Ce que j'ai connu...

La vie simple, laborieuse et souvent très pénible des fermiers, cultivateurs et ouvriers. Pannes a toujours été partagé en 2 zones délimitées par le canal d'Orléans et 3 catégories de gens: les riches fermiers, les petits et les ouvriers. L'usine de Langlée, Saint-Gobain, le chemin de fer procuraient du travail à ceux qui n'avaient pas d'emploi à la terre. Il s'ensuivait 2 mentalités entre paysans et ouvriers.

La vie aux champs comme à la ferme était pénible. Le travail commencé à l'aube s'achevait le plus tard possible à la nuit. Les bras et les jambes étaient les seules mécaniques. Que l'année soit bonne ou désastreuse, il ne fallait compter que sur soi pour faire face à la vie. Sauf pour quelques privilégiés de la fortune héritée des ancêtres, la vie des paysans était pauvre jusqu'à la fin de leurs jours.

Si la vie des ouvriers était marquée par un horaire fixe de travail, il faut connaître l'atmosphère des usines, l'ambiance, le bruit, l'odeur dans lesquels ces heures s'écoulaient. La plupart venait du fond des hameaux éloignés et avaient, chaque jour, par tous les temps, l'hiver par des chemins boueux, souvent impraticables, 6, 10, et même 15 kilomètres à faire à pied tant à l'aller qu'au retour avec le repas dans un sac et musette au dos pour les hommes. Les enfants éloignés de l'école avaient eux-mêmes 3 à 4 kilomètres à faire à pied matin et soir, par les mêmes chemins, par tous les temps, emportant un maigre repas pour le midi, souvent composé d'une ou deux rondelles de saucisson ou d'une tablette de chocolat, d'un peu de fromage et un fruit quand il y en avait à la maison. La vie n'en était pas pour autant sans joies.

C'est un peu avant 1900 que prit fin la culture du safran qui a fait pendant longtemps l'objet d'une culture très importante dans le Gâtinais. Fleuri vers la fin de l'été, sa récolte occupait les soirées en famille et amis pour recueillir les longs stigmates de la fleur surtout destinée à la pharmacie. La culture du chanvre et du lin prenait fin aussi et les rouets des grands-mères furent relégués au grenier. Adieu la fine et grosse toile de ménage dont certaines armoires sont encore bien garnies mais que la jeunesse d'aujourd'hui dédaigne.

La moisson était certes la période la plus pénible de l'année. Hommes et femmes y prenaient part. Une grande faucille à la main, très tôt le matin, on se hâtait avant la grande chaleur. Avec la faux et le râteau, le travail fut moins pénible et plus rapide. Le repas de midi était souvent pris aux champs à l'ombre d'un arbre. Après la coupe et mise en tas, femmes et enfants allaient glâner les épis oubliés. Le grain était battu au fléau et passé au tarare (grand moulin actionné par une manivelle qu'on tournait à la main) pour le libérer des balles, poussières et menus grains, avant de l'ensacher pour le conduire au moulin de Sainte-Catherine. La grande roue actionnait les grosses meules, qui en tournant broyaient le grain dont on extrayait la belle farine blanche et le gros son destiné à l'alimentation du bétail.

L 'hiver, les occupations et distractions ne manquaient pas. La route de Pannes à Sainte-Catherine était bordée de gros noyers, de même la plaine au nom évocateur, "le Noyer vert", et un peu partout on en rencontrait. Ces arbres étaient précieux pour l'huile que donnaient leurs fruits et dont le résidu donnait un pain qui servait à l'alimentation du bétail. Le travail du décorticage se faisait à la veillée. Jeunes et vieux y participaient. Tout le monde riait, chantait. Les anciens racontaient des histoires drôles. On buvait cidre et vin chaud sucré. On était heureux de ces contacts. Avec la disparition progressive des vieux noyers, on a cultivé le colza et l'huile de ses grains a remplacé celle de noix.

La fête de la Chandeleur, comme celle de Mardi-Gras, était aussi une occasion de joyeuses rencontres. Les hommes jouaient aux cartes, les femmes préparaient les crêpes et chacune à son tour devait en faire sauter une, d'où éclats de rire devant les maladresses.

Noël! mot magique et plein de mystères pour les enfants. Les adultes partaient en bandes joyeuses pour assister à la messe de minuit. Le matin, les enfants tôt réveillés avaient hâte de voir ce que le père Noël avait déposé dans leurs souliers bien nettoyés et rangés devant la cheminée. Qu'y trouvaient-ils? Un petit jésus en sucre dans un petit sabot ou un père Noël en chocolat, une crotte de chocolat, un ou deux sous. C'était une joie de contempler ces confiseries qu'on n'osait pas manger trop vite.

Les fêtes religieuses étaient très suivies. Au temps de Pâques les enfants de chœur en tenue, munis d'une clochette, s'annonçaient à toutes les portes en chantant: " Un jour viendra, Dieu nous le rendra, Alléluia! Alléluia! Alléluia!"

Les mariages étaient l'occasion d'un long cortège sur la route car on se rendait à pied du domicile de la mariée à la mairie et à l'église. Le lendemain matin, toute la jeunesse partait à la recherche des jeunes mariés. Après un "charivari" à leur porte, ils devaient boire le vin qu'on leur apportait dans un joli "pot de chambre" dont les bords étaient copieusement garnis de moutarde ; et c'était la joie générale.

La fête du pays donnait lieu chaque année à une nouvelle occasion de se réjouir. Le bal était la grande distraction des Jeunes.

Sainte-Catherine avait sa propre fête qui durait trois jours, du samedi au lundi.

L'habitat des fermiers

Pas de luxe. Une grande pièce principale qui servait de chambre, de salle à manger et de cuisine. En y entrant, on remarquait le lit de coin avec son baldaquin d'où partaient de grands rideaux en cretonne fleurie, un gros édredon en duvet, la "table de nuit" pour ranger le pot de chambre ; dessus, dans un bougeoir en cuivre, l'indispensable bougie pour la nuit.

Une grande armoire pour le linge de maison. La maie pour pétrir le pain de la semaine ; de grosses miches rondes de 3 à 4 kilos, mises à cuire dans le grand four chauffé au bois et situé devant l'immense cheminée d'où pendait la crémaillère à laquelle on suspendait les marmites qui servaient à la cuisson des aliments. Une grande table de famille, quelques chaises, un ou deux bancs. La grande pendule comtoise dont le tic-tac et la sonnerie des heures donnaient vie à la pièce. Sur un autre meuble ou sur le large rebord de la fenêtre, la lampe devenait un luxe. Peu à peu la lampe pigeon a remplacé la bougie. La lampe à pétrole, une queue de rat et l'indispensable falot pour sortir la nuit, s'éclairer dans l'étable pour traire et soigner les vaches. Au plafond, une ou deux planches suspendues sur lesquelles finissaient de s'affiner les grands fromages. Derrière la porte, un ou deux seaux d'eau, tirés au puits, une bassine pour la vaisselle, les torchons et essuie-mains. Les eaux usées et détritus étaient jetés sur le tas de fumier, près de l'étable.

Poules, oies, canards et cochons circulaient dans la cour. Il y avait la saison d'engraissement des oies et la tuerie du cochon, qui assurait une bonne réserve pour l'hiver. Une petite laiterie servait à conserver le lait au frais, à préparer les fromages, à battre la crème pour faire le beurre dans une baratte en bois.

L'habillement

Les femmes portaient des jupes longues, amples, froncées à la taille, une camisole ou caraco, le tout de couleur sombre; un grand tablier bien enveloppant protégeait la jupe. Sur la tête, un grand mouchoir de coton appelé fanchon. Les jours de fêtes, on voyait les jupes à balayeuse, les corsages bien ajustés, baleinés, des manches gigot. Les plus âgées portaient encore le petit bonnet blanc à volant tuyauté. L 'hiver, fichus, capulets, pèlerines en astrakan.

Les hommes portaient un pantalon de velours à côtes, ou de coton foncé, une veste droite, mais comme tenue de ville ou de fête les plus âgés portaient sur le pantalon une grande blouse en toile bleu foncé, très ample, et étaient coiffés d'une casquette ou d'un chapeau en feutre noir.

Les déplacements

Ils s'effectuaient à pied. Quelques privilégiés avaient une voiture à cheval appelée tapissière, couverte ou non, et une sorte de carriole non couverte; un grand parapluie de toile bleue servait à s'abriter du vent et de la pluie. On voyait quelques voitures à âne.

Le parler

Français déformé donnant ceci: le pére, la mére, moué, toué, les bouelles, les gas, les gosiaux, la bérouette, le siau, va m'crie d'liau, à la rvoyure tertous, le ratiau, l'coûtiau, les cisiaux, les sabiots, les poriaux, le tirouère, le demêloulé, le viau, la chieuve, le bossiau, l'couloué, l'tabié, l'entonnoué, le guernier, la biaude (blouse), ravioder, les caquenaudes ou caquesiaux, les patouillats, les galvaudeux.

Pas de gaspillage

Les vêtements n'étaient mis au chiffon qu'après maints morceaux et reprises. Il n'aurait pas fallu voir jeter une bouchée de pain. On ne faisait pas seulement économie de bouts de savon, mais aussi d'allumettes. La même servait deux ou trois fois pour allumer une bougie.

Sainte-Catherine avait son port. Quand le canal d'Orléans était navigable, les péniches avaient un lieu de déchargement près du pont. Ces péniches étaient tirées par des hommes, puis les hommes ont été remplacés par des ânes ou des mules.

Ce que j'ai entendu

De vagues récits sur la guerre de 1870 à Pannes.  Une escarmouche de représailles dont l'objectif a été le "Château", menacé d'incendie. Je sais qu'un soldat allemand a été tué et enterré entre les deux ponts, une croix de fer, aujourd'hui disparue, en marquait l'emplacement. Dans un vieux grenier, j'ai découvert un bel aigle noir de Prusse. Emblème et souvenir du passage des Prussiens.

J'ai entendu parler de sorcellerie, de jeteux de sorts. Pannes a eu sa part d'adeptes ; des familles en sont encore marquées.

J'ai entendu parler des birettes : des facétieux qui se couvraient la tête d'un grand drap blanc, une clochette à la main, et s'amusaient à faire peur, la nuit, aux personnes attardées. Le loup-garou était surtout évoqué pour faire peur aux enfants.

La seigneuriale maison de "Mercy" datant des croisades, transformée en ferme et la chapelle Notre-Dame de Mercy en étable. Un passage souterrain la reliait au château de Montargis.

Sainte-Catherine devrait son nom à la sainte si l'on en croit la niche réservée aux statues que l'on peut encore voir dans une vieille maison de la même époque.

On parlait peu de politique, les adeptes d'Émile Combes gouvernaient la commune. Les privilèges étaient de mise et les droits des petits pas toujours respectés.