Articles et Documents

 

Les blasons de l'église
de Gy-les-Nonains

 

par Gilbert Baumgartner
(pour contacter l'auteur, cliquez ici)


Cet article est extrait du Bulletin de la Société d'Emulation N°124, novembre 2003


Comme de nombreuses églises du Gâtinais, celle de Gy-les-Nonains n’a pas traversé les époques sans vicissitudes. Depuis le XIIe siècle, date probable de la construction du clocher, jusqu’à la récente restauration de la façade, l’édifice a subi des réparations, consolidations, transformations de toute sorte, au gré des événements politiques et économiques.

A partir du XIXe siècle, l’entretien des églises est directement soumis aux aléas politiques, qui dépendent localement du rapport de forces entre la municipalité et le conseil de fabrique de l’église : l’une est garante des finances de la commune, l’autre est responsable de la bonne gestion du culte. Dans notre Gâtinais déjà fortement déchristianisé, l’affrontement entre les deux instances est inévitable. Simplifions : au XIXe siècle, c’est des relations entre le maire et le curé que dépend l’entretien de l’église.

 A Gy-les-Nonains, ces relations ne sont pas bonnes. En 1850, le conseil de fabrique réussit à faire visiter l’église au sous-préfet de Montargis, qui constate l’état déplorable de la toiture et de l’intérieur de la nef. Le sous-préfet demande que des travaux soient entrepris rapidement pour éviter la dégradation irrémédiable de l’édifice. Il fait établir pour le compte de la commune un devis de réfection s’élevant à 5670 F, une somme considérable pour l’époque. Après avoir d’abord renvoyé la responsabilité du financement sur le conseil de fabrique, la conseil municipal accepte finalement, le 8 janvier 1851, de faire réparer la couverture de l’église suivant un devis de l’architecte Legrand qui s’élève à 3600 F. La somme permet de réparer la toiture, on s’occupera de l’intérieur plus tard…

Le nouveau curé, l’abbé Leroy, installé en 1854, n’aura de cesse de faire entreprendre ces travaux intérieurs de l’église. Mais le conseil municipal a d’autres projets : le pont sur l’Ouanne, notamment, exige des réparations constantes. Dès 1929, le conseil municipal invoque l’argument du « rétablissement du pont »[1] pour refuser un supplément de traitement au curé de l’époque, l’abbé Auger. Le pont devra finalement être reconstruit entièrement, ce qui obligera à voter en 1868 une somme de 10.800 F, qui devra encore être complétée en 1871 pour finir les travaux. Entre temps, la commune aura dû aussi construire son école primaire. L’église n’a pas la priorité, on le voit !

Le conseil de fabrique se désole. Le nouveau curé, l’abbé Hardy, nommé en 1867, ne réussit pas mieux que son prédécesseur à faire entreprendre des travaux. La seule solution serait une subvention venant directement de l’Etat, mais l’Etat n’a que faire de la petite église d’un village du Gâtinais.

C’est alors que quelqu’un se souvient que le ministre de la Marine et des Colonies a, dans son enfance, fréquemment séjourné au château de Changy, chez sa tante. En 1868, le conseil de fabrique adresse à « Son excellence l’Amiral Rigault de Genouilly, Ministre de la Marine », une supplique qui commence ainsi :

« Les habitants de Gy se rappellent avec bonheur que vous avez habité au milieu d’eux et que vous avez prié dans leur modeste église… »

L’idée était bonne : par l’intermédiaire du Ministère de la Justice et des Cultes, l’Amiral Rigault de Genouilly fait allouer à la commune une somme de 5000 F destinée aux réparations intérieures de l’église. Le Préfet, qui annonce au maire l’attribution de la subvention, se réjouit que « la demande de la municipalité ait abouti. »…

 Le conseil municipal ne peut faire mieux que de confier les travaux à l’entreprise Heurteau, d’Orléans, qui propose la réfection pour un montant de 5200 F.

Le descriptif du devis est éloquent :

 « La voûte actuelle de la grande nef construite en bardeaux de sapin tout vermoulu menace ruine, ainsi que celle de la chapelle latérale ; on proposerait de les remplacer par une voûte en briques aux nervures moulurées, système Heurteau Bté Sgdg. Les entrais qui traversent l’église et offrent un mauvais aspect seraient relevés de deux mètres pour donner plus d’élévation à la voûte sans ôter de solidité à la charpente qui est construite solidement et dont tous les chevrons portent fermes. » [2]

 

Le 24 avril 1870, le conseil municipal nomme les membres de la commission de surveillance des travaux de l’église – et les travaux commencent. La voûte sur croisées d’ogives est au goût du XIXe siècle, à l’imitation des voûtes gothiques, et permet donc d’utiliser les clefs de voûte pour installer des blasons.

Le curé réussit à faire inscrire dans le détail des travaux commandés par la municipalité l’installation d’armoiries. L’entreprise propose donc « d’établir des clefs de voûte et d’y représenter les armoiries seigneuriales qui lui seront désignées par les autorités locales. »

La prudence est de mise : quelles autorités locales ? A Gy-les-Nonains, le choix est, semble-t-il, laissé au curé et au conseil de fabrique. Dans une lettre de l’entreprise Heurteau au curé de Gy en date du 2 mars 1870, elle précise :

« Nous avons vu le peintre de Montargis et il est convenu que nous lui donnerons les clefs avec écussons unis sur lesquels il peindra les armoiries que vous désirerez. »

Trois blasons ornent ainsi les trois travées centrales de la nef, et un autre se trouve dans une croisée du collatéral (que l’entreprise Heurteau appelle la chapelle latérale). Il est difficile de savoir si certains de ces blasons sont des copies de blasons qui existaient dans l’église avant à la restauration des voûtes. Les trois blasons de la nef sont, à l’évidence, liés à des personnalités du XIXe siècle, et il est peu probable qu’elles aient eu droit à l’honneur de l’église auparavant. Seul le blason du collatéral reprend le motif d’un vitrail antérieur à la restauration, aujourd’hui détruit mais décrit dans l’Inventaire Général de 1886.


Blason de la famille de Triqueti

Le deuxième blason de la nef comporte la date de 1870 et se trouve également représenté dans un vitrail du côté gauche de la nef. (Nous choisissons de numéroter les blasons ainsi : le premier est le plus proche du chœur, le troisième le plus proche de la porte de l’église.) Le vitrail portant le blason date de 1877, le blason de la clef de voûte est donc antérieur à celui du vitrail.

Le troisième blason comporte, en plus de la date de 1870, une petite bordure de lettres blanches sur fond noir où l’on peut lire, verticalement : HARDY CURÉ, et horizontalement : DE GY. Monsieur le curé était soucieux de sa propre postérité !


Blason de la famille de Bressieux

La deux croisées extrêmes ne comportent pas de blasons, mais des clefs de voûte pendantes.

Si l’attribution des trois blasons de la nef est sans ambiguïté, celle du quatrième nous obligera sans doute à des hypothèses.


Blason de la famille de Courtenay

 Les blasons, on le verra en détaillant les biographies de leurs propriétaires, sont le résultat d’une double restauration. À la restauration matérielle de l’intérieur de l’église, le curé Hardy ajoute à l’évidence un choix de restauration morale. Ces blasons n’ont aucune nécessité architecturale. Ils avaient disparu de l’architecture intérieure des églises depuis le XVIe siècle. Choisir de les rétablir à la fin du XIXe est aussi un choix idéologique : comme il est indiqué sur un des vitraux[3], il s’agit de « rattacher le présent au passé ». Il s’agit, en d’autres termes, de refermer la parenthèse tragique de la Révolution[4]. On rétablit ainsi la noblesse dans son droit à figurer aux clefs de voûtes des églises. L’entreprise Heurteau a bien précisé qu’il s’agit « d’armoiries seigneuriales », et ce sont en effet les « nouveaux seigneurs » du XIXe siècle qui sont représentés dans l’église de Gy-les-Nonains.

Ces blasons sont donc d’abord le signe d’une victoire, celle des cléricaux sur les anticléricaux. Les familles représentées sont évidemment dans le premier camp. En attribuant ces quatre blasons à leurs propriétaires, c’est une grande partie de l’histoire du XIXe siècle que nous découvrons. C’est aussi, bien sûr, le choix du curé Hardy et du conseil de fabrique, mettant en valeur certaines familles et en excluant d’autres. On verra même que l’ordre des blasons répond sans doute à une hiérarchie, révélatrice de certains conflits d’intérêts…

 En tout cas, pour le premier, celui qui occupe la place de choix au-dessus du chœur de l’église, on ne pouvait que s’accorder : le curé Hardy choisit d’installer là les armoiries de l’Amiral Charles Rigault de Genouilly, Ministre de la Marine et des Colonies de Napoléon III, qui avait rendu possible cette restauration – et qui était aussi un grand défenseur de la Restauration des valeurs chrétiennes dans la France du Second Empire.


Blason de Charles Rigault de Genouilly  (lire l'article)

Les lecteurs attentifs de l’article de Frédéric Pige sur Claude Mithon de Genouilly[5] se souviendront que l’œuvre de restauration nobiliaire du curé Hardy est, en l’occurrence, fondée sur une usurpation : des quatre blasons, le premier n’a rien à voir avec des « armoiries seigneuriales » ! Mais cela, le curé Hardy l’ignorait probablement…

2e partie : Charles Rigault de Genouilly (1807-1873)


[1] Le pont en pierre entre Gy et Saint-Germain avait été emporté par les inondations en 1770.

[2] Plusieurs églises du Gâtinais ne doivent leurs voûtes sur croisées d’ogives qu’à la mode du XIXe siècle. Auparavant, une simple voûte en charpente lambrissée, avec ferme et entrait, couvrait souvent la nef des églises (L’entrait est la pièce de bois horizontale de la ferme). Le sciage des entraits pour l’installation des voûtes de briques a parfois déstabilisé la structure de l’édifice. La restauration récente de l’église de Pannes a choisi de revenir à l’état antérieur.

[3] Voir Les vitraux de l’église de Gy-les-Nonains, G. Baumgartner, BSEM n°112, février 2000

[4] L’abolition des armoiries, en même temps que de la noblesse héréditaire, fut le fait de l’Assemblée constituante dans sa séance du 19 juin 1790. En 1791 et 1792, plusieurs décrets ordonnèrent de faire disparaître toutes celles figurant sur les biens meubles et immeubles. L’Empire en rétablit l’usage le 1er mars 1808, organisant très strictement leur attribution. Le Second Empire sera bien plus laxiste…

 


haut de page Retour epona2.gif (1970 octets)