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Les blasons de l'église
de Gy-les-Nonains (2e partie)
Charles
Rigault de Genouilly (1807-1873) (pour contacter l'auteur, cliquez ici)
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Les blasons de l’église de Gy-les-Nonains appartiennent à des familles qui ont marqué le XIXe siècle, dans le Gâtinais et ailleurs. Le premier d’entre eux, situé au-dessus du chœur, rappelle l’attachement de Charles Rigault de Genouilly à la commune de Gy. C’est lui qui, en 1868, permet d’obtenir la subvention nécessaire à la réfection des voûtes – et à l’installation des armoiries. [1]
S’il vous prend l’envie de naviguer en mer Jaune, il faudra vous méfier du littoral occidental de la Corée : les îles de la baie de Kyŏnggi ont vu bien des naufrages… Avant d’atteindre Inch’ŏn, le port de Séoul, vous devrez contourner prudemment Paegado, Ŭlto et P’ungdo. Entre Chido et Taeijakdo, méfiez vous tout particulièrement de… « Rigault de Genouilly » !
Voilà en effet le nom qui apparaît sur certaines cartes marines pour désigner une toute petite île en pleine mer Jaune ! [2] Un nom bien exotique en cet endroit : c’est la trace d’une aventure humaine exceptionnelle, celle d’un marin du XIXe siècle engagé avec passion dans l’épopée coloniale française.
Si la carrière d’un amiral du Second Empire est facile à retracer, sa personnalité est plus difficile à approcher. Il faudra se garder de prendre pour argent comptant les récits hagiographiques des contemporains : les militaires victorieux sont tous des héros, et quand ils perdent, c’est une traîtrise de l’ennemi… Il faudra lire entre les lignes de son oraison funèbre, parce que les morts sont tous de braves types. En fait, il suffira de s’attacher aux événements : rien que les faits tracent le portrait d’un homme au destin exceptionnel. D’autres amiraux ont laissé, dans l’histoire du XIXe siècle, des noms plus prestigieux : mais le fait qu’il soit un peu méconnu ne nous le rend que plus sympathique. Sans doute n’a-t-il pas fait assez pour sa propre gloire de son vivant…
La première biographie sérieuse de Charles Rigault de Genouilly vient de paraître sous la plume d’Etienne Taillemite, qui lui consacre un important chapitre dans son ouvrage Histoire ignorée de la Marine française.[3] Voici comment il le présente :
« Il est une génération d’officiers qui vécut intensément la transformation la plus profonde connue par les forces navales depuis l’Antiquité. Après de longs et laborieux tâtonnements, on passa en quelques années de la voile à la vapeur, de la construction en bois à la généralisation du métal et dans le même temps l’artillerie se transformait elle aussi de manière décisive en acquérant une puissance et une portée qui bouleversaient les conditions du combat sur mer. (…) Des transformations de cette ampleur suscitèrent évidemment bien des réactions chez les officiers dont certains eurent quelque peine à s’adapter à un monde maritime tout nouveau. D’autres firent face avec lucidité et parmi eux figure au premier rang Charles Rigault de Genouilly, qui parcourut une carrière exceptionnelle au cours de laquelle il se révéla aussi bon manœuvrier qu’habile technicien, aussi brillant combattant qu’administrateur efficace et ouvert à toutes les nouveautés. »
Nous renvoyons à cette biographie pour tous les événements que nous ne développerons pas ici. Nous nous attacherons plutôt à ce qu’on pourrait appeler les « influences gâtinaises » de notre héros, celles qui ont laissé des traces bien visibles à la voûte de l’église de Gy-les-Nonains ou au musée Girodet de Montargis.
L’enfance gâtinaise
Charles Rigault de Genouilly naît le 12 avril 1807 à Rochefort (Charente Inférieure), dans la rue des Fonderies[4]. Les amateurs de prédestination se réjouiront : les fonderies qui ont donné leur nom à la rue sont évidemment des fonderies de canons de marine…
Son père, Jean Charles Rigault de Genouilly, est officier du génie maritime et ingénieur des constructions navales. Sa mère est Adélaïde-Caroline Mithon de Genouilly, fille adoptive de Claude Mithon de Genouilly, chef d’escadre de la Marine Royale.[5]
Les généalogistes attentifs ont sursauté : le père et la mère sont tous deux « de Genouilly » ? Voilà bien la première originalité de notre personnage : la particule de son nom est une supercherie ! Comme l’a bien montré Frédéric Pige :
« Le père se nomme Jean Charles Rigault. Lorsqu’il se trouve en Charente ou ailleurs que dans le Loiret, il se fait appeler « Rigault de Genouilly », empruntant la particule à sa femme alors qu’il n’est absolument pas noble ! Le petit Charles sera connu sous le nom de Charles Rigault de Genouilly, ministre de Napoléon III et non comme descendant de la famille Mithon, personne ne s’étant jusqu’à présent douté de la supercherie ! »3
A notre connaissance, le fils utilise sans scrupules le nom à particule légué par son père. La supercherie lui ouvre probablement des portes sous la Monarchie de Juillet et le Second Empire. On dira à sa décharge que la noblesse de ses faits d’armes lui fera rapidement mériter sa particule…
Par ailleurs, Charles Rigault de Genouilly n’abuse pas de son titre de noblesse. S’il poursuivait la supercherie du père, il pourrait s’approprier le blason de son illustre grand oncle Claude Mithon de Genouilly, héros de la guerre d’Indépendance américaine : il ne le fait pas. D’ailleurs, le blason qui le représente dans l’église de Gy-les-Nonains n’en est pas vraiment un. On y distingue le monogramme RG, une ancre de marine et les bâtons d’amiral : il s’agit bien plus d’insignes de fonction que d’armoiries de noblesse. De là à penser que c’est le curé Hardy lui-même qui a assemblé les éléments du blason, il n’y a qu’un pas…[6]
S’il hérite du nom de son grand oncle, Charles Rigault de Genouilly hérite probablement aussi de l’image idéalisée du grand chef d’escadre de l’Ancien Régime. Les deux filles adoptives de Claude Mithon de Genouilly ont hérité de son domaine de Gy-les-Nonains, et le petit Charles passe de grandes parties de son enfance au château de Changy, dans les souvenirs du glorieux aïeul. Lorsque les marguilliers de Gy écrivent à l’Amiral en 1868 pour lui demander son aide financière à la restauration de l’église, ils font allusion à cette période en lui rappelant « qu’il a habité au milieu d’eux et prié dans leur modeste église. »
De nombreux actes notariés[7] relatifs, notamment, à la succession de Claude Mithon de Genouilly, décédé le 2 Germinal de l’an onze (23 mars 1803), mentionnent :
« M. Jean Charles Rigault, officier du génie maritime, capitaine commandant à Rochefort, y demeurant, étant maintenant en congé à Gy, et Mme Adélaïde Caroline Mithon de Genouilly, majeure, son épouse. »
Grâce à ces actes notariés, nous pouvons suivre les domiciles successifs de la famille, au gré des affectations de Jean-Charles Rigault : à la naissance de Charles en 1807, la famille est domiciliée à Rochefort ; on l’y retrouve en 1811, mais en 1813, Jean-Charles est « chargé du service » à Boulogne ; en 1814, il est « sous-chef du 3e arrondissement forestier à la résidence d’Orléans, y demeurant quai de Recouvrance n° 33 » ; en 1817, il est « ingénieur de la marine au port de Cherbourg » ; en 1818 et 1819, on le trouve « directeur du bassin de la Saône et du Rhône, en résidence à Châlons-sur-Saône ». En 1827, il est à nouveau à Rochefort.
On peut supposer que, dans tous ces déménagements, le terroir de Gy-les-Nonains a servi de « port d’attache » au jeune Charles.
La succession de l’oncle et père adoptif de la mère de Charles est complexe, obligeant Adélaïde-Caroline Mithon de Genouilly à de fréquents séjours au château de Changy. Les deux sœurs sont héritières usufruitières du domaine, mais du fait de leur adoption, leurs droits leur sont contestés par les nièces de Claude Mithon de Genouilly, Mme de Jaucourt et Mme de Seuil.
Dans les documents judiciaires et les actes notariés, les deux sœurs apparaissent tour à tour comme « demeurant » à Gy-les-Nonains. Mais en général, c’est la sœur d’Adélaïde-Caroline, qui se prénomme Adélaïde-Gabrielle[8], qui réside à Gy, la première étant alors désignée comme « en congé ». Le 2 février 1810, Adélaïde-Caroline et son mari Jean-Charles Rigault de Genouilly sont désignés comme « étant tous deux actuellement en cette ville de Montargis ».
Lorsqu’en 1813, Jean-Charles est en poste à Boulogne, son épouse Adélaïde-Caroline est déclarée « demeurant à Gy ».
A partir de 1819, les actes indiquent que l’une ou l’autre des deux sœurs, ou les deux ensemble, habitent « rue des Cinq-Maries, à Montargis. » Cette rue est devenue en 1893 la rue Gudin, en mémoire du général Gudin qui y résida. Nous verrons plus loin qu’un détail de la biographie du futur amiral Charles Rigault de Genouilly nous fournit une forte présomption que le jeune Charles ait vécu dans cette rue.
Enfin, un dernier document nous permet d’attester la domiciliation, au moins épisodique, de notre futur amiral dans le Gâtinais. Dans un courrier dont nous aurons à reparler, le Vicomte de Grouchy, député du Loiret, écrit en 1862 au Maire de Montargis :
« Les habitants de Montargis aiment à considérer M. l’Amiral Rigault de Genouilly comme un de leurs concitoyens. »
L’héritage moral
En novembre 1825, Charles Rigault de Genouilly entre à l’école Polytechnique. C’est à la même époque que les deux sœurs Mithon de Genouilly achèvent de vendre leurs derniers biens dans le Gâtinais.
En 1818, elles vendent le couvent de Gy et la ferme du bourg. En 1819, elles vendent le moulin de Gy, puis la ferme des Comtes et la manœuvrerie de la Grange Chartier.
En 1826, on trouve trace de ventes de prés à Gy et à Saint-Germain. La dernière trace de la famille dans les archives notariales date du 22.11.1827 ; il s’agit d’une quittance « reçue par Claude Louis Hardoin, receveur particulier des finances de l’arrondissement de Montargis au nom de Jean-Charles Rigault de Genouilly, demeurant à Rochefort, sa femme et sa belle sœur. »
Dans l’état nominatif des habitants de Montargis, établi en 1827, on ne trouve plus ni Mithon, ni Rigault.
Il semble donc bien que la famille ait quitté définitivement le Gâtinais à cette période.
On se perdrait en vaines conjectures si l’on cherchait à savoir dans quelle mesure le Gâtinais a marqué la personnalité du futur amiral. Il est probable que le grand oncle héroïque ait servi de modèle et d’aiguillon. Etienne Taillemite affirme :
« Rigault était par sa mère le petit-neveu du Chef d’escadre Claude Mithon de Genouilly, qui s’était illustré dans la guerre de l’Indépendance américaine au cours de laquelle il commanda plusieurs vaisseaux dans l’escadre de De Grasse. Il est donc tout naturel, qu’entré à l’école Polytechnique en novembre 1825, il ait opté à sa sortie pour la marine. »
Le « tout naturel » est peut-être sujet à caution, mais il est certain que des traits de caractère et des valeurs morales sont communs au Chef d’escadre et à l’Amiral.
La mère du futur amiral a toujours été très attentive à la transmission de l’héritage, matériel et moral. Si les biens dans le Gâtinais ont été défendus avec succès, il n’en est pas de même de la propriété que Mithon de Genouilly possédait à Saint-Domingue. Perdue lors de l’indépendance de l’île en 1803, elle sera l’objet de nombreuses plaintes et demandes d’indemnisation des deux sœurs, filles adoptives du Chef d’escadre. En 1825, Haïti acceptera de verser une indemnité aux colons dépossédés en échange de la reconnaissance, par l’Etat français, de l’indépendance du pays. Mais les 150 millions or, qui vont ruiner Haïti, seront progressivement distribués aux anciens colons sans que chacun y retrouve la richesse dont il a été dépossédé.[9]
Cette perte est bien significative de l’époque dans laquelle entre le jeune marin : à la « décolonisation » forcée à l’ouest va succéder l’expansion coloniale française à l’est, en Afrique et en Extrême-Orient.
Une lettre « confidentielle » de la mère de Charles montre son souci constant pour la carrière de son fils. Elle est adressée le 7 février 1845 par « Mme de Genouilly, née Mithon[10] , 7 rue de Maurepas à Versailles », à l’Amiral Baron de Mackau, ministre de la Marine. Sa requête concerne la transmission du titre de Claude Mithon de Genouilly :
« faire obtenir à mon mari dans l’intérêt de mon fils, le titre héréditaire de comte, de l’oncle et père adoptif dont nous portons le nom (…), parce que mon mari a reculé devant une demande directe au Garde des Sceaux dont le succès même, n’étant plus donné comme récompense mais accordé sur la demande, pouvait nous entraîner à des frais considérables pour la délivrance des lettres patentes, ce que notre position de fortune et de pauvres colons propriétaires dépossédés à Saint-Domingue ne permet pas. »
En 1845, Charles Rigault de Genouilly est en pleine mer de Chine, avec des soucis bien plus matériels que celui d’un titre nobiliaire !
Les premiers bateaux
Dès sa sortie de l’école Polytechnique en effet, Charles Rigault de Genouilly embarque et participe en première ligne aux différentes conquêtes coloniales de la Marine française.
En 1827, il est aspirant de première classe sur la frégate Fleur-de-Lys et participe à l’expédition de Morée, qui détruit la flotte turco-égyptienne.
En 1830, il est promu enseigne de vaisseau et assiste au débarquement de Sidi-Ferruch et à la prise d’Alger.
En 1831, il est sur le Suffren, qui réussit à forcer les passes du Tage et à assiéger Lisbonne.
En 1832, il participe au siège d’Ancône, dans l’Adriatique. Il se fait remarquer par sa bravoure : il est le premier à escalader les remparts de la ville, et se maintient sur leur sommet à la tête d’un détachement de matelots jusqu’à l’ouverture des portes.
En 1833, il participe au blocus des côtes de Hollande. Le 16 novembre, il obtient un « congé pour affaires de famille à Paris, après 32 mois d’embarquement sur le Suffren. »
En 1834, il devient lieutenant de vaisseau et participe à de multiples opérations en Méditerranée et sur les côtes d’Afrique.
En 1839, il reçoit son premier commandement, celui du brick-aviso la Surprise.
En 1841, il est capitaine de frégate. Rigault de Genouilly a 34 ans, ce qui représente un avancement exceptionnel à l’époque. Il est affecté alors au Dépôt des cartes et plans pour superviser la traduction et l’impression du Routier des Antilles. L’ouvrage est traduit de l’espagnol par F. C. Chaucheprat, mais Rigault de Genouilly y ajoute des documents anglais, dont il assure la traduction. Peut-être y voit-il une occasion de reconnaître la route qui pourrait le mener à la reconquête de la « terre Mithon » à Léogane, sur l’île de Saint-Domingue…
En janvier 1843, il est nommé commandant de la corvette la Victorieuse. Il part pour une campagne de quatre ans en Extrême-Orient.
Aventures en mer Jaune
Brest – Ténériffe – la Réunion – Singapour – Batavia – Manille – Macao : la mission est d’abord scientifique. Les archipels de la mer de Chine sont mal connus, les cartes éditées par les Anglais sont approximatives. Des relevés géographiques et hydrographiques sont nécessaires. Mais on sait bien que « la géographie sert d’abord à faire la guerre », et la présence française en mer de Chine est évidemment aussi politique. Des droits avaient été accordés à la France en Chine et en Annam, mais les Empereurs successifs les remettaient régulièrement en cause. Les missionnaires français sont persécutés. En 1840, la guerre de l’opium ouvre la Chine aux Anglais, qui possèdent déjà Hong-Kong, base d’un commerce florissant. La France ne doit pas laisser passer cette occasion d’affirmer sa présence en Extrême-Orient. La Corée ne pourrait-elle pas offrir cette base matérielle qui manque au commerce français ?
Et c’est l’échec : le 10 août 1847, la Victorieuse et la frégate la Gloire s’échouent sur une île de la côte ouest de la Corée. Le récit d’un marin de la Gloire, Louis-Victor Courillon, permet de suivre les détails de cet échouage :
« Le 30 juillet, nous appareillions pour nous diriger sur l’archipel de Corée, où nous devions récupérer un missionnaire. (…) Le 10 août, nous vîmes un grand nombre d’îles que nous doublâmes rapidement, car le vent ayant augmenté, notre misaine s’est déchirée. On travailla immédiatement à la remplacer, et on établit les basses voiles, pour renverguer la misaine. Mais le vent et la mer augmentant constamment, la manœuvre devint difficile et la ‘’Victorieuse’’ qui était devant nous signala que la route était dangereuse et qu’il y avait des hauts-fonds. Nous lui fîmes le signal de virer de bord pendant 10 minutes et de continuer la route. A midi, nous essayâmes de virer de bord, mais ayant manqué notre virage, nous dûmes virer lof pour lof et la frégate talonna fortement. La plus grande confusion et la plus grande frayeur se montra alors sur tous les visages et une grande incertitude sur notre devenir vint s’ajouter à l’angoisse. Nous larguâmes toutes nos voiles dehors, afin de parer, s’il était possible de nous sortir de cette fâcheuse position. Ce fut inutile, car quelques minutes après la corvette la ‘’Victorieuse‘’ se trouva échouée et nous talonnâmes une seconde fois avec violence. Nous avons alors mouillé l’ancre tribord, mais la force du courant ayant jeté la frégate sur son ancre, nous nous sommes retrouvés avec une voix d’eau et la fausse quille arrachée. La corvette mouilla également son ancre, avec apparemment plus de réussite que nous. On travailla aussitôt à mettre les embarcations à la mer, on serra les voiles, et dépassant les mâts de perroquets, on élongea les grelins à la ‘’Victorieuse’’, dans l’intention de la sauver. La mer était si grosse que nous ne pûmes y réussir. Nous avons pompé et vers le soir à 19 heures on a calé les mâts de hune, et on a utilisé les basses vergues en guise de béquilles. On a travaillé toute la nuit, à pomper, à abriter les vivres et la poudre, et enfin tout ce que nous pouvions sauver. La frégate talonnant toujours, ne tarda pas à faire eau de toute part. La corvette, elle se trouva à sec de basse mer, perdant deux hommes et deux embarcations. À 6 heures la mer montante envahit la cale qui fût bientôt inondée. Le soir la corvette mit un feu à sa corne et nous fîmes de même, feu qui resta allumé toute la nuit. À 8 heures, il y avait 10 pieds d’eau dans la cale, la cambuse et le magasin général furent bientôt inondés. La nuit se passa dans une espèce d’angoisse, chacun se demandant ce que lui réservait l’avenir. Egaré sur une terre étrangère, éloigné de toute civilisation, sans la moindre chance de pouvoir s’en tirer par ses propres moyens. »
Les équipages trouveront refuge sur une île – probablement la fameuse Sun-gapdo qui a conservé le nom du commandant de la Victorieuse.
« Les premiers jours passés sur cette île, nous avons souffert de la faim, et encore plus de la soif. Nous avions droit à un biscuit de six onces distribué en deux repas et un verre d’eau à chaque repas. Nous sommes restés ainsi pendant 18 jours, sans que les Coréens ne nous apportent aucune provision. Ce ne fut qu’au bout d’un certain temps qu’ils apprirent que nous avions défait les Cochinchinois, leur plus grand ennemi. Alors ils nous apportèrent des vivres en grande quantité : du riz, des œufs et plusieurs porcs, ce qui permit d’augmenter les rations de vivres. »[11]
Plusieurs marins mourront dans cette aventure, surtout en raison des conditions climatiques éprouvantes. Le 5 septembre, les survivants sont récupérés par des navires… anglais !
De retour en France, le commandant de la Victorieuse est traduit en conseil de guerre, procédure habituelle en cas de perte de navire – et rapidement blanchi. On attribue la perte des deux bâtiments aux cartes anglaises erronées : la presse de l’époque relatant l’événement affirme que Rigault de Genouilly avait prévenu l’Amirauté des risques de l’expédition et qu’il n’avait pas été écouté. L’amiral Desfossés rend au conseil de guerre un « témoignage public au dévouement courageux et plein d’abnégation, ainsi qu’à l’admirable effort de subordination qu’avait déployés le capitaine de la Victorieuse. »
En juin 1848, Rigault de Genouilly est promu capitaine de vaisseau.
En 1849, il se familiarise avec le maniement des tout nouveaux bâtiments à vapeur, après avoir été chef de cabinet du ministre de la Marine. En 1851, il commande avec succès le vaisseau mixte le Charlemagne, et est nommé en 1852 au Conseil des travaux.
Capitaine de pavillon sur le Ville de Paris en 1853, il prend part à la guerre de Crimée. Il participe activement à la prise du fort Malakoff en 1855.[12]
Il devient contre-amiral en 1854 et obtient la plaque de grand-officier de la Légion d’honneur en 1855. Il entre au Conseil d’Amirauté.
Aventures en mer de Chine
En 1856, Rigault de Genouilly reçoit le commandement de la division navale de la Réunion et de l’Indochine. Il repart en mer de Chine sur la Némésis.
Sa mission est, encore une fois, liée à la présence anglaise dans la région. Mais cette fois, plusieurs opérations vont se faire de concert avec la marine anglaise et la marine espagnole.
La raison affichée de l’intervention des alliés est, encore une fois, le non-respect par les Chinois des traités signés les années précédentes, et notamment les persécutions que subissent les missionnaires français. Une vision plus globale permet de considérer ces opérations comme une véritable guerre coloniale, qui aboutira à faire de l’Indochine « le fleuron de notre Empire colonial. »
En juillet 1857, les escadres françaises et anglaises entreprennent le blocus de Canton pour obliger les Chinois à la négociation. Le 27 décembre, la ville est bombardée et Rigault de Genouilly conduit lui-même le débarquement des troupes d’occupation. Mais les Chinois ne négocient toujours pas. L’amiral Seymour et Rigault de Genouilly remontent alors vers le nord, à l’embouchure du Peï-ho, le fleuve qui traverse Tien-Tsin et Pékin. Les forts du nord et du sud de l’embouchure sont pris, la route de Tien-Tsin est ouverte, les Chinois acceptent de négocier, ouvrant six nouveaux ports au commerce européen.
Cette expédition est abondamment décrite et commentée par la presse française. On suit, jour après jour, la progression victorieuse des troupes alliées et la défaite des « Barbares du Céleste Empire. » On cite la presse étrangère, surtout lorsque le Times anglais critique violemment les troupes anglaises, faisant le panégyrique de Rigault de Genouilly :
« L’Angleterre, avec une flotte de 60 navires, a, grâce aux officiers à qui cette flotte a été confiée, été réduite à la position d’humble auxiliaire d’une flottille commandée par un Français actif ! (…) Les Français, qui n’ont que cinq canonnières à la station, en comptaient trois toutes prêtes pour cette opération. Les Anglais, qui ont vingt canonnières, n’en avaient qu’une prête, le Slaney. (…) Toujours trop tard ! Toujours trop tard ! L’Europe apprendra bientôt à donner ce sobriquet à nos deux services. L’amiral français n’eut pas été l’homme que nous savons qu’il est s’il avait laissé passer le 1er mai sans forcer le passage. Cet homme a une volonté, et il ne poussera pas la politesse jusqu’à attendre les canonnières à petite vitesse de l’amiral Seymour. »[13]
On cite également les ordres écrits que le contre-amiral Rigault de Genouilly adresse à ses troupes :
« Marins et soldats !
Une nouvelle occasion vous est offerte dans l’attaque des forts du Peï-ho de signaler votre dévouement à la patrie et à l’Empereur ! Soyez ce que vous avez été à Canton, ardents dans la lutte, cléments dans le succès. Que vos mains restent pures de tout pillage : demeurez des modèles de vaillance et de discipline ; montrez-vous alliés dévoués de vos braves compagnons d’armes de l’Angleterre. A nous les forts de Peï-ho, braves camarades, et que le drapeau de la France qui paraît pour la première fois dans le golfe de Petchili se plante victorieusement sur ses rives aux cris répétés de Vive l’Empereur !
Le contre-amiral, commandant en chef – En frégate Némésis le 19 mai 1858. »
L’appel à se garder de tout pillage est intéressant : le musée Girodet de Montargis semble pouvoir démontrer qu’il n’a pas été respecté. Mais sans doute faut-il distinguer le vulgaire pillage de la « prise de guerre » effectuée par le contre-amiral lui-même… !
Le musée présente en effet une grande cloche en bronze ciselé, sous l’inscription : « Provient de la pagode de Ta-kou (village situé à l’embouchure du fleuve Pei-oho) – Don de l’Amiral Rigault de Genouilly en 1860. »
Les archives du musée permettent de comprendre comment cette cloche est arrivée à Montargis.
Le 9 mai 1860, le député du Loiret, le Vicomte de Grouchy[14], écrit au maire de Montargis :
« Parmi les souvenirs que M. l’Amiral Rigault de Genouilly a rapportés de son expédition de Chine et qu’il a bien voulu me donner, se trouve une cloche prise dans la pagode de Ta-Kou, village situé à l’embouchure du Pei-ho, le jour où les forts qui défendirent l’entrée du fleuve ont été enlevés par les marins français. (…) J’ai l’intention de l’offrir à la Ville. Je désire seulement que la légende qui indiquera suivant l’usage que la cloche a été donnée par moi rappelle le nom de M. l’Amiral Rigault de Genouilly et le glorieux fait d’armes à la suite duquel le fort et le village de Ta-Kou ont été occupés par le Corps expéditionnaire que l’Amiral commandait en chef. »
L’actuelle légende de la cloche ne rend donc pas justice au Vicomte de Grouchy, puisqu’on y comprend que c’est l’Amiral lui-même qui a offert l’objet au musée.
Un autre don viendra compléter celui de la cloche 2 ans plus tard, correspondant à la suite des opérations en mer de Chine.
Les bases de l’Indochine française
Après la signature du traité de paix avec la Chine, l’escadre française reçoit l’ordre de retourner sur les côtes indochinoises.
Rappelons ici que les liens privilégiés des pays de l’Indochine (Tonkin, Annam, Cochinchine) avec la France n’étaient pas récents[15] : depuis près de deux siècles, les missionnaires français y étaient en conflit avec les mandarins chinois, qui tentaient d’imposer leur autorité sur ces régions. Dès 1787, le prince de Cochinchine Nguyen-Ahn signait un traité d’alliance offensive et défensive avec la France, sous l’influence de l’évêque d’Adran, Mgr Pigneau de Behaine. Mais à partir de 1820, les successeurs de Nguyen-Ahn changent de stratégie, et les persécutions contre les Européens reprennent. En 1847, l’empereur d’Annam Tu-duc punit de mort tout étranger trouvé sur le sol annamite.
Une démonstration de force s’impose, et c’est la mission que Napoléon III confie à Rigault de Genouilly.[16] En août 1858, la frégate Némésis assiège Tourane. Devant la difficulté de remonter jusqu’à la capitale Hué, Rigault de Genouilly attaque la Basse-Cochinchine, grenier à riz de l’empire d’Annam. Le 17 février 1859, il occupe Saïgon, obligeant Tu-duc à des pourparlers diplomatiques. Il retourne ensuite à Tourane, qu’il prend le 8 mai.
Mais la guerre d’Italie, qui vient d’éclater, empêche Napoléon III d’envoyer des renforts pour assurer les possessions françaises en Indochine – et le pouvoir chinois en profite pour remettre en cause le traité de Tien-Tsin, tandis que Tu-duc rompt les négociations à Saïgon. C’est l’occasion d’une nouvelle épreuve de force : le 7 septembre, Rigault de Genouilly met en fuite près de Tourane une armée de plusieurs milliers d’hommes.
En octobre, il passe le commandement à l’amiral Page et, très fatigué, rentre en France. Les amiraux Page et Charner obtiendront les moyens de terminer la conquête de l’Indochine.
Etienne Taillemite conclut ainsi ce chapitre de sa biographie :
« Pendant trois ans, avec des moyens dérisoires, Rigault de Genouilly avait obtenu des résultats extraordinaires qui nous prouvent l’endurance physique et morale à peine croyable des marins de ce temps. »
De l’expédition indochinoise, Rigault de Genouilly rapporte un canon pierrier, qui va se retrouver au musée Girodet de Montargis dans les mêmes conditions que la cloche chinoise.
Le 11 février 1862, le Vicomte de Grouchy écrit au maire de Montargis :
« Sur le désir que je lui en avais exprimé, M. l’Amiral Rigault de Genouilly a bien voulu mettre à ma disposition pour le Musée de Montargis un canon pierrier enlevé à Saïgon lors de la prise de cette ville par le Corps expéditionnaire que commandait mon honorable ami. (…) Il complétera les souvenirs de notre première expédition dans l’Extrême-Orient et je suis convaincu que les habitants de Montargis attacheront du prix à le conserver ; car ils aiment à considérer M. l’Amiral Rigault de Genouilly comme un de leurs concitoyens.
P. S. Le canon vient d’être expédié de Brest à votre adresse et vous parviendra sous peu de jours. »
En transmettant au député les remerciements du conseil municipal, le maire ajoute :
« Je vous prie de vouloir bien être notre interprète auprès de votre illustre concitoyen pour lui exprimer la reconnaissance du pays dont il a gardé le souvenir. »
Un marin à terre
En janvier 1860, Rigault de Genouilly reprend sa place au Conseil d’amirauté. Des ennuis de santé, rapportés de ses campagnes en Extrême-Orient, l’obligent à de fréquentes convalescences : il obtient ainsi des congés à Eaux-Bonnes et à Amélie-les-Bains pour soigner un emphysème pulmonaire.
En juillet 1860, il est élu au Sénat. A la tribune, il utilisera souvent sa réputation pour défendre des corporations de marins en difficultés. Devant une tentative de nouvelle réglementation de l’inscription maritime, il déclare en 1861 :
« Ces dignités, ces grades, ces croix qui nous sont dévolus, l’honneur envié, messieurs les sénateurs, qui nous a été donné de siéger au milieu de vous, après tout, comment ont-ils été conquis ? Ils ont été conquis en mêlant notre sang et nos succès au sang et aux succès des inscrits maritimes. Si dans l’œuvre commune, nous avons été la tête, ils ont été les bras intelligents, dévoués, toujours dévoués jusqu’à la mort ! »
En janvier 1862, il est nommé commandant en chef de l’escadre d’évolution en Méditerranée.
En janvier 1864, il obtient le titre d’Amiral et en décembre la grande croix de la Légion d’Honneur.
Le 3 août 1864, il fonde la Société centrale de sauvetage des naufragés (SCSN), reconnue d’utilité publique par un décret impérial du 17 novembre 1865.[17] Charles Rigault de Genouilly en sera le président jusqu’à sa mort. Le vice-président en est le peintre de marine Théodore Gudin, dont le frère a disparu en 1855 dans le naufrage de La Sémillante.[18]
Le nom de Gudin ne nous est pas inconnu à Montargis : rappelons-nous que la famille de Charles Rigault de Genouilly a séjourné dans la rue des Cinq-Maries, à côté de la propriété de la famille Gudin. Si le plus illustre représentant de cette famille est le général d’empire Charles-Etienne Gudin (1768-1812), c’est plutôt son oncle Etienne (1734-1820), général de la Convention, que le jeune Rigault de Genouilly a pu rencontrer à Montargis. Dans l’état actuel des recherches généalogiques, il n’a pas été possible d’établir un lien certain entre les nombreux Gudin de Montargis et le peintre de marine Théodore Gudin, ami de Charles Rigault de Genouilly. Seule la similitude des noms nous permet, actuellement, de faire ce rapprochement. Ajoutons, pour consolider le doute sur ses liens montargois, que Théodore Gudin était un élève de Girodet.[19]
Quoi qu’il en soit, les occasions de rencontrer le peintre de marine ne manquent pas dans la carrière de Rigault de Genouilly : dès 1830 à Alger, Gudin se retrouve souvent sur les champs de bataille où Rigault a l’occasion de se distinguer.
A l’évidence, la présidence de la Société centrale de sauvetage des naufragés est une affaire importante dans la vie de Rigault de Genouilly. Dans son discours à l’assemblée générale en 1869, il déclare :
« Je ne veux pas rappeler ces temps néfastes, déjà loin de nous, où le naufragé était traité presque en ennemi, où ses dépouilles étaient disputées par d’avides mains ; mais il y a peu d’années encore, nous avons eu le douloureux spectacle d’équipages périssant tout entiers sur nos rivages, sans qu’il fût possible de leur porter secours ; nous avons vu sur des navires portant de nombreux passagers des cargaisons humaines englouties tout entières par l’Océan, sans que rien pût être tenté pour les disputer à la mer en furie. Ces hécatombes humaines n’étaient-elles pas un lugubre et terrifiant reproche à notre inertie, à notre incurie en matière de sauvetage ? Cet état déplorable a cessé en partie ; aucun effort ne sera épargné pour qu’il disparaisse sur toutes nos côtes, pour que ce pays si renommé par son hospitalité, tende partout une main secourable aux navigateurs en danger. En cette utile tâche, nous serons secondés par les pouvoirs publics, qui, en toutes circonstances, s’inspirent fidèlement des pensées de l’Empereur ; nous serons soutenus par l’Impératrice, notre auguste et bienveillante protectrice, qui cherche tous les moyens de faire le bien. »
Dans le fauteuil de Colbert
Cette fidélité sans failles à l’Empereur est récompensée le 20 janvier 1867, lorsque Napoléon III lui confie le portefeuille de la Marine. Il restera ministre « de la Marine et des Colonies » jusqu’à la chute de l’Empire. En août 1869, il est chargé par intérim du Département de la guerre.
Une de ses premières décisions en 1867 est la création d’un organisme chargé de rédiger des règles communes pour les clubs de voile, d’organiser des compétitions et d’encourager le développement de la navigation de plaisance. C'est la naissance du Yacht Club de France, toujours actif après un siècle et demi d’existence.
Dans les relations entre la France et ses colonies, il est remarquable de constater que l’amiral est le premier à parler d’équité. En Nouvelle-Calédonie, le gouverneur Guillain applique une politique ouvertement raciste : les indigènes sont des « mineurs incapables de posséder, qui n’ont fait aucun progrès dans la civilisation. » Les canaques sont donc dépossédés de leurs terres ancestrales et astreints à des corvées.
En 1868, Rigault de Genouilly écrit au gouverneur du territoire : « L'équité ne nous permet pas de restreindre le territoire des Canaques sans leur accorder des compensations (...). En enlevant aux indigènes la faculté de devenir propriétaires individuels (...) vous avez voulu écarter les indigènes du mouvement général, perpétuer le maintien de la tribu et l'influence des chefs, et par conséquent gêner l'exercice de notre action civilisatrice sur ces populations... »
Le ministre n’aura pas le temps de développer son idéal d’une « conquête française, c'est-à-dire humaine, libérale, généreuse. »
Il continue au ministère la politique de modernisation de la flotte de guerre, mais ses compétences en stratégies maritimes ne suffisent pas à enrayer la déchéance politique et morale de l’Empire, ni à éviter le désastre militaire de 1870.
En juillet 1870, Rigault de Genouilly se fait nommer commandant en chef de l’expédition qui doit être envoyée dans la Baltique. Mais il est trop tard. Etienne Taillemite cite Maurice Lenoir :
« La déclaration de guerre surprit la Marine sans plan arrêté, sans objectif décidé, sans préparatifs d’aucune sorte. A Cherbourg, on était démuni des cartes nécessaires à la navigation dans les eaux allemandes. Tout trahissait le désarroi. »
Le 3 septembre 1870, il obtient que la Marine participe à la défense de Paris. 15.000 marins sont ainsi dirigés sur Paris aux ordres de l’amiral de La Roncière. Le même jour, Charles Rigault de Genouilly démissionne de son poste de ministre. Le lendemain, il est mis à la retraite d’office par le nouveau régime.
Les biographes ne s’accordent pas sur les trois dernières années de sa vie. Il semble certain qu’il ait passé quelques temps en octobre 1870 à Eaux-Bonnes, dans les Pyrénées, pour soigner une affection pulmonaire. Il demandera à « quitter la station dont le climat est trop froid pour aller soit en Italie, soit au Portugal. » C’est peut-être là l’origine de l’erreur de certains biographes qui le feront mourir à Barcelone.[20]
Il sera présent à Paris en juin 1872 aux obsèques du Maréchal Vaillant. Enfin, une lettre de janvier 1873 fait allusion à un récent voyage en Angleterre.
Il s’éteint le 4 mai 1873 à Paris, à son domicile du 4, rue d’Anjou-St-Honoré, « au milieu d’affectueux parents qui l’entouraient depuis plusieurs années des soins les plus délicats. » Il a 66 ans. Cette phrase du vice-amiral de la Roncière semble bien indiquer que les maladies rapportées d’Extrême-Orient ont eu raison du robuste marin.
Ses obsèques sont célébrées à l’église des Invalides le 10 mai 1873, puis son corps est transporté à Rochefort, selon sa volonté. Il est déposé jusqu’au 30 juillet dans la chapelle des marins de l’église Saint-Louis, avant d’être inhumé dans le tombeau familial au cimetière civil de la ville.
Les héritiers
Un vibrant hommage en forme de discours funèbre lui sera rendu par le vice-amiral de la Roncière au cours de l’assemblée générale de la Société centrale de sauvetage des naufragés en août 1873. Il y informe la Société des dispositions testamentaires de l’Amiral :
« Deux affections avaient sans cesse rempli le cœur de M. l’amiral Rigault de Genouilly : celle des marins, qu’il avait conçue dès sa jeunesse, et celle de notre Société, à laquelle il s’était irrévocablement attaché, depuis qu’en 1865 il en avait pris la direction suprême. Ces affections se sont traduites dans ses actes de volonté dernière. Il lègue à la caisse des Invalides de la marine une somme de 140.000 francs, spécialement consacrée à l’amélioration des pensions de marins amputés ou blessés. Il fait à la Société centrale de Sauvetage un don de 20.000 francs, témoignage de son intérêt pour une institution qu’il avait vue naître, et dont il n’avait cessé de suivre d’un œil jaloux les développements successifs. Il a voulu qu’après sa mort sa générosité fût appréciée, comme elle l’avait été pendant sa vie. »
Le testament de l’Amiral date du 5 novembre 1869. Outre les œuvres citées ci-dessus, les légataires les plus directs sont des cousins et des cousines au 6e et 8e degré. L’inventaire des biens fera apparaître un total de 447.808 francs.[21]
La personnalité
Du discours du vice-amiral de la Roncière, on peut tirer quelques traits de la personnalité de Charles Rigault de Genouilly :
« Sa personnalité, dont il avait, à juste titre, la conscience, le rendait essentiellement autoritaire et jaloux des prérogatives attachées à son rang. Il savait non seulement donner des ordres, mais aussi les faire exécuter ; c’est ainsi qu’il s’attachait aux plus petits détails, peut-être s’y arrêtait-il trop, pour être sûr que ses instructions étaient suivies, et une fois ses ordres lancés, il en poursuivait sans relâche l’exécution. (…) Il aimait le faste, il savait s’en entourer et s’en servir avec intelligence. Il se faisait un devoir, dans les positions élevées qu’il occupait, de consacrer à un luxe sévère et imposant les émoluments affectés à sa haute situation. Mais, en même temps, aucun marin ne s’adressait à lui en vain, et ses intimes seulement ne découvraient combien d’infortunes étaient soulagées dans l’ombre qu’à l’aspect de la satisfaction peinte sur son visage, lorsqu’il lui était donné d’avoir l’occasion de faire une bonne œuvre. »
Son caractère autoritaire est souligné également par Maxime du Camp :
« Un homme de fer, dur aux autres, plus dur à lui-même, inflexible en toutes choses, n’ayant jamais pâli devant le danger. »
Enfin, le capitaine de frégate Souville parle ainsi de l’Amiral :
« C’est un homme imposant d’extérieur, très haut et très empanaché, chef capable et sévère, habitué à se faire obéir. Pompeux et théâtral, il exerce moins l’attraction qu’il n’inspire le respect. »
Ces portraits expliquent l’ascendant que Rigault de Genouilly pouvait exercer sur ses hommes, nécessaire aux guerres de conquêtes qu’il a menées. Sans doute ce caractère trouvait-il moins bien sa place dans les cabinets ministériels : il est remarquable que sur les gravures ou les photos officielles des gouvernements, Rigault de Genouilly se présente souvent dans une attitude différente de ses collègues : debout quand ils sont assis, derrière tous les autres, etc.
Homme d’action plus que de né, il n’a sans doute pas compris les raisons de la chute de l’Empire et les enjeux de la République naissante. De la Roncière n’hésite pas devant la métaphore maritime :
« Sa grande notoriété ne trouvait pas d’emploi à la taille de l’influence que lui donnait son caractère (…) Il voyait son pays se débattre entre des écueils de toute nature ; il comprenait que victime de rancunes politiques et de haines contre le régime qu’il avait loyalement servi, il ne pouvait apporter sa main puissante à la barre du gouvernail pour franchir ces écueils. »
On ne peut s’empêcher, pour terminer, de souligner les étonnantes similitudes entre les carrières de Charles Rigault de Genouilly et de Claude Mithon de Genouilly, son grand oncle.
Voilà, à un siècle d’écart, deux marins courageux, engagés passionnément dans des conquêtes coloniales, celui-ci à l’ouest, celui-là à l’est, l’un pour le Roi, l’autre pour l’Empereur, et tous deux, le Chef d’escadre comme l’Amiral, balayés par des révolutions qu’ils ne comprennent pas !
Claude Mithon de Genouilly réussira in extremis à trouver une postérité d’adoption, tandis que le paternalisme de Charles Rigault de Genouilly ne pourra mieux faire que de s’incarner dans la Société de sauvetage des marins – une Société qui entretient jalousement, aujourd’hui encore, le souvenir de son glorieux fondateur.[22]
Oui vraiment : naître à Rochefort, suivre les traces du seigneur de Gy et finir dans le fauteuil de Colbert, cela mérite bien de figurer parmi les blasons de l’église de Gy-les-Nonains !
[1] Voir « Les blasons de l’église de Gy-les-Nonains », BSEM n°124, p. 44
[2] L’île porte ce nom sur les cartes marines, mais les autochtones l’ont rebaptisée « Sun-gapdo ». Ses coordonnées sont les suivantes : longitude 126,08E, latitude 37,10°N, altitude 16 m, sa superficie est d’environ 6 km2
[3] Editions Perrin, 2003.
[4] La rue des Fonderies de Rochefort a été débaptisée en 1899 pour devenir la rue de la République. Par ailleurs, il existe, à Rochefort comme à Montargis, une rue Dorée, nom déformé de la rue d’Auray (« Histoire des rues de ma ville », Robert Allary). Une explication qui pourrait inspirer les chercheurs montargois.
[5] La biographie de Claude Mithon de Genouilly a fait l’objet d’une étude exhaustive publiée dans ce bulletin : Aux portes des Amériques : Gy-les-Nonains, ou la vie de Claude Mithon de Genouilly, seigneur de Gy-les-Nonains et chef d’escadre, par Frédéric Pige, BSEM n°114, décembre 2000.
[6] Après de nombreuses recherches, il n’a été possible de retrouver les éléments de ce blason qu’à un seul endroit : en frontispice d’un ouvrage publié en 1933, Le livre d’or de l’aviso Rigault-de-Genouilly, relatif à un navire baptisé du nom de l’Amiral (BNF 8- LF227- 57).
[7] Minutes de Me Trélat et Jalouzet, notaires à Montargis, et de Me Lefaivre, notaire à Château-Renard.
[8] Merci à Frédéric Pige d’avoir débroussaillé cette généalogie complexe, où tous portent les mêmes prénoms. Ajoutons que la mère d’Adélaïde-Gabrielle et d’Adélaïde-Caroline s’appellait Adélaïde-Théodore !
[9] La France avait demandé en 1825 une indemnité de 150 millions pour dédommager les 10.000 familles françaises. Ce n’est qu’en 1893 que Haïti soldera l’indemnité, ramenée en 1838 à 90 millions. Par un de ces retournements dont l’histoire a le secret, Haïti demande aujourd’hui a la France la restitution de cette indemnité.
[10] On voit par là que la mère n’hésite pas plus que le père à se prévaloir du titre de Mithon : en fait, elle est née O’Lary, Claude Mithon de Genouilly n’ayant pas eu le temps d’épouser la mère des deux filles adoptives avant de décéder.
[11] On lira le récit complet de Paul-Louis Courillon sur le site de généalogie de José Chapalain à l’adresse : http://jose.chapalain.free.fr/pageprin149.htm
[12] Le héros de Malakoff est le général Mac-Mahon, victorieux sur les Russes le 8 septembre 1855. Mac-Mahon résidant fréquemment au château de la Forest à Montcresson, on peut voir là une autre occasion de séjour de Rigault de Genouilly dans le Gâtinais, à l’invitation du général, puis maréchal. Les deux militaires sont de la même génération : Rigault est né en 1807, Mac-Mahon en 1808.
[13] Cité dans L’Ami de la Religion, journal et revue ecclésiastique, 1858.
[14] Né en 1806 à Paris, fils du Maréchal de France qui s’est rendu célèbre à Waterloo. Nommé Sous-préfet de Montargis en 1833. Elu Député de la 3e circonscription du Loiret (Arrondissement de Montargis, cantons de Beaune-la-Rolande, de Malesherbes et de Puiseaux) en 1857, réélu en 1863.
[15] Les contacts entre la France et l’Indochine remontent au XVIIe siècle avec l'arrivée des premiers missionnaires. C'est un jésuite français, Alexandre de Rhodes, qui transcrit la langue vietnamienne dans l'écriture latine aujourd'hui en usage dans le pays.
[16] Les objectifs de Napoléon III sont évidemment plus complexes que le simple soutien moral aux religieux bafoués. On lira avec profit L’épopée Coloniale Française en Asie, du Général Pruneau (Nouvelles éditions de Paris, 1938).
[17] On peut noter qu’une première initiative pour créer une Société Générale Internationale des Naufragés avait été lancée en 1835 par le marquis de Grouchy, le père du député de Montargis.
[18] La Sémillante devait rallier la Crimée au départ de Toulon, en février 1855. Elle fait naufrage entre la Corse et la Sardaigne, provoquant la mort des 700 soldats et marins qui se trouvent à bord. L’émotion est vive dans toute la France, entraînant l’idée de la création d’un corps spécialisé de sauveteurs.
[19] Théodore Gudin devient peintre officiel de la marine en 1830. On ne résiste pas au plaisir de citer ici une critique de Théophile Gautier à propos du Salon de 1833, parue dans La France Littéraire de mars 1833 : « M. Gudin a fait retraite, le peintre de marine des bourgeois, le grand consommateur de jaune de chrome, de jaune de Naples, d’orpin, et en général de tous les jaunes possibles. Nous sommes délivrés pour cette année de ses ciels de potiron ; le soleil peut se coucher et se lever tranquille, il n’est pas trahi sur toile par M. Gudin. »
[20] voir On a retrouvé l’Amiral Rigault de Genouilly, BSEM n°118, mai 2002
[21] Tous ces détails ont été relevés par Mme Deleyrolle aux Archives de la Marine. Sans elle, cet article n’existerait pas. Qu’elle trouve ici la reconnaissance éperdue de l’auteur de ces lignes.
[22] Une bonne introduction à l’histoire de la SNSM (successeur de la SCSN) se trouve dans la bande dessinée de Philippe et Pierre Brochard, S.O.S. Gwenn Mor, éditions Fleurus, 1987
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