre le pont du Tivoli serait en parti détruit. La maison de Moses de la place de la République (Mme Raymond) aurait été retrouvé intacte. Par contre sa maison particulière de la rue des Bords de Loing aurait été pillée.
Vendredi 19 juillet : Je trouverai cinq lettres dont une du maire de Paucourt. On me signale la mort de M. Moreau directeur de lécole de Vésines tué dans le bombardement de Gien.
Vendredi 26 juillet : Des orléanais sont démobilisés.
Samedi 27 juillet : Le deuxième départ est prêt [mais] nos noms ny figureront pas. Néanmoins les valises sont à peu près prêtes.
Dimanche 28 juillet : Dès le matin et dans lespoir de partir jirai à Foix, avec lespoir de trouver quelques denrées, avec lespoir dapprendre la nouvelle du départ à mon tour. Déception ! On mannonce au contraire que les départs sont suspendus.
Mardi 30 juillet : On nous prévient que nous devons nous tenir prêt le lendemain matin à 5 h 30 pour nous rendre au centre démobilisateur.
Mercredi 31 juillet : Nous partons à pied à Varilhes.
[Du 1er au 9 et du 11 au 18 août, Roland se rendra souvent dans divers marché où il relève les prix des marchandises].
Samedi 10 août : Le soir un camarade me proposera de tenter dobtenir une permission pour lobtention dun billet à tarif réduit en vue de passer le dimanche près de la frontière espagnole.
Lundi 19 août : Deux commandants nous annoncent que nous serons démobilisés vraisemblablement le 25 août et peut-être avant cette date. Est-ce enfin vrai ? Les Orléanais qui étaient partis depuis plus de vingt jours sont toujours dans lattente à Saverdun.
Mardi 20 août : A Varilhes cest la foire. Dès le matin des charrettes traînées par des ânes, quelques chevaux et même des bufs arrivent sur le champ de foire et on y dépose moutons et veaux. Quelques cyclistes y amènent également quelques animaux dans une remorque fixée à leur bicyclette. Il y a aussi quelques cars et autos. Presque tous les hommes ont endossé une blouse et sont coiffés du béret basque. Il se trouve aussi quelques forains vendant chaussures, blouses, confections pour hommes et dames, cordages, sellerie et un bazar.
Jeudi 22 août : Enfin un départ de cinquante hommes du Loiret est inscrit au tableau. Je my rends aussitôt et mon nom y est inscrit.
Samedi 24 août : Vers 21 h 30 on fera lappel et nous toucherons les vivres. A laube nous nous retrouverons à Montauban.
Lundi 26 août : [Nous sommes] vers une heure à la gare des Aubrais. Nous partirons vers 7 heures sur Montargis. A Bellegarde nous attendrons plusieurs heures la correspondance.
Ce témoignage sur la guerre de 1939-1945 nest pas un simple récit de plus : il nous apporte la vision et les préoccupations dun homme, mon oncle, sur les événements quil a vécus. Si jai désiré publier ces extraits, cest en hommage à sa mémoire et par admiration pour la qualité de ses observations.
Frédéric PIGE