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Un épisode de la Libération du Gâtinais

 

par Gilbert Baumgartner
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Cet article est extrait du Bulletin de la Société d'Emulation N°95, 1994
Une version en langue allemande est diponible ici.


Mercredi 23 août 1944 : les Américains arrivent à Montargis, à Courtenay, à Triguères. De Gy-les-Nonains, on entend le bruit de la canonnade du côté de Villemandeur. Ce matin-là, le village de Gy va vivre quelques heures tragiques, qui restent dans bien des mémoires. Acte d'héroïsme ou risques inutiles ? A chacun de juger.

Ils sont sept, cachés dans le fossé au bord de la route à l'entrée du village, entre les deux ponts. Il y a là Henri-Louis Burg, 44 ans, Albert Frappin, 40 ans, Marius Bille, 40 ans, Lucien Leclaire, 27 ans, Jean Dunand, 39 ans, Robert Bille, 45 ans, Maurice Monamy, 46 ans. Plus loin, derrière un gros peuplier, se cachent Raymond Depardieu, 34 ans, chargé de manœuvrer le fusil-mitrailleur, Marcel Guérin, 19 ans, préposé aux chargeurs, Roland Linard, 38 ans, en protection avec un mousqueton, et Georges Dunand, 34 ans, qui dirige la manoeuvre.

Ces hommes font partie du groupe de combat "Hoche", dont le maquis se trouve à la ferme du Fourneau. Cette ferme, aujourd'hui abandonnée, avait été choisie pour des raisons stratégiques : à proximité, d'anciennes marnières avaient laissé des trous favorables à l'entraînement aux armes à feu, et une vaste étendue dégagée aurait permis des parachutages en cas de besoin. Le poste d'observation installé sur le "cul-de-loup" (une cave à demi enterrée) permettait une bonne surveillance de la route de Montcresson, et les fermes alentours, les Laubins et Maugelus, assuraient le ravitaillement. L'organisation de la Résistance en petits maquis (30 à 40 hommes au maximun) répondait à une stratégie nouvelle, à l'initiative de Londres. Le harcèlement des troupes nazies, voulu par Churchill, s'en trouvait facilité, et les drames de Vercors et de Lorris avaient montré la vulnérabilité de groupes trop importants. Le maquis le plus proche était au moulin de Tours, éloigné d'à peine 1,5 km.

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Le chef du groupe " Hoche ", Jean Dunand, indique dans quel état d'esprit sont les hommes du maquis ce 23 août :

" Tous sont d'avis de terminer cette journée, la dernière sans doute de notre campagne, en beauté et de donner, dans la mesure de nos moyens, une sévère leçon aux boches. "

Voilà pourquoi ces sept hommes sont cachés, ce matin-là, dans le fossé de la route entre Gy et Saint-Germain-des-Prés. L'opération elle-même est résumée ainsi, sous la plume de Jean Dunand :

" A 12 heures 30, un guetteur signale six voitures, dont quatre de tourisme, et deux d'escorte, se dirigeant vers les ponts de Gy. Dès que les véhicules sont à la portée du Groupe, l'ordre est donné de tirer. Les premières voitures ripostent, elles sont criblées de balles, mais ne s'arrêtent pas. La dernière, atteinte par une rafale de fusil-mitrailleur, vient s'écraser sur le parapet du pont. Les hommes de la première ligne se portent immédiatement à l'attaque, tan- dis que la deuxième ligne avance et appuie le mouvement. Sur le pont, six allemands sont tués ou blessés. L'un refuse de se rendre et veut faire usage de son arme,. il est abattu. Pendant que plusieurs de nos hommes tentent de s'emparer d'un blessé qui s'est enfui dans Gy et menace de tirer sur la population, d'autres récupèrent le matériel de l'ennemi.

Au cours de ces opérations, une voiture allemande, armée d'une mitrailleuse jumelée, revient sur les lieux du combat et se met à tirer. Nos hommes font face et une rafale de fusil- mitrailleur atteint la voiture qui est réduite à l'impuissance. Croyant à un retour en force, l'ordre de dispersion est donné avec, comme point de rassemblement, la ferme de Changy. Les deux chefs, responsables du maquis, emportant le matériel, tentent de regagner ce lieu, mais ils sont interceptés par trois allemands armés d'une mitrailleuse. Deux de ces derniers sont abattus à moins de trente mètres par des rafales de mitraillettes tirées par les responsables. Quant au troisième, il a été mis probablement hors de combat. A la suite de ce dernier engagement, trois tanks allemands font leur apparition dans Gy. Mais le Groupe, au complet, a pu regagner le maquis. Les allemands occupent Gy en fin d'après-midi. Ils font des menaces et se livrent à des perquisitions. Pour assurer la protection de la population, un homme du Groupe se rend au Q.G. des F.F.I. à Montargis, et, le soir même, une colonne américaine fait son apparition dans Gy.

Bilan de l'opération :
2 autos armées détruites, dont l'une équipée d'une mitrailleuse jumelée,. 3 mitrailleuses récupérées. 4 allemands tués, 3 blessés graves, 2 prisonniers.
Les allemands ont ramassé eux-mêmes, au cours de l'après-midi, les autres morts et blessés.
D'après les déclarations de deux habitants de Gy pris comme otages et relâchés le soir même, un général et un lieutenant ont été blessés. Un interprète de l'ex-Feldkommandantur de Montargis nous a fait savoir depuis qu'il s'agissait de l'Etat-major du Général Arndt (du groupe de Combat Arndt).
Les morts ont été enterrés à Gy. Les blessés allemands ramenés à Montargis par une ambulance américaine, convoyés par un responsable du groupe. Les 4 prisonniers ont été remis à notre retour, le 24 août, aux Autorités Américaines qui se trouvaient alors à Amilly. "

Ces lignes sont extraites du compte-rendu rédigé par Jean Dunand pour les archives de la Résistance. Plusieurs témoignages d'habitants du village complètent ces indications.

Peu après l'attaque, le curé Mercier, qui habite la grande maison à la sortie du pont, envoie la fille de Marcel Moreau, le maire, chercher son père. Avec l'aide de Moreau et de quelques habitants, le curé de Gy transporte les morts et les blessés allemands dans sa maison. D'après le témoignage de Jean Marlin, instituteur et secrétaire de mairie, lui-même emprisonné pour fait de résistance, c'est l'attitude de Moreau et Mercier qui a évité les représailles dans le bourg de Gy. "Ce que vous avez fait pour nos morts, je vous en suis reconnaissant", aurait déclaré le général allemand aux deux hommes.
Pourquoi ce général allemand se retrouve-t-il ce 23 août sur la petite route de Gy-les-Nonains ? Pour le comprendre, il faut revenir un peu en arrière. Le général Edgar Arndt est le commandant de l’unité 1 du régiment de sécurité 1010 basé à Montargis. Au moment de la retraite, la mission d'Arndt semble être de regrouper les traînards, puis de protéger la retraite. Le 22 août, il a quitté la caserne Gudin et tente d'organiser la résistance à l'avancée américaine depuis une maison de la rue de la Chaussée. Mais les communications avec ses troupes sont rapidement interrompues. Arndt décide de quitter Montargis dans la nuit du 22 au 23. Il s'installe dans la ferme des Blards, sur les hauteurs d'Amilly, rabattant sur son unité les soldats qui fuient par la R.N. 60 en direction de Courtenay. La route de la retraite semble décidée : Courtenay et Châteaurenard n'étant pas sûrs, il ne reste que la rive sud de l'Ouanne ; voilà pourquoi, ce matin du 23 août, la colonne quitte la départementale 943 à Saint-Germain-des-Prés en direction de Gy, où l'attend le groupe Hoche.

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Les voitures rescapées de la fusillade foncent à travers le bourg, en direction de l'est. A la sortie du village, la colonne se regroupe au château de Vaux. C'est là que le général Arndt décide de renvoyer dans le bourg la voiture armée de deux mitrailleuses jumelées, que Frappin met hors d'état de nuire dans la rue principale. En fin d'après-midi, les Allemands quittent le château de Vaux, emportant leurs blessés et les morts qui n'étaient pas restés sur le pont. Ils emmènent deux otages du bourg, et deux autres otages de la ferme de Vaux. Ils continuent de suivre la rive sud de l'Ouanne, passent au large de Châteaurenard et de Triguères. A Douchy, la colonne se divise : sous le commandement de Maschler, une partie continue en direction d'Auxerre, où elle sera arrêtée quelques jours plus tard ; Arndt choisit le nord, en direction de Courtenay. Il tombe, le soir même, sur les Américains entre Douchy et Montcorbon et est ramené le lendemain à Montargis avec 500 autres prisonniers allemands.

Les deux otages emmenés par les allemands n'ont donc pas été relâchés comme le dit Dunand dans son premier compte-rendu, mais ont réussi à s'échapper "en profitant d'une escarmouche que les boches ont eu avec les Américains du côté de Montcorbon." Cette dernière phrase est tirée d'un autre récit de Jean Dunand, où il relate dans le détail les hésitations des hommes et les erreurs de l'opération, qui aurait pu être fatale à de nombreux innocents si la chance, ce jour-là, n'avait pas été du côté des maquisards et si les allemands n'avaient pas été si pressés de quitter la région !

Il reste que la même chance n'a pas souri à quatre jeunes allemands, qui n'avaient sans doute pas choisi de se trouver sur le pont de Gy, ce jour-là. Les registres d'Etat-Civil de Gy et de Saint-Germain-des-Prés n’ont pas retenu leur identité : aucun décès ce 23 août. Un ancien plan du cimetière, conservé dans les archives de la mairie de Gy, montre deux tombes différentes des autres : à la place du nom, elles portent simplement la mention "Allemand". D'après les témoignages de l'abbé Mercier et de Jean Marlin, les corps ont été répartis entre les cimetières de Gy et de Saint- Germain, "pour des raisons de frais". En 1961, ces corps ont été exhumés à la demande du "Service pour l'Entretien des Sépultures Militaires Allemandes", rattaché au Ministère de la Défense. Les archives de ce service sont, aujourd'hui, centralisées à Kassel en Allemagne. C'est donc d'Allemagne que nous sont parvenus les renseignements suivants :

Ont été enterrés à Gy-les-Nonains :
- Bruno JACOBI, soldat de 1e classe ("Obersoldat"), né le 26 août 1910 à Goldfeld/Bromberg (aujourd'hui Bydgoszcz près de Gdansk en Pologne).
- Johann MAYER, caporal-chef, né le 31 octobre 1912 à Munich.

Ont été enterrés à Saint-Germain-des-Prés :
- Jakob MÜHL, caporal-chef, né le 28 juillet 1910 à Aderklaa en Autriche.
- Georg WEGNER, caporal d'état-major, né le 8 avril 1917 à Ratibor (aujourd'hui Raciborz près de Katowice en Pologne).

Les dépouilles ont été transférées au cimetière militaire du Fort de Malmaison dans l'Aisne. avec 6800 autres soldats allemands morts dans les départements de l'Aisne, de I'Yonne et de l'Aube. Le "Service pour l'Entretien des Sépultures Militaires Allemandes" s'occupe ainsi, en France, de 192 cimetières militaires de la première guerre mondiale (768.000 morts) et de 23 cimetières de la seconde guerre mondiale (228.000 morts), en insistant sur la nécessaire "Réconciliation par dessus les tombes" et au "Travail pour la paix". On notera que les quatre morts de Gy étaient jeunes (de 27 à 34 ans) et de grades très modestes. Victimes, probablement. plus que bourreaux. L'un d'eux était d'origine autrichienne, deux d'entre eux venaient des confins orientaux de l'Empire. Ils rejoignent ainsi, sur le pont de Gy , les 55 millions de morts de cette seconde guerre mondiale, qui ont tous droit au respect.

Cet article a été rédigé en 1994. Dix ans plus tard, certaines interrogations  exprimées ci-dessus ont trouvé des réponses. Elles se trouvent dans l'article : "Le destin du général Arndt".


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